Manifestations massives en Chine contre le « zéro Covid » et les confinements : Pékin cherche à minimiser

Par latribune.fr  |   |  1499  mots
Manifestation dimanche 27 novembre à Shanghai, en forme de veillée funèbre pour protester contre la mort de 10 personnes dans l'incendie d'un immeuble auquel les secours n'ont pu accéder à temps, à cause des mesures anti-Covid selon les manifestants. Les feuilles de papier blanc brandies par les manifestants sont devenues le symbole de la protestation contre la censure. (Crédits : Reuters)
Rare démonstration d'hostilité envers le régime du président Xi Jinping, des centaines de personnes sont descendues dans les rues dimanche à Pékin, Shanghai et d'autres villes de Chine pour protester contre les la politique draconienne de zéro Covid de Xi Jinping pratiquée depuis près de trois ans. Face à ces rassemblements inédits les forces de l'ordre ont riposté avec des arrestations à Shanghai et une censure en ligne, notamment sur les réseaux sociaux.

[Article publié dimanche 27.11.2022 à 17:06, mis à jour lundi 28.11 à 12:45]

Les Chinois étaient nombreux à s'être rassemblés, dimanche, pour des manifestations inédites dans le pays. En cause : la politique de zéro Covid pratiquée de manière draconienne par le gouvernement depuis près de trois ans. À Pékin, Shanghai et Wuhan, ils ont répondu à des appels sur les réseaux sociaux, prenant au dépourvu les forces de l'ordre.

Des slogans contre le Parti communiste chinois, et même contre le président ont été entendus tels que l'a montré une vidéo largement diffusée sur internet, et que l'AFP a géolocalisée dans la rue Wulumuqi dans le centre-ville de Shanghai, dans laquelle on entend certains protestataires crier « Xi Jinping, démission ! ». Autres slogans entendus : « Pas de tests Covid, on a faim! », « Xi Jinping, démissionne ! PCC (Parti communiste chinois, ndlr), retire-toi ! », « Non aux confinements, nous voulons la liberté ».

Il s'agit-là de rares démonstrations d'hostilité contre le président et le régime dans la capitale économique du pays, mais qui témoignent du ras-le-bol des Chinois contre les confinements drastiques inopinés, massifs et interminables, avec la chasse des autorités à la découverte du moindre cas de contamination, suivie de mises en quarantaine systématiques des cas contact relégués dans des camps spéciaux ; mais ils sont aussi excédés par l'obligation de produire constamment des tests PCR négatifs, exigés presque quotidiennement pour avoir accès à l'espace public.

En outre, l'incendie survenu à Urumqi, capitale de la province du Xinjiang (nord-ouest) et qui a causé la mort de dix personnes, a catalysé la colère de nombre de Chinois, certains accusant les restrictions sanitaires d'avoir bloqué le travail des secours.

Mais les manifestations de ce week-end ont fait également émerger des demandes pour plus de libertés politiques, voire pour le départ du président Xi Jinping, tout juste reconduit pour un troisième mandat inédit à la tête du pays.

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Des arrestations à Shanghai

Par son étendue sur le territoire, la mobilisation, dont le nombre total de participants est difficile à vérifier, semble la plus importante depuis les émeutes pro-démocratie de 1989. Le contrôle strict des autorités chinoises sur l'information et les restrictions sanitaires sur les voyages à l'intérieur du pays compliquent, en effet, la vérification du nombre total de manifestants durant le week-end.

Loin de remettre en question la politique adoptée ces trois dernières années, le régime chinois a réaffirmé sa volonté de poursuivre dans cette voie, ce lundi. Interrogé sur les manifestations du week-end, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères Zhao Lijian a ainsi déclaré lors d'un point presse, que sous « la direction du Parti communiste chinois et (avec) le soutien du peuple chinois, notre combat contre le Covid-19 sera une réussite »Pékin a également accusé « des forces aux motivations cachées » de lier l'incendie d'Urumqi aux restrictions anti-Covid. La province du Xinjiang, dont Urumqi est la capitale, a allé, ce même jour, plusieurs restrictions contre le Covid alors que certains habitants sont confinés à leur domicile depuis des semaines. Ils pourront désormais se déplacer en bus pour faire des courses dans leur quartier à partir de mardi.

Malgré cet allègement, les autorités chinoises n'ont pas tardé à déclencher une riposte, ce lundi, pour tenter d'effacer toute trace de la vague de manifestations survenue la veille. À Pékin et à Shanghai, par exemple, dès ce matin, une présence policière était visible près des lieux de rassemblements de la veille, ont constaté des journalistes de l'AFP. Non loin de la rivière Liangma à Pékin, où plus de 400 jeunes Chinois s'étaient réunis dimanche soir pendant plusieurs heures, aux cris notamment de « Nous sommes tous des habitants du Xinjiang! », des voitures de police étaient garées et des agents patrouillaient le long du canal.

