Compétitivité : la concurrence fait rage au sein de la zone euro

Par Fabien Piliu  |   |  1236  mots
Comme prévu, Charles Michel, le Premier ministre belge, lance un choc de compétitivité pour relancer l'économie de son pays
Dimanche, François Hollande, le chef de l'Etat, appelait de ses vœux la création d'un gouvernement de la zone euro pour accélérer l'intégration économique de ses pays membres. En attendant, chaque pays joue cavalier seul pour sortir de la crise, ce qui alimente la concurrence au sein même de la zone euro.

Dimanche, dans une tribune publiée dans le Journal du Dimanche, François Hollande reprenait une idée un temps émise par Jacques Delors : créer un gouvernement et un Parlement de la zone euro. Qu'importe le fait que des instances similaires existent déjà. L'eurogroupe et l'institutionnalisation de la réunion des chefs d'Etat de la zone euro jouent déjà ce rôle. Qu'importe également que le chef de l'Etat recycle une idée déjà ancienne pour masquer l'incroyable discrétion de la France au cours de ces derniers mois dans le dossier grec.

Avec ces " nouvelles " instances, si l'on en croit François Hollande, l'intégration économique des pays membres de la zone euro serait accélérée, ce qui permettrait d'éviter que ne se reproduise une crise comparable à celle qui vient de secouer, et qui secoue, la Grèce.

Cavalier seul

Il serait temps. En attendant, un à un, les pays membres de la zone euro continuent de jouer cavalier seul en multipliant les réformes capables de leur donner un avantage décisif sur leurs principaux partenaires et concurrents européens.

Un "virage fiscal" en Belgique

Ce jeudi, des sources gouvernementales belges ont indiqué que le gouvernement du Premier ministre, le libéral francophone Charles Michel, avait décidé d'engager un "virage fiscal" permettant d'alléger le coût salarial.

Cette réorientation de la fiscalité n'est pas une surprise. C'est l'une des mesures phares du gouvernement de droite arrivé au pouvoir en octobre. Concrètement, ce "virage fiscal" consistera en un allègement des cotisations sociales sur les salaires, qui passeront de 33 à 25%. Cette mesure entraînera une baisse des charges pour les entreprises de quelque 900 millions d'euros, selon une source gouvernementale citée par l'agence Belga.
En outre, une somme de 430 millions d'euros a été affectée au développement des petites et moyennes entreprises. Pour financer ces mesures, le taux de TVA sur l'électricité passera de 6% à 21%. Les taxes sur les sodas, l'alcool et le gazole seront augmentées.

L'Allemagne, pionnière de la désinflation compétitive

En procédant ainsi, la Belgique prend simplement modèle sur ce qui a déjà été fait ailleurs notamment dans l'union monétaire, à ses frontières. C'est l'Allemagne qui a ouvert le bal, en 2007. Pour compenser la baisse de deux points des cotisations chômage, le gouvernement dirigé déjà par Angela Merkel décide de remonter de 16% à 19% le taux de TVA. Les effets de cette mesure s'ajoutent aux effets positifs sur la compétitivité prix de la quasi-stagnation des salaires outre-Rhin. Avec le Pacte de compétitivité, dont la mesure-phare est le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), et le Pacte de responsabilité qui prévoit de réduire de 40 milliards le poids des cotisations patronales, la France a adopté la même stratégie. Une stratégie considérée par l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) comme de la désinflation compétitive qui explique en partie les succès du made in Germany à l'international

 En Italie, l'impôt sur les sociétés est passé de 33% à 27,5%

En Italie, idem. Les allègements fiscaux en direction des entreprises ont été nombreux. Citons notamment la baisse de 10 % de l'Irap, une taxe régionale. Le gouvernement a également pris des mesures pour permettre à l'administration de payer les arriérés de factures dues aux entreprises. Leur montant s'élève à 60 milliards d'euros. Pour y parvenir, la Caisse des dépôts et des prêts remettra une créance garantie par l'État que l'entreprise bénéficiaire pourra faire valoir auprès des banques. Ces mesures interviennent après l'abaissement par le prédécesseur de Matteo Renzi, Enrico Letta, du taux de l'impôt sur les sociétés (IS), passé de 33% à 27,5% entre 2013 et 2014.

