L'Azerbaïdjan, "bombe à retardement", victime de la baisse des prix du pétrole

Par Sarah Belhadi  |   |  1337  mots
Après avoir profité pendant des années d'une confortable manne pétrolière, le pays dirigé depuis 2003 par le président Ilham Aliev paye aujourd'hui les conséquences d'une économie peu diversifiée.
Après avoir enregistré une croissance à deux chiffres dopée par la manne pétrolière, cette ex-république d'URSS, indépendante depuis 1991, accuse un brutal ralentissement en raison de la baisse des cours du pétrole. La révolte populaire et sa situation géographique pourraient la faire basculer dans le chaos.

Bakou, que l'on surnommait encore il y a quelques mois le "Dubaï du Caucase", n'est pas épargné par la chute des cours du brut. Dans un pays où 95% des exportations dépendent du pétrole et représentent les trois quarts des revenus de l'Etat, le baril à 30 dollars sonne la fin de la récréation. Pour 2016, le budget voté par le Parlement sera amputé de 25% par rapport à 2015. "L'Azerbaïdjan est une belle illustration d'un pays qui a trop misé sur une seule source de revenus", ironise Bayram Balci, chercheur à Sciences Po (CERI) et spécialiste de l'Asie centrale.

Indépendante depuis 1991, la petite République, qui compte 9 millions d'habitants, a bâti sa fortune sur l'or noir. Avec des taux de croissance spectaculaires : 34,5% en 2006. Et... seulement 2,5% dix ans plus tard, prévoit le FMI. De fait, la voici désormais prise au piège. Si le pays réduit sa production de pétrole, il se retrouve sans ressources, y compris pour payer ses importations alimentaires. S'il veut maintenir son train de vie, il doit trouver de l'argent frais. Il y a tout juste deux semaines, le bureau présidentiel indiquait que Ilham Aliyev, à la tête du pays depuis 2003, avait demandé "au Conseil des ministres de préparer un plan de privatisations à grande échelle".

Caisses vides, monnaie dévaluée de moitié...

En 2015, la monnaie azérie, le manat, a perdu près de 50% de sa valeur en 2015 par rapport au dollar. Avec deux dévaluations en quelques mois (en février et en décembre), les particuliers qui avaient contracté un prêt immobilier en dollars doivent rembourser une dette bien supérieure au montant emprunté. Afin d'éviter la fuite des capitaux et une hémorragie bancaire, la Banque centrale a également imposé une taxe de 20% sur certaines opérations qui reviennent à sortir des devises étrangères.

"Quelques jours avant la dévaluation, le président de la Banque centrale et le président en personne ont assuré à la population que la dévaluation n'aurait pas lieu. Cela montre que le gouvernement a été complètement désarmé face à la forte baisse des prix du pétrole", rapporte Altay Goyushov, professeur d'histoire turque et caucasienne à l'université d'Etat de Bakou.

Le 21 décembre, la Banque centrale de l'Azerbaïdjan décide de passer au régime du taux de change flottant, afin de stopper la chute du cours de la monnaie locale. Le manat plonge à son plus bas niveau depuis 20 ans. Pour faire face à la baisse, le gouvernement a puisé dans ses réserves en devises étrangères. "Cela prouve encore qu'il n'a pas de stratégie pour gérer cette situation", observe Altay Goyushov.

Flambée des denrées alimentaires

Dans cette déroute, les prix des denrées alimentaires ont quant à eux augmenté de 6,1% en 2015, et les autres de 3,8%. Et le scénario inflationniste doit se poursuivre. Le ministre des Finances, Samir Sharifov, prévoit 10% à 12% d'inflation en 2016.

Les Azéris doivent aussi supporter la récession russe qui entame sa deuxième année consécutive. "Un million de travailleurs partent travailler en Russie, mais, avec la situation actuelle, certains sont obligés de rentrer", détaille Bayram Balci.

Cette pression étouffe la population. Le 12 janvier, des manifestations éclatent à Siyazan dans le nord du pays, à Fizuli (sud-ouest) et à Lankaran (au sud). Puis s'étendent dans d'autres districts du pays. Alors que le mouvement se propage, le gouvernement réplique par la violence. Une centaine d'arrestations a eu lieu.

Si ce mouvement de contestation prend de l'ampleur, il n'est toutefois pas nouveau. "C'est arrivé en 2003, mais les revendications étaient surtout politiques. Cette fois, c'est une révolte beaucoup plus populaire car il y a des motivations économiques", rappelle Bayram Balci. En raison du contexte, "le quotidien des habitants se détériore, poursuit-il, et les Azéris sont en train d'exprimer leur frustration".

