Y aura-t-il encore du travail demain ?

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1269  mots
Selon une étude du Worl Economic Forum, 5,1 millions d'emplois vont être perdus d'ici 2020 dans les 15 pays les plus industrialisés en rasion de la révolution numérique. C'est dans ce contexte que Benoît Hamon a voulu imposer le débat sur le revenu universel
Benoît Hamon a réussi à imposer le débat sur le revenu universel. Pour lui, c'est un dispositif susceptible de répondre à la raréfaction à venir de la "denrée travail". Ce postulat est-il exact ?

Quelle place pour le travail et l'emploi demain ? C'est LA question qui agite les esprits de cet entre-deux tours de la primaire organisée par le Parti socialiste. L'avenir du travail est LE différend qui oppose Benoît Hamon et Manuel Valls. C'est la proposition centrale de Benoît Hamon d'instituer un revenu universel qui a servi de révélateur. Pour lui, ce revenu universel doit à l'avenir permettre d'assurer un revenu décent à tout le monde, alors que la denrée « travail » va se raréfier et qu'il faudra bien que les gens continuent de vivre. Pas du tout, rétorque en substance Manuel Valls, le travail a un avenir et le revenu universel est au mieux une utopie coûteuse et au pire une incitation à l'assistanat...

C'est donc bien la question de l'avenir du travail et de l'emploi, sous toutes ses formes, qui sous-tend la question de la nécessité d'instituer, ou pas, un revenu vraiment universel. En d'autres termes, le camp Hamon, craignant une forme de malthusianisme du travail, veut organiser ses conséquences, alors que le camp Valls défendrait plutôt la thèse "schumpetérienne" de la destruction créatrice.

5,1 millions d'emplois perdus d'ici 2020

Qu'en est-il alors de l'avenir. Si l'on reprend une l'étude « The Future of jobs » du très établi World Economic Forum (WEF), organisateur du rendez-vous annuel de Davos, parue en janvier 2016 et qui avait défrayé la chronique, ce sont 7,1 millions d'emplois qui seront détruits d'ici 2020 et... 2 millions qui seront créés, soit un solde net de 5,1 millions d'emplois disparus. Cette étude portait sur les quinze pays les plus industrialisés (hors Chine) et ces disparitions seront essentiellement dues aux seuls changements technologiques et d'organisation. Le WEF était même entré dans le détail en prévoyant 4,7 millions d'emplois perdus dans les fonctions de bureaux et d'administration, 1,6 million dans la production industrielle, 497.000 dans la construction. A l'inverse, 492.000 postes seraient créés dans la finance, 416.000 dans le management, 405.000 dans l'informatique et 339.000 dans l'engineering.

Face à ce séisme, Klaus Schwab, président du WEF et fondateur de Davos lançait un cri d'alarme aux gouvernements sur les nouveaux besoins de compétences nécessaires pour faire face à la montée du chômage et des inégalités qui vont découler de cette « quatrième révolution industrielle », c'est-à-dire la révolution numérique. Pour le WEF, la créativité, le savoir-faire en matière de résolution des problèmes, l'esprit critique et le management, la capacité à travailler en équipe, etc. seront des compétences indispensables pour s'adapter. Et malheur à ceux qui n'auront pas su ou pu se former aux nouvelles technologies car ils resteront au bord de la route. Un constat donc un peu glaçant...

Les transformations de l'emploi déjà à l'oeuvre

C'est pourquoi certains imaginent une évolution de la notion d'emploi qui ne serait plus basé sur le seul classique rapport salarié/entreprise, hérité de la première révolution industrielle au XIX è siècle. En d'autres termes, il s'agit de cogiter sur des évolutions afin de permettre que la révolution technologique ne se transforme pas en « tsunami techno-social ».

