Migrants : à contre-courant, l'OCDE souffle ses idées

Par Sarah Belhadi  |   |  975  mots
En 2015, les demandeurs d'asile dans les pays de l'OCDE ont atteint le chiffre record de 1,65 million dont "environ 1,3 million" en Europe.
Dans un rapport présenté lundi à New-York dans le cadre du premier sommet des Nations unies consacré à la question des réfugiés, l'OCDE appelle les politiques à sortir de la rhétorique et liste des propositions concrètes en matière d'intégration.

"Le grand défi, c'est l'intégration, l'intégration, l'intégration." Angel Gurria donne le ton du dernier rapport de l'OCDE. Dans un contexte où les discours politiques et les résultats des urnes illustrent une hostilité grandissante face à la question des migrants - dernier en date les résultats des élections régionales à Berlin dimanche -, le plaidoyer du secrétaire général de l'OCDE contraste.

Ce n'est pourtant pas la première fois que l'organisation du château de la Muette cherche à montrer que l'immigration n'aggrave en rien les difficultés budgétaires auxquelles sont confrontées les pays les plus industrialisés. Mais qu'ils portent sur la démographie ou sur des données macro-économiques, les arguments sont sans conséquences sur les opinions publiques, du propre aveux des auteurs du dernier rapport. "On essaye de poser les termes d'un débat apaisé, et en fait ça produit l'effet inverse", déplore Jean-Christophe Dumont, chef de la Division des migrations internationales à l'OCDE.

Cette fois, le rapport "Perspective des migrations internationales 2016", présenté lundi aux Nations unies à New-York, dresse un état des lieux des meilleures pratiques visant à assurer l'intégration des migrants dans les pays de l'OCDE. Si en 2015, 4,8 millions de personnes ont immigré dans les pays les plus industrialisés (soit 10% de plus qu'en 2014), les demandeurs d'asile ont représenté 1,65 million de personnes dont 1,3 million en Europe.

Dans le même temps, alors que l'Union européenne s'essouffle à mettre en pratique un mécanisme de répartition pour accueillir ces migrants humanitaires (près de 25% des demandes d'asile ont été faites par des ressortissants syriens), "l'urgence de la question de l'intégration" demeure, insiste Jean-Christophe Dumont.

La situation du marché du travail local comme facteur déterminant

Alors que la répartition des migrants de Calais cristallise toutes les tensions en France, l'Organisation de coopération et de développement économiques demande à ce que les perspectives en matière d'emploi soient prises en compte dans les politiques de dispersion.

Mais trop souvent, les stratégies de répartition se focalisent sur d'autres critères comme "la disponibilité de logements" ou la "présence de parents ou d'amis", et se révèlent insuffisantes, voire contre-productives, déplore l'OCDE.

"S'il n'y a pas de jobs, les places d'hébergement ne servent à rien. Cela créé une tension énorme, résultat l'intégration devient plus difficile et se transforme en problème structurel", résume Stefano Scarpetta, directeur de la Direction de l'emploi, du travail et des affaires sociales.

Quelques pays de l'OCDE ont toutefois adopté un mécanisme différent en fonction des opportunités professionnelles sur le territoire. En Suède, par exemple, "les bureaux publics de l'emploi tiennent compte du niveau d'instruction et de l'expérience professionnelle du migrant, du taux d'emploi local, de la taille de la municipalisé, de la concentration de personnes nées à l'étranger dans la zone, et de la disponibilité de logements". De son côté, la Norvège travaille sur "une procédure d'évaluation rapide des compétences pour faciliter la dispersion des migrants humanitaires hébergés en centre d'accueil dans les villes correspondant à leur profil professionnel".

L'OCDE rappelle que ce critère a des effets directs sur l'intégration et sur le coût supporté par la collectivité, et cite en exemple une étude menée en 2004 par la Suède. Ainsi, elle montre que huit ans après leur installation, les réfugiés repartis sur la base de la disponibilité des logements "affichaient des revenus inférieurs de 25% en moyenne, des taux d'emploi inférieurs de 6 à 8 points de pourcentage, et une dépendance vis-à-vis de l'aide sociale supérieure de 40% par rapport aux réfugiés n'ayant pas été soumis à cette politique".

Reconnaissance des compétences

Face à ce phénomène de migration humanitaire qui s'est accentué en 2015, l'OCDE détaille également que les pays récipiendaires doivent s'adapter à la particularité de ces migrants. En effet, contrairement aux migrants dit économiques qui, la plupart du temps, arrivent avec peu de qualifications sur le marché du travail, "40% de ces migrants (humanitaires, ndlr) ont achevé leur cycle secondaire", rappelle Angel Gurria. Bref, si cette donnée contraste, elle est pourtant rarement prise en compte dans les pays de l'OCDE, insiste le rapport.

"L'instruction acquise en dehors de la zone OCDE est fortement dévaluée par les employeurs, et l'expérience professionnelle presque totalement ignorée."

Plusieurs pays, à l'instar de l'Allemagne, de l'Australie, des Pays-Bas ou du Canada ont toutefois mis en place des programmes pour évaluer les compétences des migrants. Certains pays d'origine comme le Nigéria ou le Pakistan proposent, quant à eux, des services de vérification en ligne pour confirmer l'obtention d'un diplôme. Pour Jean-Christophe Dumont, c'est aussi en développant "leurs compétences que les migrants seront les plus à-même de gérer leur retour dans leur pays d'origine".

Maîtrise de la langue

Ainsi, certains pays scandinaves, à l'instar de la Suède, proposent des programmes, d'une durée de 2 à 3 ans, permettant d'associer une formation linguistique, "avec des cours d'intégration civique, une formation et une aide sur le marché du travail".

Mais là encore, ce type d'initiatives qui proposent des formations linguistiques adaptées sont peu nombreuses. L'Allemagne a mis en place des modules en fonction du niveau d'instructions des migrants, mais la France, l'Italie, ou  la Grèce (pour ne citer qu'eux) n'offrent pas de programmes distincts entre migrants humanitaires  dit "peu instruits" ou "très instruits".

Si ce critère paraît pourtant évident, l'OCDE rappelle que l'apprentissage de la langue constitue la clé pour accéder au marché du travail. "Pour un débutant, le taux d'emploi est de 27% alors qu'il est de 67% pour quelqu'un avec un niveau avancé", note Jean-Christophe Dumont, à la tête du département migrations.