Emmanuel Macron, un candidat comme les autres ?

Par Fabien Piliu  |   |  1223  mots
Vendredi, l'équipe de campagne d'Emmanuel Macron a présenté le cadrage macroéconomique et financier de son programme.
Emmanuel Macron a présenté le cadrage économique et budgétaire de son programme. Un programme dont les détails restent à découvrir.

Gagner du temps, apaiser les impatients, tenir en haleine les curieux, attirer les sceptiques. Telles sont les priorités d'Emmanuel Macron, le fondateur et candidat à la présidentielle du mouvement En marche. Certes, au cours de ces meetings, de son Tour de France, voire du globe, il distille au compte-gouttes quelques idées, quelques mesures qui permettent d'imaginer ce que sera un jour son programme économique.

Mais ces idées jetées à la volée ne constituent pas un programme, pas encore. La suppression de la taxe d'habitation ne constitue pas à elle seule une politique en faveur du logement. Vendredi, les économistes de son équipe de campagne se sont contentés de dévoiler un cadrage économique et budgétaire d'un programme dont les contours exacts sont encore flous.

Que faut-il en retenir ? Emmanuel Macron souhaite mettre en place une politique fiscale "équilibrée" à la fois pour les ménages et les entreprises. Elle consisterait par exemple à transformer le crédit d'impôt compétitivité et emploi (CICE) en allègements de charges pérennes. Pour relever le pouvoir d'achat et abaisser le coût du travail, il plaide aussi pour la suppression des cotisations salariales chômage et maladie, compensée par une hausse de la CSG pour ne pas grever les comptes sociaux, et augmenter la prime d'activité. Selon les calculs des économistes d'En marche, ces mesures, qui consistent à élargir l'assiette de la protection sociale, doivent réduire de 4% le coût du travail au niveau du SMIC et apporter un gain de pouvoir d'achat de 100 euros par mois à ceux qui touchent le SMIC. Pour redresser les finances publiques, il compté également sur une baisse des effectifs publics estimées à 120.000 personnes environ, ce qui permettrait une économie de trois milliards d'euros.

Des chiffres, mais pas de souffle

Tableaux et graphiques à l'appui, son équipe de campagne dresse une trajectoire, plutôt prudente d'ailleurs, des grands équilibres macroéconomiques jusqu'en 2022. Les motifs sont classiques, rigoureusement ordonnés. Les calculs semblent cohérents, tout du moins pour le grand public. Le travail réalisé par les économistes Jean Pisani-Ferry, qui conseilla autrefois Dominique Strauss-Kahn et Christian Sautter à Bercy, et Philippe Aghion, soutien de Ségolène Royal en 2007, est on ne peut plus classique, proche dans la forme de celui réalisé par les principaux concurrents d'Emmanuel Macron dans la course à l'Elysée.

Mais l'essentiel n'y est pas. Il manque un souffle. Une vision capable de séduire les citoyens et de les convaincre que leur vote en faveur du fondateur d'En Marche n'est pas une fausse bonne idée, qu'Emmanuel Macron sera qui permettra de réformer la France en douceur.

Prenons un exemple. Emmanuel Macron propose la création d'une sécurité sociale professionnelle qui permettra de renforcer l'employabilité des salariés, de raccourcir les périodes d'inactivité et in fine, de mettre au chômage de masse qui touche actuellement les six millions de personnes inscrites à Pôle emploi ? Très bien. Voici une bien belle idée. Mais elle reste vague pour l'instant, en ce qui concerne son exécution. Concrètement, quelle sera le modus operandi ?

Pour relancer l'économie, comme ses concurrents, comme ses prédécesseurs à l'Elysée, il propose un plan d'investissements pour transformer l'Etat. Il met sur la table cinq milliards d'euros pour financer les réorganisations et les investissements matériels indispensables au « passage au numérique »...

Comme ses concurrents, comme ses prédécesseurs à l'Elysée, il veut relancer l'activité, via le développement durable et la rénovation de 50 millions de mètres carrés de bâtiments publics, soit 25% environ du parc total. Coût du projet ? Il est estimé à cinq milliards d'euros sur cinq ans. Selon le principe des vases communicants, cette facture serait allégée par les économies d'énergie provoquées, estimées à 500 millions d'euros par an.

Comme ses concurrents, comme ses prédécesseurs à l'Elysée, il veut mettre sous tension les ministères et les administrations. Là encore, une question se pose, essentielle : que se passera-t-il si les directeurs d'administrations ne jouent pas le jeu de la réforme ?

Les électeurs aimeraient en savoir plus, et le plus rapidement possible, sur sa vision, sur ces réformes qu'il souhaite porter, afin de pouvoir décider en toute sérénité de leur choix une fois seul dans l'isoloir, le 23 avril prochain.

Les paragraphes consacrés à démolir les programmes économiques et budgétaires de ses concurrents - François Fillon, Benoît Hamon, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen - étaient-ils utiles ? Emmanuel Macron, qui se présente comme un homme neuf et différent des autres, était-il obligé de se livrer à cet exercice ? Comme lui, ses opposants estiment être les seuls à proposer des mesures « responsables ».

La marche est haute

Le camp d'Emmanuel Macron a bien conscience de la hauteur de la marche à gravir. C'est en partie pour apaiser les impatients qu'Emmanuel Macron et son entourage ont dévoilé ce cadrage macroéconomique et budgétaire, une sorte de biscuit à grignoter en attendant mieux.

Mais il faut bien avoir en tête que son ambition, à moins qu'il ne fasse machine arrière et recule face à un obstacle devenu trop haut à franchir, n'est pas seulement de bouger quelques curseurs budgétaires et fiscaux pour relancer l'activité.

Même si les quelques propositions déjà dévoilées laissent penser qu'Emmanuel Macron pourrait se contenter de prolonger la politique économique et sociale de François Hollande - une combinaison mêlant politique de l'offre, relance keynesienne et rigueur budgétaire - l'ancien ministre de l'Economie vise plus haut. Il ne veut pas seulement relancer l'économie française.

Il veut transformer la France, ce qui prendra bien plus de temps qu'un simple quinquennat. Son équipe de campagne l'admet de facto : "L'enjeu des cinq ans qui viennent est de mener à bien la transition vers un nouveau modèle de croissance qui développe et valorise les compétences des Français, qui prenne appui sur l'innovation et qui favorise la généralisation de nouveaux modes de vie plus économies en ressources", explique-t-elle dans le communiqué de presse qui accompagne la stratégie économique et budgétaire d'En Marche.

Ce n'est donc pas par plaisir et goût du suspense qu'Emmanuel Macron et son équipe tardent temps à dévoiler leur programme de réformes. C'est parce que les ambitions initialement affichées sont très élevées que celui-ci reste toujours mystérieux, voire opaque pour ses opposants.

On devrait en savoir plus début mars. C'est en effet dans quelques jours, si l'on en croit son entourage, qu'Emmanuel Macron pourrait faire une présentation plus complète de ses intentions. Elles devront être précises, plus précises que celles dévoilées ce vendredi. Certes, pour l'instant, il est très bien placé dans les sondages d'opinion. Certains estime même sa présence au second tour de l'élection présidentielle assurée. Mais jouer avec les nerfs des électeurs est un pari risqué.

Après un président "normal", les Français semblent prêt à la rupture, à la réforme. Emmanuel Macron le sait probablement. Il doit donc agir. Sinon, la marche, ou plutôt la trajectoire vers l'Elysée qu'il rêve d'emprunter pourrait ne pas être aussi rectiligne qu'espérée.