À Shanghai, une des rues occupées par la foule durant la nuit était désormais entourée de palissades bleues le long des trottoirs pour empêcher tout nouveau rassemblement. La police a également arrêté deux personnes ce lundi dans cette ville. Interrogé sur la raison de l'arrestation, un policier a déclaré à l'AFP que l'une des deux personnes n'avait « pas obéi à nos dispositions », renvoyant vers les autorités locales de police pour plus de détails. Les agents écartaient également d'autres personnes présentes sur place et leur ordonnaient d'effacer des images de leurs téléphones, selon un journaliste de l'AFP. La veille déjà des heurts avaient éclaté avec les forces de l'ordre et de nombreuses personnes ont été arrêtées, a constaté l'AFP. La police de Shanghai, interrogée à plusieurs reprises, n'avait toujours pas répondu ce lundi sur le nombre de détentions durant le week-end.

Parmi les personnes concernées, figure un journaliste de la BBC. Le groupe de médias britannique a, en effet, indiqué dimanche qu'un de ses journalistes en Chine, qui couvrait à Shanghai les manifestations, a été arrêté et « frappé par la police ».

« La BBC est très inquiète de la manière dont a été traité notre journaliste Ed Lawrence qui a été arrêté et menotté pendant qu'il couvrait les manifestations à Shanghai », a indiqué un porte-parole du groupe dans une déclaration transmise à l'AFP.

Selon lui, « il a été battu et frappé par la police », alors qu'il travaillait en tant que journaliste accrédité dans le pays. Le porte-parole a expliqué que la BBC n'avait eu « aucune explication ou excuse officielle des autorités chinoises, au-delà d'une affirmation des fonctionnaires, qui l'ont ensuite libéré, qu'ils l'avaient arrêté pour son propre bien au cas où il aurait attrapé le Covid (au milieu) de la foule ». « Nous ne considérons pas cela comme une explication crédible", a-t-il ajouté.

Censure en ligne

En ligne, et notamment sur les réseaux sociaux, la censure tentait également d'étouffer une reprise du mouvement. Ainsi, toute information concernant ces manifestations semblait avoir été effacée. Sur la plateforme Weibo, sorte de Twitter chinois, les recherches « Rivière Liangma » et « rue Urumqi », deux des lieux de protestations la veille, ne donnaient aucun résultat lié à la mobilisation. Les vidéos montrant des étudiants chanter et manifester dans d'autres villes avaient aussi disparu du réseau WeChat. Elles étaient remplacées par des messages stipulant que la publication avait été signalée « en raison d'un contenu sensible ou contraire aux règles ». Sur Weibo, la recherche du mot-clé #A4 - en référence aux feuilles blanches brandies lors des rassemblements - paraissait avoir été modifiée pour ne donner que quelques résultats des jours précédents.

Cela suffira-t-il à calmer la colère des manifestants ? Rien n'est moins sûr. Elle a, du moins, été « sous-estimée » par « le parti », explique à l'AFP Alfred Wu Muluan, expert en politique chinoise à l'Université nationale de Singapour. « Les gens ont maintenant atteint un point d'ébullition, car il n'y a pas de direction claire sur la voie à suivre pour mettre fin à la politique du zéro Covid », alerte-t-il. Le Quotidien du peuple a publié lundi un texte mettant en garde contre la « paralysie » et la « lassitude » face à la politique zéro Covid, sans toutefois appeler à y mettre fin.

Du côté des marchés, les manifestations ont inquiété les investisseurs, et les Bourses asiatiques étaient en nette baisse à l'ouverture lundi. La Bourse de Hong Kong a, ainsi, plongé de plus de 3%. L'indice Hang Seng a plongé de 3,26% à 17.000,23 points à l'ouverture. L'indice composite de Shanghai, la plus vaste mégalopole chinoise où des heurts ont éclaté, a perdu 1,5% à 3.055,29 points, tandis que celui de la Bourse de Shenzhen, la deuxième de Chine, a perdu 1,54% à 1.953,71 points.

La France inquiète des répercussions de la politique zéro-Covid

La politique Zero-Covid de la Chine agace la France qui s'inquiète des conséquences économiques sur son industrie. Les exportations chinoises ont, en effet, connu en octobre dernier leur premier repli depuis 2020, sous l'effet des nombreuses restrictions sanitaires toujours en vigueur, provoquant des pénuries dans certains secteurs comme celui des semi-conducteurs pour l'automobile.

Pour freiner l'apparition de cas de Covid-19, la Chine multiplie les mises en quarantaine dans des centres les personnes testées positives et exige des tests PCR quasi-quotidiens pour l'accès aux lieux publics. Des règles strictes pour éviter toute contamination et décès alors que les chiffres continuent d'augmenter.

Le pays a d'ailleurs enregistré un nouveau record d'infections, ce week-end. Lundi, les autorités ont fait état d'un nombre de nouvelles infections journalières de 40.052, après 39.506 la veille, soit un niveau record pour le cinquième jour d'affilée. Les villes de Guangzhou et Chongqing, avec des milliers de cas, sont particulièrement affectées.

(avec AFP et photos Reuters)