Présidentielle 2017, rien ne s'est passé comme prévu !

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1790  mots
La présidentielle 2017 restera dans l'histoire politique comme celle de l'inédit. Deux présidents de la République et trois premiers ministres ont mordu la poussière; le débat d'entre-deux-tous a été le plus désastreux depuis son instauration en 1974; tous les pronostics électoraux ont été déjoués... De fait, il y a un an à peine, c’était certain, Alain Juppé serait président...
La campagne présidentielle 2017 a été complètement inédite: deux présidents de la République et trois premiers ministres ont mordu la poussière; tous les pronostics électoraux ont été déjoués; jamais la personnalité des deux finalistes n'a été aussi opposée...

« Que l'avenir ne soit plus ce qui va arriver, mais ce que nous allons en faire » disait Henri Bergson. Cette campagne présidentielle, qui se termine officiellement ce vendredi 5 mai à minuit, en est la plus parfaite illustration. En un an à peine, toutes les certitudes se sont envolées. Ce qui était impossible est devenu possible... Cette campagne, en réalité, a été totalement inédite, c'est même la campagne des grands chamboulements qui a mis à jour les transformations en cours dans la société française, mais aussi les lignes de fracture qui la traversent.

Il y a un an Juppé serait président, c'était certain...

Rappelons-nous, c'était il y a peine un an et le paysage politique était alors complètement différent de celui d'aujourd'hui. À droite, c'est simple, il n'y avait plus aucun suspens, mais au contraire une certitude : Alain Juppé était le grandissime favori de la primaire annoncée - une première pour à droite et le centre. Le sage de Bordeaux tenait enfin sa revanche, à 70 ans. Il allait s'imposer haut la main face à un Nicolas Sarkozy qui tentait alors son retour en étant devenu président du parti « Les Républicains » (LR). Quant au troisième homme, François Fillon, il était loin, mais alors très loin dans les sondages. Pourtant, l'homme de la Sarthe continuait de labourer consciencieusement le terrain, même si plus grand monde ne croyait en lui.

... Et Hollande allait se représenter, c'était certain

À gauche, autre certitude : le président en place allait se représenter, il fallait juste attendre qu'il se décide à l'annoncer. François Hollande s'y préparait avec une certaine gourmandise même si ses alliés commençaient à avoir quelques doutes. Surtout, ses plus proches lui conseillaient de se méfier de son jeune ministre de l'Économie de 38 ans, Emmanuel Macron, ancien secrétaire général adjoint de l'Élysée. Le jeune Macron venait tout juste, début avril, de lancer à Amiens son mouvement En Marche !, officiellement un simple mouvement de jeunesse à la recherche de nouvelles idées... En réalité, En Marche ! constituait l'ossature de la formation qui allait porter le jeune homme pressé vers l'Élysée. Mais pas question de le dire à ce stade.

En tout état de cause, il y a un an, à écouter tous les commentaires, c'était « plié » pour la présidentielle : Hollande serait éliminé dès le premier tour et Alain Juppé serait triomphalement élu à l'issue d'un second tour qui l'opposerait à Marine Le Pen, la présidente du FN, alors au plus haut dans les sondages.

Le piège fatal de la loi Travail

De belles certitudes qui allaient rapidement voler en éclat. Car en ce printemps 2016, la France s'offre l'une de ces grandes crises politico-sociales comme elle les affectionne. À gauche, les cartes vont être rapidement entièrement redistribuées à cause de la loi réformant le droit du travail portée par Myriam El Khomri.... en apparence. En réalité, ce texte est surtout poussé par le Premier ministre Manuel Valls et le ministre de l'Economie Emmanuel Macron qui, fidèles à leur credo social-libéral, veulent « alléger le Code du travail ». Un texte qui fracture encore davantage un PS qui n'avait déjà pas besoin de ça. Les « frondeurs », Benoit Hamon en tête, n'en veulent pas. Le recours à l'article 49-3 de la Constitution pour faire adopter le projet de loi devient indispensable. C'est le coup de grâce pour un François Hollande déjà passablement démonétisé. Un ministre pourtant influent déclare alors, « je ne comprends pas comment Valls et Macron ont réussi à imposer ce texte au président à moins d'un an de la présidentielle, déjà que cette réforme n'était pas prévue dans notre programme de 2012 ».

De fait, en agissant ainsi, Macron fait coup double. Non seulement il assoit sa réputation de « réformiste » mais en plus il « cornérise » encore plus François Hollande. Et, de fait, comme le dit souvent le président de la République « rien ne se passe jamais comme prévu ». En effet, fin août, en démissionnant de son poste de ministre de l'Économie, Emmanuel Macron cache de moins en moins ses intentions présidentielles. De son côté, Manuel Valls en fait autant, n'hésitant pas à imaginer se présenter à la primaire socialiste... contre le chef de l'État qui, lui, voyait cette primaire comme un simple exercice de relégitimation. Tout a raté pour François Hollande qui jettera l'éponge début décembre.

Deux présidents de la République et trois Premiers ministres éliminés...

Manuel Valls pense alors emporter cette fameuse primaire. Mais il sous-estime totalement son absence de popularité au sein du parti, surtout face à un Benoît Hamon qui incarne alors un « PS canal historique ». De fait, Manuel Valls sera battu. Quant à Emmanuel Macron, très astucieusement, il ne se mêle pas à ces débats et mène son propre chemin, surfant sur le besoin de renouveau et le « ras-le-bol des partis » qui animent les Français. Résultat, à gauche, un président de la République est « empêché » de se représenter et un ex-Premier ministre ne peut pas concourir à la présidentielle. Un vrai jeu de massacre.

