L'Arabie Saoudite rattrapée par la baisse des cours du pétrole

Par Robert Jules  |   |  1014  mots
Le roi Salmane ben Abdelaziz Al Saoud, qui a accédé au pouvoir en janvier 2015, compte mener un programme de privatisation de certaines compagnies publiques, favoriser le secteur privé et l'implantation de groupes étrangers, notamment dans le secteur de la distribution.. (Crédits : Reuters)
Arrivé au pouvoir en début d'année, le nouveau roi, Salmane ben Abdelaziz Al Saoud, doit prendre une série de mesures pour moins dépendre des recettes de l'or noir, principale ressource financière du pays, qui vont baisser de plus de 30% par rapport à 2014.

La chute du prix du baril de pétrole, passé de 110 dollars à moins de 50 dollars en l'espace d'une année, pose de sérieux problèmes à l'économie de l'Arabie Saoudite. Son déficit public devrait s'afficher cette année à 15% du PIB, selon la Coface (Samba Financial va jusqu'à 20%) contre 2,3% en 2014, et largement au-dessus des 10% que prévoyait le FMI.

Quant à l'activité, elle s'essouffle. « Nous estimons que le taux de croissance va ralentir en 2015, à 2,5%, alors que la projection officielle établie en 2014 annonçait 3,5% », indique Seltem Iyigün, économiste spécialiste du Moyen Orient, à la Coface.

 Première émission de dette depuis 2007

Autre signal, le royaume va emprunter sur les marchés internationaux, en réalisant sa première émission de dette depuis 2007. Il compte lever entre 90 et 100 milliards de riyals (entre 21 et 23,3 milliards et d'euros) via des emprunts à 5 ans d'ici la fin de l'année, selon des sources citées par l'agence Bloomberg.

Pour autant, le pays, contrairement au Venezuela ou à l'Algérie, n'a pas de sérieuses difficultés financières à brève échéance, disposant de réserves de change d'un montant de 661 milliards de dollars, et supportant une dette publique qui ne devrait représenter que 1,8% du PIB cette année.

Mais la perspective d'un prix du baril durablement installé dans une fourchette oscillant entre 50 et 60 dollars - la banque Goldman Sachs a même évoqué un scénario qui le voit baisser à 20 dollars - oblige le nouveau roi, Salmane ben Abdelaziz Al Saoud, arrivé au pouvoir en début d'année à réorienter l'économie.

L'économie saoudienne reste en effet trop dépendante de la rente pétrolière. Or, les ventes d'or noir, qui représenteront cette année 80% des recettes, « vont accuser une baisse de 32% par rapport à 2014 », indique James Reeve, économiste chez Samba Financial Group, dans un rapport publié en août.

 Un contexte géopolitique tendu

C'est un défi pour le nouveau monarque qui doit à la fois répondre aux attentes des 30 millions de Saoudiens et Saoudiennes, toute en ménageant des autorités conservatrices et en opérant dans un contexte géopolitique tendu dans la région, avec l'émergence de Daesh.

L'équation est d'autant plus difficile à résoudre qu'il s'agit d'endiguer le rythme des dépenses d'Etat, qui ont notamment crû sous le régime du roi Abdallah, en particulier pour éviter que le régime soit à son tour contesté lors du « Printemps Arabe », tout en soutenant la demande intérieure et en favorisant des activités non liées au pétrole.

Ainsi, il est difficile pour Salmane ben Abdelaziz Al Saoud de se montrer plus généreux qu'il l'a été en matière de dépenses publiques lors de son accession au trône, dans un pays où il n'y a pas d'impôt sur le revenu. « Le roi a ordonné un plan de dépenses publiques de 23 milliards de dollars, incluant un bonus équivalent à 2 mois de salaire pour les fonctionnaires et 5,3 milliards de dollars de subventions pour les dépenses d'électricité, d'eau et de logement », indique Seltem Iyigün.

Cette politique en faveur de la consommation des ménages permet de soutenir la croissance économique tout en maintenant la cohésion sociale pour éviter toute déstabilisation qui mettrait le régime en difficulté.

Eviter la mauvaise allocation des ressources

Par ailleurs, le gouvernement se montre plus regardant sur les investissements publics pour éviter la mauvaise allocation des ressources.  Ainsi, tous les projets d'infrastructures dont le coût excède la barre des 100 millions de ryals (27 millions de dollars) devront faire l'objet d'une approbation par le Conseil des Affaires économiques et du développement, mis en place par le nouveau roi.

Selon la Coface, le gouvernement compte investir dans divers secteurs: construction, énergie, tourisme, immobilier, commerce de détail, industrie minière, transport et éducation. Parmi 36 projets, on compte notamment « la construction d'autobus, de voitures et de pièces détachées ferroviaires », souligne la Coface. Le Fonds public d'investissement d'Arabie Saoudite investit 1 milliard de dollars dans une usine de construction automobile qui pourra produire 150.000 véhicules par an à partir de 2018. Le secteur automobile devrait d'ores et déjà croître cette année de 3,6% cette année.

Autre secteur qui va être massivement développé : la santé. Pas moins de 71 milliards de dollars vont être investis au cours des prochaines dans « la fabrication de matériel médical, de médicaments et de vaccins et la création et la gestion d'hôpitaux », souligne la Coface.

Le royaume compte aussi mener un programme de privatisation de certaines compagnies publiques, favoriser le secteur privé et l'implantation de groupes étrangers, notamment dans le secteur de la distribution.

L'épineux problème de la réduction des subventions à l'énergie

Du côté des économies, la principale mesure réside dans la réduction des subventions à l'énergie, qui sont importantes comme en témoigne le prix du litre d'essence : 16 cents de dollar. Mais elle risque d'être impopulaire, même en évoquant la lutte contre le réchauffement climatique et l'efficience énergétique. Si le débat n'est pas encore tranché, l'Arabie Saoudite, à l'exemple des Emirats Arabes Unis, pourrait s'y résoudre partiellement car l'enjeu est de taille. L'ensemble des subventions à l'énergie équivaut à 8% du PIB, selon les calculs de Samba Financial Group.

Scepticisme des investisseurs

Le roi Salmane ben Abdelaziz Al Saoud et son gouvernement se donnent cinq ans pour réaliser cette réorientation de l'économie en douceur, escomptant qu'entretemps le prix du baril se sera apprécié. Certains sont plus sceptiques : le royaume « devra opérer d'importantes coupes budgétaires et non les réductions graduelles que l'on voit, s'il veut éviter de puiser dans ses réserves de change », avertit Jean-Michel Saliba, économiste chez Bank Of America Merrill Lynch,

Ce scepticisme se reflète dans le sentiment des investisseurs. L'indice de référence de la Bourse saoudienne, le Tadaul All Share Index, accusait ce vendredi une baisse de 32,5% sur les 12 derniers mois, contre un recul de 22% pour le MSCI Emerging Markets.