Le prince héritier d'Arabie Saoudite reçu à l'Élysée sur fond de crise énergétique

Par latribune.fr  |   |  770  mots
Mohammed ben Salmane ("MBS"), le prince héritier d'Arabie Saoudite, est invité à dîner ce jeudi soir à l'Elysée par Emmanuel Macron. Réception qui suscite la colère des défenseurs des droits de l'Homme. (Crédits : Handout .)
Persona non grata en Occident jusqu'à récemment, Mohammed ben Salmane ("MBS") sera reçu ce jeudi par Emmanuel Macron. Après la Grèce, la France est la deuxième étape de cette mini-tournée du prince en Europe qui cherche frénétiquement d'autres fournisseurs pour remplacer le pétrole et le gaz russes. Une visite critiquée par les associations pour les Droits de l'Homme.

Le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane (surnommé "MBS") n'a pas été reçu en Europe depuis l'assassinat en 2018 du journaliste opposant Jamal Khashoggi au consulat d'Arabie Saoudite à Istanbul, en Turquie. Un rapport de la CIA l'avait clairement désigné comme étant le commanditaire de l'opération.

Mais, depuis, la guerre menée en Ukraine par la Russie a changé la donne. L'Europe cherche frénétiquement d'autres fournisseurs de pétrole et de gaz, pour compenser la réduction des approvisionnements russes qui menace son appareil productif et fait flamber l'inflation... Et, après la Grèce, c'est au tour de la France d'assurer cette nouvelle séquence diplomatique. Mohammed ben Salmane ("MBS") est invité à dîner ce jeudi soir à l'Elysée par Emmanuel Macron. Réception qui suscite la colère des défenseurs des droits de l'Homme.

Car cette rencontre signe un peu plus la "réhabilitation" du prince héritier saoudien sur la scène internationale, notamment du côté des démocraties occidentales. Cette tournée européenne intervient deux semaines après la visite du président américain Joe Biden en Arabie Saoudite.

Après avoir rencontré mardi le Premier ministre grec, Kyriakos Mitsotakis, MBS devait être accueilli - mais cela n'était pas confirmé jeudi matin - mercredi après-midi à Orly, par le ministre de l'Economie et des Finance Bruno Le Maire, Emmanuel Macron étant en tournée diplomatique en Afrique.

Opération de réhabilitation internationale

Quant à l'opération de retour sur la scène européenne de MBS, Quentin de Pimodan, expert du royaume sunnite à l'Institut de recherche pour les études européennes et américaines, interrogé par l'AFP, estime que c'est le président français qui a fait les premiers pas:

"Emmanuel Macron avait déjà fait le plus gros du travail de réhabilitation en visitant lui-même MBS" à Ryad en décembre dernier, observe-t-il.

 Et d'ajouter :

« Mais là, on atteint un autre niveau. Il arrive en France, Macron n'est pas là [il est encore en Afrique, Ndlr]. MBS ne prend plus du tout les pincettes qu'il aurait pu prendre il y a un an ou deux. Il se déplace comme il l'entend », poursuit-il.

Et de constater : « Emmanuel Macron a commencé et Joe Biden a achevé la réhabilitation, avec Boris Johnson entretemps », le futur ex-Premier ministre britannique s'étant également rendu à Ryad en mars dernier.

Les services de renseignement américains avaient impliqué le prince héritier saoudien dans le meurtre de Jamal Khashoggi, une accusation rejetée à la fois par le prince et les autorités saoudiennes.

Agnès Callamard, qui avait mené une enquête sur l'assassinat de Jamal Khashoggi lorsqu'elle était rapporteure spéciale de l'ONU sur les exécutions extrajudiciaires, a déclaré à l'AFP:

« La visite de MBS en France et de Joe Biden en Arabie saoudite ne changent rien au fait que MBS n'est autre qu'un tueur. »

La directrice pour la France de Human Rights Watch, Bénédicte Jeannerod, a également fustigé sur Twitter cette visite :

"MBS peut apparemment compter sur Emmanuel Macron pour le réhabiliter sur la scène internationale malgré le meurtre atroce du journaliste Jamal Khashoggi, la répression impitoyable des autorités saoudiennes contre toute critique, et les crimes de guerre au Yémen.»

La guerre en Ukraine, nouveau levier pour l'Arabie saoudite

Les pays occidentaux cherchent depuis lors à convaincre l'Arabie saoudite, le premier exportateur de brut, d'ouvrir les vannes afin de soulager les marchés et les prix du baril et limiter ainsi l'inflation.

Mais Riyad résiste aux pressions de ses alliés, invoquant ses engagements vis-à-vis de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP+), l'alliance pétrolière qu'il codirige avec Moscou.

En mai, le ministre saoudien des Affaires étrangères, le prince Faiçal ben Farhan al-Saoud, avait déclaré que le royaume avait fait ce qu'il pouvait pour le marché pétrolier.

"La guerre en Ukraine a remis les pays producteurs d'énergie sur le devant de la scène, et ils en profitent", remarque Camille Lons, chercheuse associée à l'Institut international pour les études stratégiques. "Cela leur donne un levier politique qu'ils vont utiliser pour réaffirmer leur importance sur la scène internationale."

Quant aux pays occidentaux, ils rivalisent de "pragmatisme", note-t-elle. Et face à "des prix de l'énergie qui explosent, (...) clairement, les droits de l'Homme en Arabie saoudite ne sont plus vraiment la priorité dans l'agenda."

(avec AFP)