Mais ce chamboule-tout n'épargne pas la droite. À l'automne, à la surprise générale, François Fillon emporte la primaire de la droite et du centre, aux dépens d'un Nicolas Sarkozy qui n'a pas su renouveler son discours et qui a sous-estimé le rejet dont il faisait l'objet au-delà de son  "fan club" au sein de "LR" et, surtout d'un Alain Juppé, qui a très imprudemment trop campé sur son statut de favori dans les sondages. Là aussi, donc, un ancien premier ministre et un ancien président de la République mordent la poussière. On connaît la suite. François Fillon, promis, selon les enquêtes de la fin 2016, à une victoire quasi acquise lors de la présidentielle, chutera à son tour au premier tour du scrutin, plombé par les « affaires » qui ont empoisonné sa campagne. Et encore un ex-Premier ministre éliminé! Au total, ce sont ainsi, deux présidents de la République - l'actuel et le précédent- qui ont été dans l'impossibilité de concourir ainsi que trois ex-Premiers ministres : Fillon, Juppé, Valls. Du jamais vu.

Et, bien entendu, c'est le « jeune » Macron, quasi-inconnu du grand public deux ans plus tôt, qui profite de ce carnage politique, surtout avec son positionnement « ni gauche ni droite » qui semble séduire les Français, las de trente années d'alternance.

Le "choc" Mélenchon

La grogne vis-à-vis de l'Europe constitue la grande nouveauté de cette campagne. Le « non » des Français au referendum de 2005, ignoré par les gouvernants successifs, est revenu comme un boomerang. Il explique en grande partie - avec la crise qui ravage le PS - le succès de Jean-Luc Mélenchon. Le tribun de la France Insoumise a su surfer sur cette vague hostile à la construction européenne telle qu'elle se déroule. Jean-Luc Mélenchon a su proposer un discours « contre les traités européens » alternatif à celui trop primaire de Marine Le Pen. Si l'on ajoute à cela l'excellente campagne novatrice menée par l'ancien ministre de François Mitterrand - notamment sur les réseaux sociaux - et son impressionnante maîtrise des débats électoraux, on comprend pourquoi Jean-Luc Mélenchon est passé de 11% des suffrages en 2011 à 19,6% cette année.

Jean-Luc Mélenchon partage avec Emmanuel Macron le fait d'avoir fait éclater les codes quasi traditionnels de l'élection présidentielle. Les deux candidats se sont «répartis» les dépouilles des électeurs du PS né à Epinay. Résultat, avec la disqualification à droite de François Fillon dès le premier tour, c'est la première fois depuis le début de la cinquième République qu'aucun des deux candidats des « partis » de gouvernement ne se retrouvent au second tour. C'est, là aussi, un fait majeur de cette campagne. Et les conséquences vont être très importantes. Car au PS comme à « LR », l'heure des règlements de compte va sonner au lendemain des législatives avec des remises en cause majeures.

Le plus désastreux débat d'entre-deux-tours

Enfin, il y a ce fameux débat d'entre-deux-tours. Encore une grande première : pour la première fois, le candidat du Front National y participait. En 2002, en effet, Jacques Chirac avait refusé de débattre avec Jean-Marie Le Pen. Cette fois, le cas de figure a été différent, Emmanuel Macron et Marine Le Pen se sont opposés... Et on a vu le résultat. À cause de l'attitude agressive de la candidate FN, on a assisté à la pire rencontre depuis l'instauration de ce rendez-vous en 1974. Une vraie bataille de chiffonniers où les deux journalistes animateurs avaient l'air totalement dépassés.

D'une façon plus générale, le rôle de la télévision s'est encore un peu plus affirmé dans cette campagne. Pour la première fois, un débat entre les onze candidats s'est déroulé avant le premier tour. Et l'exercice, pas évident, a plutôt tenu ses promesses. On peut parier qu'il deviendra bientôt un nouveau grand classique.

Dans un tout autre domaine, cette campagne va aussi remettre en cause le principe des « primaires ouvertes » dans cette campagne. Il y a quelques mois encore, ces primaires apparaissaient comme novatrices, incontournables, aboutissement de la démocratie... La disqualification des deux élus des primaires dès le premier tour a totalement redistribué les cartes, tout est remis en cause, surtout à droite. Plusieurs leaders de « LR » ne veulent plus en entendre parler, préférant à l'avenir une « primaire fermée », c'est-à-dire réservée aux seuls militants réellement encartés. Pourtant, à y regarder de près, est-ce vraiment les primaires qui ont « coulé » Benoît Hamon et François Fillon ? On peut en douter.

L'Élite contre le peuple?

Enfin, cette campagne se caractérise par la personnalité et l'image que renvoient les deux candidats du second tour... d'une façon presque caricaturale. D'un côté Emmanuel Macron, le candidat sorti de quasi nulle part, jamais élu, pur produit des élites françaises, représente la France de la « mondialisation heureuse », des métropoles urbaines tournées vers l'avenir. De l'autre, Marine Le Pen, qui joue sur la fibre plébéienne, cherchant à incarner la « France délaissée », celle de la « périphérie » victime de la mondialisation. Une cassure réelle dont la résorption constituera la « mère de toutes les batailles » du prochain quinquennat.