L'OCDE lance le combat contre l'évasion fiscale internationale

Par Ivan Best  |   |  996  mots
Aux îles Bermudes. Les paradis fiscaux ont-ils du souci à se faire? (Crédits : © )
Le G20 va officialiser le 8 octobre à Lima l'arsenal de l'OCDE contre l'évasion fiscale internationale. Si l'organisation est satisfaite des avancées obtenues, les ONG se montrent beaucoup plus dubitatives

L'évasion fiscale internationale pratiquée par les grandes entreprises, qui représente jusqu'à 240 milliards de dollars de manque à gagner en recettes fiscales pour les Etats, c'est fini. Ou en tous cas, le mouvement s'inverse.  C'est en substance le message de Pascal Saint Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE, qui a coordonné depuis deux ans les travaux sur le sujet. Le projet BEPS (Base Erosion and Profit Shifting), visant à mettre fin aux « pratiques fiscales » dommageables débouche aujourd'hui sur un consensus concernant 15 actions, visant les grandes entreprises.

Encadrer les prix de transfert

Cela va de la « neutralisation des dispositifs hybrides » (quand les entreprises mettent à profit les différences de fiscalité entre pays sur les titres de dettes et les actions), à la question de l'économie numérique, en passant par l'encadrement des prix de transfert entre filiales des multinationales, la communication obligatoire d'informations et leur transmission entre administrations fiscales, et la limitation des déductions d'intérêt. A cet égard, l'organisation prévoit d'instaurer un « tunnel » pour les charges financières d'intérêt, qui devront se situer entre 10% et 30% de l'EBITDA (résultat d'exploitation). Objectif : éviter que les filiales localisées dans les pays à forte fiscalité s'endettent fortement afin de réduire le bénéfice imposable, au profit d'autres filiales s'endettant très peu car bénéficiant d'un impôt très faible voire nul.

De quoi changer la donne?

Cet ensemble va-t-il vraiment changer la donne ? C'est le cas, assure Jean-Pierre Lieb, avocat associé chez EY, expert en politique fiscale.


« D'abord, s'agissant de la transparence. La société civile, les ONG, exigent une transparence de plus en plus grande de la part des entreprises multinationales. Certes, si l'OCDE prévoit un échange d'informations entre administrations fiscales, concernant la localisation des profits dans chaque juridiction, elle ne demande pas la publication de ces données. Mais la pression est grande en faveur de cette transparence. Déjà, la commission européenne impose aux banques et entreprises "extractives" de rendre publiques ces informations. Cette obligation pourrait, dans un avenir proche, concerner toutes les entreprises.

Et au-delà de la question de la transparence, les entreprises multinationales vont-elles continuer à localiser les profits là où ils sont les moins imposés ? Jean-Pierre Lieb est catégorique.

« Les groupes vont avoir de plus en plus de mal à localiser la valeur là où ils le souhaitent, à éclater la chaîne de profits. L'OCDE insiste sur la cohérence entre l'activité économique, la localisation des risques, le nombre de personnes employées, et les profits. C'est un changement fondamental. »

 Pour Pascal Saint-Amans,  les profits seront, à terme, forcément localisés là où se trouve l'activité réelle, là où sont employés les salariés, et non plus dans un paradis fiscal où l'entreprise détient avant tout une boîte aux lettres. Un changement majeur pour les candidats à l'optimisation fiscale.

Même si certaines idées de l'OCDE,  vendues comme devant être l'arme absolue, iront moins loin qu'annoncé. Exemple: le modèle de convention fiscale internationale, qui remplacerait rapidement les conventions existantes. Il est plus facile de remplacer tous ces accords bilatéraux par une convention unique que de les renégocier tous. Mais Jean-Pierre Lieb n'est pas entièrement convaincu.

S'agissant de la convention fiscale multilatérale unique, proposée par l'OCDE, conçue comme devant "écraser" toutes les conventions fiscales existantes, pour imposer rapidement une nouvelle législation, l'idée est séduisante. Mais cette convention sera probablement de portée limitée. Car il est difficile de dégager un consensus entre de multiples pays aux fiscalités très différentes.

Les ONG dubitatives

Quant aux ONG, elles se montrent globalement beaucoup plus dubitatives.


"La réforme BEPS n'empêchera pas les entreprises multinationales de se jouer des règles fiscales pour échapper à l'impôt. Les leçons n'ont pas été tirées des derniers scandales d'évasion fiscale comme Luxleaks, qui pourront continuer à se reproduire »estime Manon Aubry, responsable de plaidoyer justice fiscale et inégalités à Oxfam France.
« Si les pays de l'OCDE avaient vraiment voulu réformer le système fiscal international, ils auraient examiné plus en profondeur les méthodes qui visent à répartir entre les différents pays les bénéfices des multinationales en fonction de l'activité réelle de ces dernières. Au lieu de cela, les propositions ambitieuses ont été remises à plus tard et l'OCDE propose aujourd'hui des aménagements flous et complexes de règles vieilles de plus d'un siècle »

  estime Lucie Watrinet, chargée de plaidoyer au CCFD-Terre Solidaire coordinatrice de la Plateforme Paradis fiscaux et judiciaires.

Et de déplorer le maintien de régime tels que les « patent boxes » (régimes d'imposition préférentiels pour les revenus tirés de la propriété intellectuelle), dont la suppression avait été un temps évoquée.

« Ces régimes préférentiels offerts par certains Etats sont pourtant au cœur des stratégies d'évitement de l'impôt des entreprises multinationales. C'est notamment grâce à une patent box luxembourgeoise que MacDonald a pu éviter de payer plus d'un milliard d'euros en cinq ans à plusieurs Etats européens et l'OCDE ne remet cette pratique en cause qu'à la marge ».

Quant à la transparence, les ONG regrettent bien sûr l'absence d'obligation de publication concernant le reporting fiscal, l'obligation pour les entreprises de fournir des informations sur leurs activités (bénéfices, chiffre d'affaires, nombre d'employés) et les impôts qu'elles paient dans chacun des pays où elles sont présentes. De fait, ces informations, échangées entre administrations,  devront rester strictement confidentielles.

Garder ces informations confidentielles rend complètement inopérant l'effet dissuasif du reporting pays par pays, alors même qu'il s'agit d'un de ses objectif premiers ! C'est même un recul par rapport à la législation européenne, qui impose depuis 2013 aux banques et établissements financiers de publier ces mêmes informations » ajoute Manon Aubry