Parmi la somme d'études sur la question, l'une peut spécialement mériter de retenir l'attention. Dénommée « Penser l'emploi autrement », elle émane du Lab'Ho, un think tank du groupe Adecco. Elle a été dirigée par Tristan d'Avezac, expert des questions d'emploi et d'accompagnement des transitions. Ce rapport dresse un état des lieux très complet des transformations qui sont à l'œuvre: le développement rapide des formes particulières d'emploi (CDD, intérim) ; le regain du travail indépendant, avec le développement du statut d'auto-entrepeneur et l'essor des plateformes dites « collaboratives », style Uber ; l'émergence des statuts « hybrides », tels le portage salarial et les coopératives ; les groupements d'employeurs, etc. Il constate aussi que la révolution numérique va entrainer une « disparition des collectifs de travail traditionnels » et que le risque d'isolement des travailleurs de l'économie numérique est bien réel. A l'instar du WEF, l'étude plaide pour une rapide mutation de la formation vers des compétences « digitales et comportementales ».

En termes de créations et destructions d'emplois, l'étude du Lab'Ho se montre moins pessimiste que celle du WEF. Elle cite un rapport du Centre d'Analyse Stratégique (CAS) sur l'évolution de l'emploi à l'horizon 2030 qui identifie « trois grandes tendances de réallocation des emplois entre secteurs porteurs et en déclin ». Ainsi, les emplois d'utilité collective et des services à la personne connaîtraient une certaine croissance. En revanche, le déclin frapperait «l'emploi industriel fortement impacté par la concurrence internationale ». Enfin, il y aurait une stabilité des secteurs d'intermédiation et de la construction.

In fine, le rapport du CAS conclut que, si le bilan en termes d'emploi est positif avec près de 1,8 million d'emplois créés, d'importants mouvements « de réallocations sectorielles auront lieu , nécessitant un système de formation adapté à la hausse des qualifications et à l'orientation davantage servicielle des métiers ».

Des secteurs et métiers gagnants et d'autres perdants

Les secteurs « gagnants » en termes d'emplois seraient notamment « le « Conseil et Assistance », « l'Action sociale », « les Services personnels et Domestiques », les « Activités récréatives, culturelles et sportives », etc. A l'inverse, le solde d'emploi serait négatif dans les secteurs des « Combustibles et carburants », les « activités associatives », « le commerce et la réparation automobile », l'Aéronautique », etc.

Si l'on se concentre sur les métiers, ceux qui sont le plus appelés à disparaître sont : démarcheur téléphonique, dactylo, secrétaire juridique, gestionnaire de compte financier, expert-comptable, etc. Au contraire, les moins menacé sont : conseiller d'éducation, tenancier de bar, hôtelier, orthophoniste, etc.

Pour accompagner les mutations en cours, l'étude du Lab'Ho formule quelques propositions extrêmement diverses, comme la création "d'opérateurs d'accompagnement multi-status" qui auraient pour but d'accompagner des actifs appelés à changer régulièrement de statut. Avec l'émergence du travail indépendant, il conviendrait aussi de créer des « communautés d'échanges et de discussions pour les indépendants ». Dans un tout autre domaine, il faudrait « combiner le virtuel et le réel pour outiller les jeunes sur la connaissance des métiers et la recherche d'emploi ».

Parler du revenu universel a le mérite de poser le débat sur l'évolution du travail

Quantitativement et qualitativement parlant donc, le monde du travail va entrer en ébullition, c'est une évidence. Manifestement, il y aura encore de l'emploi, mais sous des formes variées. Surtout, du fait de la révolution numérique, de nouveaux métiers vont émerger et, à l'inverse, d'autres vont disparaître, libérant ainsi une main d'œuvre disponible pour assurer des services aujourd'hui mal ou peu assurés. Réfléchir, dans ce contexte, à une forme de revenu minimum pour permettre au plus grand nombre de vivre sans trop de casse ces mutations n'est donc pas une mauvaise idée, surtout si les gains de productivité permettent de dégager des moyens suffisants.

Alors, certes, le revenu universel à la sauce Benoît Hamon n'est certainement pas la panacée. Mais le débat qu'à installé le député des Yvelines ne devrait pas être sèchement refermé. Au-delà des questions de financement ou « morales » - l'encouragement à « l'assistanat » - , Il a le mérite de « pousser » à réfléchir au nécessaire accompagnement des mutations du travail. Ce n'est peut-être pas un enjeu majeur pour la présidentielle de 2017 mais ce le sera certainement pour celle de 2022.