On pourrait à l'envi multiplier les exemples de ce type. En 2013, le gouvernement portugais a décidé de réduire l'IS de 25% à 23%. Il continuait à baisser pour atteindre une fourchette prévue entre 17% et 19% l'année prochaine. En 2014, il a été réduit de 5 points pour atteindre 25%. Seules exceptions, Chypre et la Grèce ! Parmi les gages réclamés pour obtenir l'aide internationale octroyée à Nicosie et à Athènes, une hausse du taux d'IS a été décidée, imposée. A Chypre, celui-ci est passé de 10% à 12,5% en avril 2013. En Grèce, il passera de 23% à 26% en 2016.

En utilisant la fiscalité, les pays de la zone euro ne se contentent pas donner de la marge à leurs entreprises, en relevant leur compétitivité-prix. Ils améliorent également l'attractivité de leurs territoires augmentant de facto leurs chances d'attirer des investissements étrangers. Des investissements désormais précieux pour la plupart des économies, industrialisées ou émergentes. En France, dans le secteur marchand, un salariés sur sept travaille pour une entreprise étrangère, soit deux millions de personnes.

La puissance du Mittelstand

Ces stratégies nationales peuvent-elles être efficaces ? Le succès des entreprises allemandes à l'international s'explique de différentes et de nombreuses manières : la puissance de son Mittelstand et des écosystèmes régionaux, la qualité de sa formation professionnelle sont évidemment à citer car ils expliquent le niveau élevé de la compétitivité hors-prix des produits fabriqués en Allemagne. La désinflation compétitive - jugée déloyale par certains économistes  - menée depuis le début des années 2000 a permis de renforcer leur compétitivité-prix. C'est un fait. Mais cette stratégie a surtout fonctionné parce que l'Allemagne était la première à la déployer. Aujourd'hui, la multiplication des chocs de compétitivité au sein de la zone euro annule en partie leurs effets positifs sur la croissance et l'attractivité.

Un budget fédéral pour la zone euro ?

Dans ce contexte, les propositions de François Hollande peuvent-elles être retenues par les pays membres de la zone euro ? L'avenir le dira.

D'autres mesures pourraient être prises pour renforcer les solidarités au sein de l'union monétaire. En 2014, après la crise chypriote, le Conseil d'analyse économique (CAE) souhaitait déjà le renforcement de l'intégration économique au sein de la zone euro. Parallèlement à l'union bancaire réclamée, le CAE proposait la mise en place d'une union budgétaire, " comme complément nécessaire à l'union monétaire ".

" Une union budgétaire aiderait les États membres à compenser leur manque d'autonomie en matière de politique monétaire lorsqu'ils font face à un choc macroéconomique spécifique. Selon la théorie des zones monétaires optimales, les pays d'une union monétaire doivent pourvoir s'appuyer sur des dispositifs alternatifs d'ajustement, comme la flexibilité des salaires et des prix, la mobilité des facteurs de production ou un budget fédéral. L'effet stabilisant de ce dernier suite à un choc spécifique peut être direct (en soutenant le revenu disponible par des transferts dans les pays en crise) ou bien indirect (en facilitant la mobilité du travail et en stabilisant les mouvements de capitaux). La question clé est alors celle des ressources pour alimenter ce budget. Nous proposons d'utiliser l'IS du secteur bancaire [dont le taux et l'assiette auront été préalablement harmonisés] comme une première étape dans la construction d'un budget zone euro. Un chiffrage grossier laisse penser que les recettes annuelles pourraient être de l'ordre de 20 milliards d'euros ".

Inaudible en 2014, le CAE fera-t-il entendre sa voix en 2015 ?