Suppression de la taxe d'habitation : les maires contre la proposition Macron

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1074  mots
L'idée d'Emmanuel Macron de supprimer la taxe d'habitation pour 80% des Français a déclenché une grosse polémique avec les élus locaux, notamment l'Association des Maires de France, qui dénoncent une remise en cause de la libre administration des collectivités locales et qui craignent pour leur autonomie fiscale.
Le candidat de En Marche! propose de supprimer la taxe d'habitation pour 80% des Français. Soit une perte de 10 milliards d'euros pour les collectivités qu'Emmanuel Macron ferait compenser par l'Etat. Mais l'Association des Maires de France ne veut pas dépendre de subventions et réclame, au contraire, davantage d'autonomie fiscale.

Supprimer la taxe d'habitation, c'est l'une des mesures phares annoncées la semaine dernière sur les ondes de BFM TV et RMC par Emmanuel Macron, le candidat de En Marche ! L'ancien ministre de l'Economie aura l'occasion d'en dire plus jeudi 2 mars lorsqu'il présentera l'intégralité de son programme. Mais c'est peu dire que sa proposition a déjà fait hurler les collectivités locales, et notamment l'Association des maires de France (AMF) qui craint que les communes et intercommunalités soient ainsi privées de de 10 milliards d'euros de recettes, « soit une perte de 36% de l'ensemble de leurs ressources propres ! » estime l'AMF dans un communiqué.

Un impôt "injuste"

Pour Emmanuel Macron, la taxe d'habitation (TH) est un impôt injuste : «On paye beaucoup moins à Paris que dans le reste de la France, on paye souvent beaucoup plus quand on vit dans une commune pauvre que dans une commune riche (...). Cette taxe  pèse particulièrement sur les classes populaires et les classes moyennes dont elle consomme une part importante du revenu, alors qu'elle représente une faible part des revenus des ménages aisés ».

S'il est élu, Emmanuel Macron propose donc de supprimer la taxe d'habitation - due par toute personne occupant un logement - en trois étapes entre 2018 et 2020. La suppression concernerait les ménages dont le revenu imposable est inférieur à 20.000 euros par an par part fiscale, soit 5.000 euros par mois pour un couple avec deux enfants selon l'argumentaire de l'ancien ministre.

Actuellement, déjà, sont exonérés de taxe d'habitation en 2017, certains ménages (invalides, personnes âgées, veufs, etc.) dont le revenu fiscal de référence de 2016 ne dépassait pas 10.708 euros pour la première part à laquelle s'ajoute 2.859 euros pour chaque demi-part supplémentaires.

Selon Valérie Rabault, rapporteure générale du Budget à l'Assemblée nationale, chargée d'analyser les ménages exonérés, in fine, 12% des ménages étaient exonérés de taxe d'habitation en 2014, soit 3,66 millions d'individus. Ce nombre atteindrait 4,1 millions en 2016.

481 euros à Paris... 1.142 à Nîmes

Selon des données de la Direction générale des Finances publiques, cette taxe a rapporté 22 milliards d'euros de recettes aux collectivités locales en 2015. C'est même quasi la seule taxe « autonome » dont disposent les municipalités. Alors, comme le souligne en effet Emmanuel Macron, il est exact que cette fiscalité à un côté « injuste », selon où l'on habite sur le territoire. En moyenne nationale la TH s'élevait en 2016 dans les villes de plus de 100.000 habitants à 1.097 euros. Mais si elle est limitée à 481 euros à Paris, elle grimpe à ... 1.142 euros à Nîmes.

Pourquoi de telles variations ? Il revient aux collectivités locales de fixer le taux de la TH qui s'applique à la valeur locative du logement. Or, cette valeur locative dépend de critères déterminés dans les années 1970 qui n'ont jamais été revus depuis... D'ailleurs, depuis 2011, une réforme des valeurs locatives a été lancée mais elle tarde à aboutir...

Macron promet une compensation aux collectivités....

Selon Emmanuel Macron, sa mesure d'exonération coûterait 10 milliards d'euros aux finances publiques, le manque à gagner est donc important pour les collectivités locales. Aussi, le candidat de En Marche ! s'engage à ce que ces collectivités ne soient pas pénalisées car « L'Etat remboursera entièrement auprès des communes leur manque à gagner à l'euro près ».

Mais chat échaudé craignant l'eau froide, l'AMF constate dans son communiqué que l'Etat "depuis longtemps, ne compense plus réellement les conséquences de ses propres décisions. Alors que les collectivités ont subi ces dernières années des baisses de leurs dotations et des pertes de liberté fiscale, ce serait un nouveau coup porté à la capacité d'action des communes".

L'Association des Maires de France estime aussi que cette réforme serait

« attentatoire aux libertés locales car, en privant de manière autoritaire les communes et leurs intercommunalités d'un tel montant de ressources propres, l'Etat remettrait en cause leur libre administration et leur capacité d'assurer les services publics essentiels attendus par la population, de l'école à la solidarité »

 En d'autres termes, pour l'Association des maires, cette réforme va totalement à l'encontre du mouvement actuel de décentralisation qui tend à donner aux collectivités des ressources fiscales propres afin qu'elles n'aient plus à dépendre des dotations de l'Etat.

... Mais les Maires n'en veulent pas

André Laignel, vice-président PS, de l'Association des Maires de France ne dit pas autre chose sur son blog et tire le signal d'alarme sur une éventuelle suppression de la TH :

« elle mettrait gravement en péril la situation financière déjà délicate des collectivités locales, en leur faisant perdre une de leurs toutes dernières ressources dynamiques. Car aucun élu local n'est dupe sur la prétendue compensation intégrale pour les communes de cette perte de recettes ; l'Etat n'a jamais tenu ses promesses en la matière, au-delà de la première année. Certes, les impôts locaux méritent d'être modernisés, notamment pour les rendre plus justes. Mais où est la modernité quand on propose de faire table rase, plutôt de s'attacher à faire réussir une nécessaire réforme déjà engagée avec le soutien des élus locaux ? Enfin, et c'est ici le plus grave, peut-on encore parler de libre administration des collectivités locales (principe constitutionnel, rappelons-le), si ces dernières n'ont plus aucune autonomie fiscale et se retrouvent entièrement dépendantes financièrement de ce que voudra bien lui concéder l'Etat ? »

 Pour les municipalités, l'exemple à suivre est davantage le mécanisme qui a été trouvé entre l'Etat et les Régions pour que ces dernières puissent assumer leurs nouvelles compétences économiques issues de la loi NOTRe. A compter de 2018, les régions vont bénéficier d'une fraction du produit de la TVA qui entrainera environ 120 millions d'euros de recettes supplémentaires chaque année. C'est ce genre de fiscalité dynamique que réclament les collectivités... pas des subventions.

Ceci dit, le projet de suppression de la TH n'a rien d'une mesure nouvelle. Lionel Jospin y avait songé en 2000. Finalement, pour des raisons politiques, il s'était contenté de supprimer la « part régionale » de la taxe ce qui avait conduit à la diminuer de 14,7%.

Quant au candidat écologiste de 2002, Noël Mamère, il proposait lui aussi de supprimer purement et simplement la taxe d'habitation..