Croissance : l'Allemagne devrait relancer les salaires, estime Villeroy de Galhau

Par Ivan Best  |   |  925  mots
François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France
Pour le  gouverneur de la Banque de France, la faiblesse de la demande est d'abord à l'origine de la croissance ralentie en Europe. L'Allemagne a des marges de manoeuvre pour relancer cette demande. Berlin devrait impulser une relance à la fois budgétaire et salariale

Le débat sur la stagnation séculaire va-t-il parvenir en France ? Comme le font remarquer les Américains, qui soulignent le paradoxe, c'est la zone euro -et notamment la France- qui connaît depuis le début de cette décennie la croissance la plus faible dans le monde, et pourtant, le sujet n'y rencontre guère d'écho. Alors que le débat reste vif aux Etats-Unis, qui sont en situation de reprise économique depuis 2009...

La Banque de France a organisé ce lundi un colloque sur le sujet. Pourquoi la Banque centrale ? Son gouverneur, François Villeroy de Galhau, a expliqué, en introduction, ses motivations : « Une très faible croissance et une faible inflation pendant de longues années nuisent à l'efficacité des instruments traditionnels de la politique monétaire. Elles peuvent remettre en cause la soutenabilité de la dette publique comme privée. Et, au delà des préoccupations des banquiers centraux, elles peuvent affecter nos modèles sociaux ».

Trois hypothèses

Mais d'où provient cette stagnation, ou cette croissance très faible ? Trois hypothèses peuvent être avancées, selon François de Villeroy de Galhau. La première est très technique. C'est celle d'une sous-estimation de l'activité en raison de la défaillance des instruments statistiques, mal adaptés à la nouvelle économie. Les statisticiens ne savent pas mesurer d'une point de vue macro-économique le numérique, tout ce qu'apporte la digitalisation, qui rend accessible de nombreux services, de façon désintermédiée, donc non mesurée du point de vue du PIB. Cette explication épuise-t-elle le sujet ? A l'évidence non, d'autant que les problèmes de mesure de la croissance existaient bien avant le ralentissement des économies.

 La deuxième explication est peut-être à chercher du côté de la demande. François Villeroy la privilégie. « Pourquoi la demande au sein de la zone euro tarde-t-elle autant à se réveiller » en dépit de mesures de soutien mises en place par les banques centrales (Quantitative Easing) ? Il cite en premier lieu les mécanismes de formation des salaires, assez peu étudiés, qui contribuent à une faible demande interne dans un pays bien précis, l'Allemagne. « La faible réaction des salaires aux mesures de stimulation économique et à un marché du travail tendu est particulièrement déroutante, en Allemagne » affirme le gouverneur de la Banque de France.

Alors qu'en France, en dépit d'un chômage élevé, les salaires réels ont continué d'augmenter pendant la crise, souligne-t-il. « Les politiques salariales pourraient contribuer à améliorer la coordination économique en Europe, et à corriger les déséquilibres » estime le gouverneur de la Banque de France. « C'est un sujet moins débattu que la politique de relance budgétaire, mais il pourrait être bénéfique de l'étudier dans chaque pays,  compris en France, et au sein de la zone euro considérée globalement. De ce point de vue, l'appel de Jens Weidmann à une hausse des salaires en Allemagne, en 2014, a été bienvenu ».

Ce thème du rééquilibrage de l'Europe par la hausse des salaires allemands, premier moyen de relancer la croissance Outre Rhin et de diminuer l'excédent de la balance courante de l'Allemagne (près de 8% du PIB)  est mis en avant de longue date par les économistes keynésiens. Depuis le printemps dernier, un mouvement de hausse des salaires est constaté en Allemagne, mais jugé insuffisant par ces économistes, tant les rémunérations ont été comprimées au cours des années 2000 Outre Rhin.

Relance budgétaire et salariale en Allemagne

 A la différence des Keynésiens, François Villeroy de Galhau ne suggère pas seulement de doper encore les salaires en Allemagne, mais aussi de ralentir leur évolution en France, au titre d'une meilleure coordination... Il prône une « stratégie économique collective pour la zone euro, qui pourrait être défendue par un ministre des Finances de l'eurozone : la croissance et l'emploi seront plus forts si nous combinons plus de réformes structurelles là où elles sont nécessaires -comme en France et en Italie- et plus de relance budgétaire et par les salaires , dans les pays qui ont des marges de manœuvre, comme l'Allemagne."

 Le désendettement, autre facteur de crise

 Un autre facteur d'atonie de la demande au sein de la zone euro, c'est le désendettement. « Les ménages, les entreprises et les Etats ont réduit leur dette depuis la crise » mais, « malheureusement, les politiques de réduction des déficits budgétaires n'ont pas été suffisamment coordonnées » affirme le gouverneur de la Banque de France. Et d'ajouter « Si tous les agents économiques réduisent leur dette simultanément, la demande globale s'en trouve inévitablement ralentie ». C'est ce que n'ont pas voulu voir l'Allemagne et la commission de Bruxelles quand elles ont imposé une réduction généralisée des déficits, à marche forcée, à partir de 2011, provoquant le retour de la zone euro dans une quasi récession.

Mais, à côté de la mesure défaillante du PIB et de la faible demande, il existe une troisième explication à la stagnation séculaire, c'est celle popularisée par l'économiste américain Robert Gordon, qui souligne l'épuisement du progrès technique, les grandes inventions révolutionnant l'économie étant derrière nous, et le digital procurant bien sûr des services, du « bien être »,  mais pas de croissance « monétisable ». Le gouverneur de la Banque de France ne semble pas adhérer à cette thèse.