Fiscalité : pourquoi la Suisse n'est plus aussi paradisiaque

Par Jean-Christophe Catalon  |   |  773  mots
Le Conseil fédéral a mis au point une réforme de l'imposition pour tenter de conserver sa compétitivité fiscale.
Obligée de revoir sa réglementation en matière de fiscalité et d'en finir avec sa complaisance envers l'évasion fiscale, la Confédération helvétique perd progressivement ce qui faisait son mythe, mais reste compétitive.

Une fiscalité avantageuse pour les entreprises comme pour les particuliers et des banques savantes dans l'art de la discrétion, la Suisse a longtemps été un paradis pour un business qui n'a que faire de la morale. Mais voici que la Confédération helvétique commence à perdre ce qui faisait son mythe.

La succession de révélations sur l'évasion fiscale, les SwissLeaks, ont dévoilé le système frauduleux établi de l'autre côté du lac Léman. À la suite des LuxLeaks et Panama Papers, les acteurs internationaux n'ont eu d'autre choix que de réagir. Ainsi est né, à l'initiative de l'OCDE, la convention multilatérale sur l'échange automatique d'informations (AEOI en anglais) en matière fiscale, sur les comptes bancaires des non-résidents. Désormais, les administrations fiscales coopèrent pour traquer les fraudeurs. Impossible pour ces derniers de cacher de l'argent à l'étranger sans être rattrapés par le fisc. La Suisse fait partie des Etats signataires et a même débuté, le 1er janvier, la collecte des données financières qu'elle commencera à transmettre aux Etats concernés dès 2018. En toute logique, l'évasion fiscale devrait bientôt devenir de l'histoire ancienne.

La fin du statut fiscal particulier pour les entreprises

La Suisse est également en train de se séparer d'un autre appât à multinationales : sa fiscalité sur les entreprises. Contraint par les nouvelles règles internationales, elle doit mettre fin au statut fiscal particulier, une disposition réglementaire qui permet aux holdings, sociétés mixtes et auxiliaires d'être imposées au-dessous du barème de l'impôt sur les sociétés suisse.

Pour "conserver sa compétitivité fiscale", comme l'indique le département fédéral des Finances, et éviter de tenter les sociétés concernées à changer d'horizon, le Conseil fédéral veut appliquer de nouvelles mesures résumées sous l'acronyme RIE III, ou troisième réforme de l'imposition des entreprises. Divisées en deux axes, celle-ci consiste, en premier lieu, à favoriser fiscalement les dépenses en recherche et développement, explique la RTS, ce qui n'est pas sans rappeler le fameux crédit impôt recherche français. En second lieu, elle demande aux 26 cantons de baisser l'impôt sur les bénéfices, en compensation, la Confédération s'engage à augmenter la part du produit de l'impôt qui leur est versée.

Le texte soumis à référendum le 12 février

Les partis de droite, majoritaire au Conseil fédéral et au Parlement, défendent farouchement ce projet. D'après le quotidien genevois Le Temps, le ministre des Finances Ueli Maurer, n'a de cesse de répéter que sans ces nouvelles mesures, 24.000 entreprises pourraient délocaliser, faisant disparaître 150.000 emplois et induire un manque à gagner de 5 milliards de francs suisses (environ 4,7 milliards d'euros) pour les finances fédérales.

Ce qui n'est pas de l'avis de la gauche. Ses élus ont déposé en octobre les signatures nécessaires pour imposer la tenue d'un référendum sur la question. Celui-ci se tiendra le 12 février prochain. Pour les opposants, le texte vise surtout à favoriser les plus aisés et entraînerait des pertes fiscales d'au moins 2,7 milliards de francs suisses (environ 2,5 milliards d'euros). D'après un sondage réalisé en décembre, 50% des Suisse sont favorables à la réforme, mais avec 15% d'indécis le résultat est loin d'être garanti.

La Suisse reste compétitive

"Qu'il y ait une perte de compétitivité, c'est évident, mais de là à dire que le régime fiscal suisse devient aussi cher qu'en France, on en est loin", tempère Mabrouk Sassi, avocat à la Cour de Paris, spécialiste en contrôle fiscal. Si l'évasion fiscale n'est plus, la Suisse continue d'offrir de la stabilité et une main d'œuvres très qualifiée, le tout avec un taux d'imposition compétitif. La dégradation des avantages fiscaux n'est pas non plus assez brutale pour inciter les multinationales à déménager leur holding du jour au lendemain.

Comme le note Mabrouk Sassi, "les grands groupes n'ont pas délocalisé" à cause de la fiscalité et "l'économie se porte bien" malgré la fin de l'évasion fiscale, avec des estimations de croissance relevées pour 2016. Si la Confédération connaît un mouvement de délocalisation, celui-ci concerne avant tout l'industrie et ne résulte pas de la fiscalité mais du franc fort, selon le groupement d'entreprises economiesuisse dans les colonnes de Bilan. Alors que les holdings et les sociétés auxiliaires servent davantage à effectuer des tâches administratives.