Macron et Lavrov : deux tournées rivales en Afrique

Emmanuel Macron veut ressouder les liens parfois distendus avec les pays d’Afrique centrale, alors que l’influence de la France sur le continent est plus que jamais contestée par certaines nations africaines mais aussi par d’autres puissances avides de prendre sa place. À commencer par la Russie, dont le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov effectue au même moment qu’Emmanuel Macron sa propre tournée diplomatique sur le continent.
Sergueï Lavrov, hier en tournée au Congo.
Sergueï Lavrov, hier en tournée au Congo. (Crédits : WILLY KURNIAWAN)

Il paraît peu probable qu'Emmanuel Macron et Sergueï Lavrov se soient concertés pour mener au même moment leurs voyages diplomatiques en Afrique vu le climat diplomatique glacial qui règne entre la Russie et la France. Sur le continent africain, les relations franco-russes tournent même à la rivalité ouverte. Alors chacun mène sa tournée diplomatique de son côté et tente de séduire des partenaires ciblés et distincts.

Arrivé hier à Yaoundé, Emmanuel Macron opte pour un voyage en Afrique centrale au Cameroun, au Bénin et en Guinée-Bissau dans une « démarche de renouvellement de la relation de la France avec le continent africain » d'après l'Elysée.

La première étape au Cameroun vise à retisser des liens politiques refroidis à la suite de tensions entre Paris et le pouvoir à Yaoundé autour des violences entre troupes séparatistes et forces de l'ordre qui déchirent le pays, soumis en plus à la menace des exactions des djihadistes de Boko Haram au Nord. Dans une allocution hier auprès de la communauté française de Yaoundé, le président de la République a assuré que « la France restera résolument engagée pour la sécurité du continent ».

« Nous sommes bousculés » en Afrique, admet Macron

Emmanuel Macron a reconnu que, dans ce domaine sécuritaire et dans d'autres comme l'économie, le rôle, autrefois central de la France en Afrique francophone, était contesté. Les entreprises françaises ne représentent plus que 10% de l'économie camerounaise contre 40% dans les années 1990. « Nous sommes bousculés, et parfois peut-être nous étions-nous endormis. En nous disant, c'est notre pré carré, c'est "chez nous". Beaucoup d'entreprises raisonnaient comme ça. La concurrence est arrivée et a bousculé les positions acquises », a-t-il admis en dénonçant toutefois le fait que les puissances rivales utilisaient des « instruments qui ne sont pas les nôtres ».

Une allusion claire - entre autres - à la présence croissante de la Russie en Afrique subsaharienne dans d'anciennes possessions coloniales françaises, théâtres d'opérations de l'armée française au cours de la décennie écoulée.

En Centrafrique, la France est intervenue de 2013 à 2016 dans le cadre de l'opération Sangaris face à une situation de guerre civile entre milices échappant totalement au contrôle de Bangui. Malgré cela, depuis 2020, le président centrafricain Faustin-Archange Touadéra s'appuie sur le groupe de mercenaires russes Wagner, à la main du Kremlin, pour renforcer son armée défaillante et assurer sa propre sécurité. Ce que Moscou dément.

Départ des troupes françaises, arrivée des mercenaires de Wagner

Un scénario similaire se déroule désormais au Mali. Aux interventions militaires françaises de 2014 à 2022 succède une présence nouvelle des paramilitaires de Wagner sollicités par la junte au pouvoir au Mali. Le pays demeure en proie à de graves problèmes de sécurité, à cause d'une présence djihadiste, de la fragilité de son Etat et de son armée. En retour, Wagner se paie grâce de juteux contrats d'exploitation des ressources minières des pays « protégés ».

Au-delà des anciennes possessions françaises, où les Russes jouent sur la corde anti-coloniale et anti-française, la présence de forces Wagner est avérée depuis 2016, au moins de façon ponctuelle, au Nigéria, en Guinée-Bissau, au Tchad, au Congo, au Botswana ou encore au Mozambique, selon le think tank américain CSIS repris par l'AFP.

24 des 54 pays africains sont dépendants du blé russe et ukrainien

Si Moscou s'impose désormais sur le plan sécuritaire comme un acteur incontournable, qui agit masqué via ses mercenaires, la crise ukrainienne consacre son rôle clé dans la situation alimentaire du continent. D'après l'ONU, 24 des 54 pays africains importent plus du tiers de leur blé de Russie et d'Ukraine, et 15 d'entre eux font venir plus de la moitié de leur blé des deux pays en guerre.

Précisément, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a choisi de rendre visite à ces nations très dépendantes de l'approvisionnement russo-ukrainien en blé, notamment l'Egypte, l'Ouganda et le Congo. L'Ethiopie, moins vulnérable aux exportations russes et ukrainiennes de blé, figure aussi sur l'itinéraire de Lavrov. Cette série de voyages diplomatiques vise à apaiser les dirigeants africains qui craignent des émeutes de la faim.

En mars, le président du Sénégal et de l'Union africaine Macky Sall avait interpellé Vladimir Poutine en visite à Sotchi en déplorant le fait que les Etats africains soient « des victimes de cette crise au plan économique ». La flambée des cours des matières premières a en effet compliqué une situation alimentaire déjà très tendue sur une partie du continent.

L'habile sens du timing de Sergueï Lavrov

«Dans certains pays africains, jusqu'à 80% du blé venait de Russie et d'Ukraine. Avec les perturbations qui se produisent maintenant, il y a une situation urgente qui se matérialise», a alerté en mai la sous-secrétaire générale des Nations Unies, Ahunna Eziakonwa. L'ONU parle d'une crise sans précédent en Afrique, tant sur le plan alimentaire, énergétique qu'économique.

Avec un habile sens du timing, Lavrov programme sa tournée diplomatique juste après la signature, la semaine dernière à Istanbul, d'un accord entre Turcs, Russes et Ukrainiens qui doit garantir l'exportation, à destination notamment de l'Afrique et du monde arabe, de 25 millions de tonnes de blé bloquées jusqu'ici par l'armée russe dans les ports ukrainiens.

Hier, le ministre congolais des Affaires étrangères Jean-Claude Gakosso a salué en présence de Sergueï Lavrov cet accord russo-turco-ukrainien qualifié « de bonnes nouvelles » pour l'Afrique. A l'image de la majorité des dirigeants africains, il a insisté sur la neutralité du Congo-Brazzaville dans ce conflit. Perçu comme un conflit lointain, la guerre en Ukraine ne provoque pas d'indignation particulière en Afrique en dehors de son onde de choc alimentaire et économique. Lors du vote de la résolution de l'ONU condamnant l'intervention russe en Ukraine en mars, 17 Etats africains se sont abstenus, soit la moitié des nations abstentionnistes.

En revanche, la venue de Lavrov en Afrique et ses engagements sur l'approvisionnement alimentaire a suscité l'ire, et l'ironie de Kiev. « Vous organisez une famine artificielle et vous venez ensuite réconforter les gens », a fustigé le conseiller de Volodymyr Zelensky, Mykhaïlo Podoliak.

(Avec AFP)

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