Bruxelles voudrait révolutionner le marché des dettes souveraines

Par Florence Autret  |   |  914  mots
Pour le vice-président de la Commission européenne Valdis Dombrovskis, mutualisation et réduction des risques doivent "aller de pair".
Avec un « T-Bond » européen sur le modèle des bons du Trésor américain et des « subprimes » souverains pour délester les bilans des banques du sud de l'Europe, la Commission européenne espère à la fois répondre aux demandes allemandes de réduction des risques et faire de l'euro une monnaie de réserve mondiale.

"Quelque chose que l'on soumet à la réflexion" : c'est ainsi que le vice-président de l'exécutif européen Valdis Dombrovskis a présenté mercredi le projet de "T-Bond européen" qui figure dans un "document de réflexion sur l'affrondissement de l'union économique et monétaire" que venait d'adopter le collège des commissaires. Avec le European Safe Asset ou Actif européen sans risque, la Commission rêve de proposer aux investisseurs un titre émis au nom de tous les pays de la zone euro et comparable aux Bons du Trésor américain.

Un tel actif "favoriserait la diversification des actifs détenus par les banques, améliorerait la liquidité et la transmission de la politique monétaire et contribuerait à remédier à l'interdépendance entre les banques et les Etats", peut-on lire dans ce texte d'une quarantaine de pages censé nourrir les négociations à venir entre les Dix-Neuf membres de l'euro.

Surexposition des banques aux dettes publiques de leur propre pays

Depuis la crise de 2009, la zone euro est en effet confrontée à un phénomène de "renationalisation" de l'épargne et surtout de surexposition des banques domestiques au risque de défaut de leur propre pays. En 2016, les obligations émises par l'Etat italien représentent près de 14% des risques inscrits dans les bilans de banques italiennes et près de 13% au Portugal, selon une récente étude du Parlement européen qui s'appuie sur les données de l'Autorité bancaire européenne. En France et en Allemagne ce pourcentage est de respectivement 6 et 9%. Une situation qui crée un cercle vicieux entre risque souverain et risque bancaire.

Les  "European Safe Assets", énième version des eurobonds évoqués à de multiples reprises depuis la création de la monnaie unique et toujours écartés, pourraient, selon certains, servir à dégager des ressources pour un budget de la zone euro. Pour d'autres, il servirait uniquement à « vendre la marque européenne », comme l'a dit le vice-président, aux investisseurs et contribuerait ainsi à prévenir une crise de financement dans un pays de la zone comme celle qu'ont connu la Grèce, l'Irlande, le Portugal, Chypre et l'Espagne après la crise de 2008. La Commission européenne n'envisage pas leur création quoiqu'il en soit avant... 2025, l'horizon qu'elle propose pour parachever la réforme de la zone euro et modifier les traités européens.

"Subprimes" souverains

En attendant, pour délester les bilans bancaires de leurs excès de souverains, elle mise sur leur dissémination dans le marché au moyen de la titrisation. Depuis 2016, le Conseil européen du risque systémique (CERS), logé auprès de la BCE à Francfort, planche en effet sur des "Sovereign Bond Backed Securities" (SBBS), des produits financiers titrisés créés à partir du regroupement de titres de dettes des 19 pays de la zone euro. Le  CERS ne devrait achever ses travaux qu'à la fin de l'année.

Le principal obstacle à la création de ce type de produit réside dans la surcharge en capital actuellement exigée pour les produits titrisés. Les titres souverains bénéficiant d'une pondération de risque nulle et pouvant donc être conservés "gratuitement" (autrement dit sans exigence en capital) par les banques dans leur bilan, on voit mal l'intérêt de ces dernières à acquérir ces produits plus complexes et coûteux. Mercredi dans un entretien exclusif avec quelques journaux européens, Valdis Dombrovskis a admis que le lancement des SBBS appellerait des « changements réglementaires » pour permettre leur détention au même coût en capital (nul) que les simples souverains.

Il y a toutefois un problème. Au nom d'une sorte de morale de la responsabilité, l'Allemagne demande que les régulateurs financiers reviennent sur l'idée que les titres souverains ne comportent pas de risque. Le Comité de Bâle, qui réunit les banquiers centraux, planche sur le sujet depuis plusieurs années. Or il n'a de cesse de temporiser : le volume du marché des titres souverains est tel que tout changement dans les exigences en capital liées à la détention de ces titres pourrait avoir des conséquences dramatiques sur la solvabilité des banques, donc la stabilité financière.

Réduction et mutualisation des risques "doivent aller de pair"

Aussi, la Commission européenne propose-t-elle d'opérer « en deux temps », comme l'a expliqué son vice-président. D'abord fluidifier le marché du souverain en titrisant une partie des dettes souveraines à des conditions préférentielles puis envisager l'émission des "European Safe Assets" et revoir en même temps à la hausse la pondération du souverain. Sur le papier, la séquence fonctionne. En pratique, il faudra voir ce que les acteurs financiers et les Etats membres penseront de ce plan.

La semaine dernière, les ministres des finances français et allemand ont en effet annoncé la création d'un groupe de travail sur la réforme de l'union monétaire.

Valdis Dombrovskis a déclaré hier « attendre le résultat de l'initiative Schäuble-Le Maire ».

 Les progrès de l'union monétaire ont jusqu'à présent été ralentis par la réticence de l'Allemagne à prendre quelque initiative qui aboutisse à mutualiser les risques - publics ou privés - entre membres de la zone euro, appelant à réduire préalablement les dettes existantes. « Les deux doivent aller de pair », a expliqué mercredi le vice-président Dombrovskis, attendant visiblement de la France qu'elle débloque la discussion.