Guerre en Ukraine : la Russie accuse l'OTAN d'être responsable de l'escalade nucléaire

Par Laurent Lequien  |   |  869  mots
(Crédits : MAXIM SHEMETOV)
La Russie a déclaré samedi que le déploiement accéléré d'armes nucléaires tactiques américaines B61 modernisées sur des bases de l'Otan en Europe aurait pour conséquence d'abaisser le "seuil nucléaire" et que Moscou devait en tenir compte dans sa planification militaire.

L'armée russe dispose d'environ 2.000 armes nucléaires tactiques opérationnelles, contre environ 200 pour les États-Unis, dont la moitié sont stationnées sur des bases en Italie, en Allemagne, en Turquie, en Belgique et aux Pays-Bas.

Politico a rapporté que les États-Unis avaient déclaré, lors d'une réunion à huis clos de l'Otan, qu'ils allaient accélérer le déploiement d'une version modernisée de la bombe nucléaire B61, la B61-12, qui arrivera en décembre sur les bases européennes concernées, soit avec plusieurs mois d'avance sur le calendrier initial.

« Nous ne pouvons pas ignorer les projets de modernisation des armes nucléaires, ces bombes classiques qui se trouvent en Europe », a déclaré le vice-ministre des Affaires étrangères russe Alexandre Grouchko à l'agence de presse russe RIA.

La bombe B61-12 est équipée d'une tête nucléaire de plus faible puissance que certaines des versions antérieures de cette arme, mais elle est plus précise et peut pénétrer sous terre, selon des études de la Federation of American Scientists.

« Les États-Unis sont en train de les moderniser, d'augmenter leur précision et de réduire la puissance de la charge nucléaire, c'est-à-dire qu'ils les transforment en armes de champ de bataille, donc qu'ils abaissent le seuil nucléaire », a estimé Alexandre Grouchko.

Lors d'un discours prononcé à Moscou cette semaine devant le Club international de discussion "Valdaï", Vladimir Poutine a accusé les Occidentaux de chercher à contenir le développement d'autres civilisations. Ce qu'il qualifie, plus particulièrement en Ukraine, de jeu géopolitique « dangereux, sanglant et sale ».

Alors qu'il a mis au banc de la communauté internationale la Russie, devenue État paria, le président russe a jugé que « le pic des difficultés » économiques était « passé ». Selon lui, « l'économie russe s'est adaptée (...) Ce qui se passe est en fin de compte bénéfique pour la Russie et son avenir (...) y compris dans la sphère économique ».

Rien n'est pourtant moins sûr. La Russie profite pour l'instant de la crise énergétique mondiale et des exportations d'hydrocarbures. Mais c'est bien le scénario de la récession qui se profile. La croissance russe devrait en effet se contracter de 3,4% en 2022 et de 2,3% en 2023 d'après le Fonds Monétaire International, soit un recul moins fort que prévu.

L'Occident, « aveuglé par le colonialisme »

De quoi encourager le chef du Kremlin à maintenir une rhétorique belliqueuse : « Comme ils (les Occidentaux) disent, qui sème le vent récolte la tempête », a-t-il lancé.

« J'ai toujours cru et je crois dans le bon sens, je suis donc persuadé que tôt ou tard, les nouveaux centres de l'ordre mondial multipolaire et l'Occident devront entamer une conversation équitable sur l'avenir que nous partageons et le plus tôt sera le mieux », a ajouté Vladimir Poutine.

Selon le président russe, l'Occident, « aveuglé » par le colonialisme, a contribué à déclencher le conflit en Ukraine et cherche à alimenter une crise sur le sort de Taïwan, revendiquée par la Chine, afin de renforcer sa domination sur le monde.

Vladimir Poutine a également accusé les Occidentaux d'utiliser l'arme des sanctions économiques et les « révolutions de couleur », allusion notamment à la révolution orange de 2004 en Ukraine, pour écarter des puissances rivales.

Il a réaffirmé que ce qu'il qualifie d'opération spéciale en Ukraine, envahie depuis février par l'armée russe, était inévitable à ses yeux pour soutenir la région du Donbass et empêcher une nouvelle expansion de l'Otan.

« Nous sommes à un moment historique. Nous sommes sans doute face à la décennie la plus dangereuse, la plus importante, la plus imprévisible » depuis 1945, a déclaré le dirigeant russe.

« L'Occident, sans unité claire, n'est pas en mesure de diriger le monde, mais il essaye désespérément, et la plupart des peuples du monde ne peuvent l'accepter », a-t-il affirmé, jugeant dès lors la planète en « situation révolutionnaire ».

« La Russie ne supportera jamais le diktat de l'Occident agressif, néocolonial », a-t-il ajouté.

La « bombe sale ukrainienne »

Concernant les accusations russes selon lesquelles Kiev est en train de mettre au point une "bombe sale", le maître du Kremlin a demandé à l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) de se rendre "au plus vite" en Ukraine.

« L'AIEA veut venir (...). Nous sommes pour, au plus vite et de la manière la plus large possible, car nous savons que les autorités à Kiev font tout pour brouiller les traces de ces préparatifs », a-t-il affirmé.

Selon lui, Kiev veut utiliser une telle arme radioactive « pour pouvoir dire plus tard que c'était la Russie qui avait effectué une frappe nucléaire », a encore dit M. Poutine, soulignant qu'il avait lui-même demandé à son ministre de la Défense, Sergueï Choïgou, d'« en informer » ses homologues occidentaux.

L'Ukraine et ses alliés occidentaux ont tous depuis largement condamné les allégations « à l'évidence fausses » de la Russie.

« Nous n'avons jamais parlé de la possibilité d'utiliser des armes nucléaires. Nous avons seulement fait des allusions en réponse aux déclarations d'autres pays », a assuré le président russe.

(Avec AFP et Reuters)