Quand le pétrole fait obstacle à la démocratie

A coups de manifestations culturelles ou sportives, l'Azerbaïdjan a dépensé des fortunes en opérations de communication pour redorer son blason. L'Eurovision en 2012 ou en organisant un événement sportif en 2015, des "Jeux européens". Bakou s'est même improvisée place de marché de l'art. L'argent coulait donc à flots dans l'ancienne ville-étape de la route de la soie. Enfin, presque.

Officiellement, il existe un fonds pétrolier, le Sofaz, devant engranger les recettes de la manne pétrolière en prévision de l'avenir, et permettre le développement d'infrastructures ou la diversification économique. Il était doté de 35 milliards de dollars à la fin du troisième trimestre 2015, rappelle le Financial Times. Mais l'opacité est totale en matière de gestion financière. La corruption et le clientélisme sont rois. Dans son dernier classement, l'ONG Transparency International classe l'Azerbaïdjan 119 sur 167 dans son palmarès des pays les plus corrompus. Et depuis l'indépendance, le clan Aliev tient les manettes du pouvoir.

"On voit vraiment à quel point les hydrocarbures sont un ennemi de la démocratie", commente Bayram Balci, chercheur au CERI. En 2005, Rasim Musabayov, alors candidat aux législatives en Azerbaïdjan, tenait un discours quasi-identique, à l'Express.

«Si vous avez la démocratie avant le pétrole, aucun problème. Dans le cas inverse, l'or noir n'aide en rien à transformer un régime autoritaire en Etat de droit. C'est même un obstacle".

L'économie bloquée par l'oligarchie

Seul un profond changement politique pourrait permettre à l'Azerbaïdjan de redémarrer économiquement. Problème: le pays est régi par un système oligarchique, comme le rappelle Altay Goyushov :

"De très puissants ministres de cet oligopole contrôlent l'économie et maintiennent un équilibre pour rester au pouvoir. Sauf que, maintenant, nous voyons les fissures du système. Mais, pour eux, il n'est pas question d'abandonner leurs intérêts. C'est la raison pour laquelle ils s'opposent au changement."

"Cela signifie que, même si le président veut mettre en place un plan de mesures d'urgence pour libéraliser l'économie et combattre la corruption, il en sera incapable, en raison de la résistance de ses ministres oligarques. Voilà pourquoi, jusqu'à présent,  le gouvernement n'use que de mesures administratives, telles que l'augmentation des taxes et des amendes - qui sont insuffisantes pour apaiser la situation."

Dans un tel contexte, l'oligarchie prie en attendant des jours meilleurs. Car l'or noir à bas coût menace les petits arrangements entre amis : "Leur seul espoir est d'attendre un relèvement des prix du pétrole et d'essayer de rester au pouvoir jusqu'à ce qu'il intervienne, en utilisant des mesures administratives et la force policière", analyse l'universitaire azéri.

Bombe à retardement

A ce contexte, il faut ajouter la situation géopolitique. Le Haut-Karabakh, à l'ouest du pays, demeure une zone de tension majeure et permanente qui oppose Azéris et Arméniens.

"Si la situation dans le Haut-Karabakh se détériore, cela pourrait déclencher une guerre et donner à la Russie l'occasion d'appliquer une nouvelle fois une politique interventionniste dans le Caucase. Une situation que la communauté internationale veut éviter", note Bayram Balci.

"Si ce pays sombre dans le chaos, cela pourrait embraser les pays voisins. Le régime va devoir tenir compte de ça", prévient-il.

Les institutions internationales aussi.

"Les acteurs internationaux doivent se dire qu'ils ont intérêt à faire en sorte d'aider le pays."

Une délégation composée de représentants du FMI et de la Banque mondiale serait actuellement en Azerbaïdjan. Selon le Financial Times, ils devraient accorder une enveloppe de 4 milliards de dollars à Bakou pour stopper l'hémorragie.

Pour autant, les mises en garde ne manquent pas, telle celle de Tom King et Marina Bowder, de l'ONG "Projet de reportages sur le crime organisé et la corruption" (OCCRP), qui, dans le Financial Times du 1er février, préviennent:

"Le FMI et la Banque mondiale doivent éviter de pomper encore plus d'argent -cette fois-ci aux contribuables occidentaux- pour alimenter les caisses d'une autocratie nantie."

A bon entendeur.