François Hollande, Narcisse inquiet de sa propre postérité

Par Romaric Godin  |   |  1310  mots
François Hollande, auteur de sa propre légende ?
En multipliant les livres confessions, François Hollande tente d'écrire son histoire au présent. Une tâche qui met à jour ses limites.

Voici donc la vie politique française soumise à un phénomène assez inédit. Son chef de l'Etat tente d'écrire, en temps réel, par la parution régulière - à rythme soutenu - de livres « d'entretiens », sa propre histoire, alors même que cette histoire n'est pas terminée. C'est là une véritable nouveauté. Le souci de sculpter une image qui restera dans l'histoire n'est pas propre à François Hollande. Tous ses prédécesseurs l'ont eu et l'ont encore. Mais jamais ils n'ont eu cette obsession de le faire en étant encore en fonction.

« Ubérisation » de sa propre postérité

En utilisant des journalistes pour écrire « son » histoire encore en cours, François Hollande innove donc. Il pratique une forme « d'ubérisation » de sa propre postérité, utilisant le besoin infini de reconnaissance du pouvoir des journalistes pour écrire la chronique de sa pratique du pouvoir. Le recours à des journalistes est très significatif. L'hôte de l'Elysée renonce à recourir à l'écriture littéraire, celle qui permet de prendre du recul et de construire une légende. Il ne s'entretient pas avec un secrétaire ou un proche en vue de publier un « livre d'explication » une fois son mandat achevé qui lui permettra de construire sa future stature d'homme « faisant l'histoire ». Il préfère l'écriture journalistique, celle par essence de l'instant, du commentaire, de la polémique.

Se raconter en président

C'est ce qui rend la démarche de François Hollande des plus singulières. Ces livres ne sont pas des interviews classiques, où l'on fait passer un message à l'opinion par l'écriture des journalistes. On le voit par les grands écarts entre le dernier ouvrage publié mercredi 12 octobre* et son interview contemporaine dans l'Obs. Ce ne sont pas un de ces « exercices de communication » habituels. Pour s'en convaincre, il suffit de voir les explications gênées des « amis du président » sur les « confessions » de leur « président-candidat ». C'est qu'en réalité la temporalité de l'ouvrage n'est pas celle de la campagne des primaires du PS. Il s'agit de « laisser une trace », de « se raconter » pour construire un personnage qui restera dans l'histoire. Il « n'est occupé qu'à faire son apologie, qu'à justifier son passé, qu'à bâtir sur des idées nées les événements accomplis, des choses auxquelles il n'avait jamais songé pendant le cours de ces événements », comme le disait Chateaubriand de Napoléon dans son Mémorial de Sainte-Hélène.

Objectif polémique

Mais en ayant recours à des journalistes, en publiant « in vivo » ces confessions, François Hollande n'est pas dans la position de l'Empereur déchu sur son rocher de l'Atlantique. Il se retrouve dans cette position paradoxale d'écrire au présent sa postérité. Le paradoxe n'est cependant qu'apparent. En cassant les codes habituels de la communication, François Hollande ne renonce pas à ses objectifs. Isolé, impopulaire, peu crédible, il ne lui reste qu'une carte à jouer : le prestige du sortant dans sa posture d'homme d'Etat. En murmurant à l'oreille des journalistes l'envers du décor de sa pratique du pouvoir, le président se met en scène en président et se place dans l'histoire. Il se donne un prestige qu'il espère secrètement voir peser lors de la prochaine campagne, faut de vrai bilan à faire valoir.

Mise en abyme inquiète

Cette stratégie n'est cependant pas que le fruit d'une situation désespérée. La mise en abyme d'un président en fonction se décrivant en tant que président en fonction pour s'assurer qu'il est bien un président en fonction donne l'image d'un Narcisse inquiet, incapable de se convaincre lui-même qu'il est bien un président en fonction. Dans le dernier ouvrage paru, François Hollande se plaint que les journalistes ne voient en lui qu'un éternel secrétaire national du PS et jamais un président, mais lui-même ne semble si peu convaincu de son rôle qu'il doit en permanence se mettre en scène en tant que président. L'ouvrage a cette fonction de l'assurer qu'il est bien un acteur de l'histoire, comme si la fonction elle-même ne lui suffisait pas à s'en convaincre. Et c'est pour cela que François Hollande ne peut attendre la fin de son mandat pour en écrire l'histoire.

Marquer l'histoire

Depuis quelques mois, François Hollande se montre très inquiet de la trace qu'il laissera. On l'a vu dans ses propos sur les attentats qui ont frappé la France, lorsqu'il a souligné combien le président devait faire face à la mort. Faire face à la mort des autres, c'est aussi faire face à la sienne et à l'éternité. C'est faire du président l'intermédiaire entre les vivants et les morts, entre ce monde et l'autre. L'hôte de l'Elysée s'est alors placé dans une temporalité différente de celle des Français. On l'a vu aussi dans la gestion de la loi El-Khomri où l'obsession de « réformer » a pris aussi une tournure métaphysique, où il s'agissait, à tout prix, d'apparaître devant l'histoire comme un président « réformateur » et donc de laisser sa marque à la postérité.

Remplir le vide par lui-même

L'histoire du quinquennat de François Hollande est pourtant objectivement celle d'un renoncement. A ses promesses de 2012, comme à sa conversion « réformatrice » qui a suivi. C'est celle d'une forme d'inaction et d'incapacité permanente de choisir. En renonçant à laisser à la postérité le temps qui est le sien, François Hollande renonce à utiliser le vrai ressort de l'histoire : l'action de long terme. Faute de pouvoir ou vouloir véritablement agir, le président construit donc lui-même la narration de son quinquennat pour tenter de combler un vide dont la trace future l'effraie. François Hollande a peur du vide qu'il laissera, il le remplit donc avec ce qu'il peut : lui-même.

Ramené à ses limites

Et c'est ici le nœud du drame. En cherchant à fuir une réalité qui le condamne à n'être que le plus honni des présidents, il y revient en permanence. François Hollande cherche à prendre de la hauteur, mais ses limites le ramènent en permanence, comme une force gravitationnelle implacable, vers son présent de président peu convaincant et peu convaincu. On remplit donc le vide avec du vide. Et François Hollande, voulant écrire pour l'histoire, n'écrit pour ses seuls contemporains directs que des commentaires qui laisseront tout le monde indifférent dans deux ans ou des polémiques que les historiens futurs ignoreront avec dédain. N'est pas immortel qui veut, fût-il président de la république française.

Manque de consistance

Cette impuissance à construire une véritable postérité, fruit de sa hâte narcissique, est aussi le reflet d'un état de la politique 25 ans après la chute du mur de Berlin. Au fond persuadés que l'histoire est bel et bien terminée, ces politiques ont renoncé à incarner des choix différents économiques et sociaux. La question n'est plus la nature des politiques menées, qui ne font plus guère l'objet de discussions, mais seulement leur intensité. Dès lors, comment un politique peut-il entrer l'histoire ? Nicolas Sarkozy a choisi l'hyperactivité et la surreprésentation médiatique. François Hollande l'autobiographie permanente. Mais le caractère dérisoire de ces efforts révèle le peu de consistance des politiques contemporains. "Après moi, il n'y aura plus que des comptables", disait François Mitterrand, la référence de l'actuel président qui, en bon disciple, lui donne raison. Le cas Hollande a ce mérite : mettre en avant une des principales tares de la vie politique du moment.

 * Gérard Davet & Frabrice Lhomme, "Un président ne devrait pas dire ça", Stock, 659 pages, 24,50 €