En Allemagne, trois millions de personnes voudraient travailler plus

Par Romaric Godin  |   |  941  mots
Le plein-emploi allemand créé aussi des frustrations.
Malgré le plein emploi, l'économie allemande ne parvient pas à satisfaire les besoins de tous les salariés. Le revers d'un modèle fondé sur la croissance du temps partiel.

Le « miracle » allemand de l'emploi fait bien des envieux. Avec raison, du reste. En janvier 2016, le nombre de chômeurs en données brutes avait reculé sur un an de 3,7 %, soit 111.000 demandeurs d'emplois de moins. Le taux de chômage allemand se situe désormais à 4,5 % au sens de l'Organisation internationale du Travail, ce qui en fait le plus bas de la zone euro puisque, désormais, le chômage remonte en Autriche, ancien champion européen de l'emploi.

22,6 millions d'heures de travail désirées et non satisfaites

Ce succès connaît cependant quelques zones d'ombres, comme l'a souligné, ce lundi 15 février, l'Office fédéral des statistiques, Destatis. L'institut révèle qu'en 2014, il y avait  2,9 millions d'actifs allemands qui auraient souhaité travailler davantage. Certes, 915.000 actifs souhaiteraient travailler moins, mais au final, ce serait 22,6 millions d'heures de travail hebdomadaires que les actifs allemands ne pourraient pas effectuer. C'est un potentiel de travail de près de 566.000 équivalents temps plein qui serait inutilisés, a calculé Destatis.

2,9 millions de mécontents

Ces chiffres amènent plusieurs conclusions. D'abord, le fonctionnement du marché du travail allemand, malgré ses créations d'emplois, engendre beaucoup de mécontents. Les 2,9 millions d'actifs qui voudraient travailler plus représentent 7,3 % de la population active. Et le mécontentement de ces personnes n'est pas mince, puisqu'ils voudraient en moyenne travailler 11,3 heures par semaine de plus, ce qui est globalement cohérent avec leur taux de travail moyen de 28,4 heures par semaine. En Allemagne, s'il n'existe pas de durée du travail unique légale, la semaine de 40 heures, qui a longtemps été la norme, reste en effet la référence dans l'esprit des actifs. On le voit donc, le « miracle » de l'emploi ne satisfait pas tout le monde, loin de là.

Le fruit du développement du temps partiel

Ce sous-emploi touche logiquement les personnes travaillant à temps partiel. 1,63 million d'entre elles, soit près de 14,9 % de l'ensemble des personnes travaillant à temps partiel en Allemagne souhaiteraient travailler davantage. En moyenne, le désir d'heures supplémentaires atteint 14,7 heures hebdomadaires pour les salariés à temps partiel. Or, le temps partiel explose en Allemagne. En 2010, les travailleurs à temps partiels représentaient 19 % des actifs. Quatre ans plus tard, cette proportion est passée à 27,5 %. On voit que la baisse du chômage allemand s'appuie surtout sur ce type d'emploi. Autrement dit, l'Allemagne a réduit son chômage en réduisant le temps de travail moyen qui, en 2014 était de... 35,4 heures pour l'ensemble des actifs. On notera, d'ailleurs, que 1,27 million d'actifs à temps plein souhaiterait aussi travailler davantage (mais 823.000 souhaiteraient travailler moins), ce qui est aussi le fruit d'une politique de baisse moyenne du temps de travail pour les emplois à temps plein.

Le recours au temps de travail

Le chiffre de Destatis vient prouver que l'économie allemande a également recours, pour baisser le chômage, au partage du temps de travail. Ce partage ne se fait certes pas, comme il s'est fait en France, par une législation généralisée (et qui, rappelons-le,  depuis 2000 a été largement amendée), mais par des créations de postes à durée du travail réduite. Les 10,8 millions de travailleurs à temps partiel outre-Rhin travaillent en moyenne 19,4 heures par semaines. Dire que la réduction du temps de travail est néfaste pour l'emploi et présenter un contre-exemple allemand à la situation française de ce point de vue semble donc inexact.

Le modèle allemand de l'emploi génère donc ses frustrations: les Allemands souhaiteraient aussi « travailler plus pour gagner plus », mais l'économie allemande est incapable de générer les 22,6 millions d'heures nécessaires. La France règle ce problème principalement par le chômage, l'Allemagne davantage par le temps partiel. Dans l'Hexagone, le taux de temps partiels en 2014 était de 18,9 %, soit près de dix points de moins qu'en Allemagne.

Problème macroéconomique

Cette situation a plusieurs conséquences importantes en termes macroéconomiques. Elle limite la transmission du plein-emploi sur la demande intérieure. Pour les personnes en sous-emploi, la hausse du salaire réel est certes bienvenue mais pas suffisante pour combler leurs besoins qui, on l'a vu, s'élèvent à plus de 11 heures de travail. Elle est aussi logiquement plus limitée en valeur absolue. La consommation de ces ménages reste donc réduite. Si le « sous-emploi » n'est pas suffisant pour vivre, la hausse des salaires n'est pas un élément déterminant  Par ailleurs, l'importance croissante du temps partiel incite les personnes à temps plein et sur des contrats classiques - encore très protégés en Allemagne - à prendre leurs précautions. Un salarié à temps plein sait qu'il risque de retrouver un emploi à temps partiel ou avec des horaires de travail réduits - et donc une rémunération plus faible. Il aura donc tendance à utiliser une partie de la hausse de son salaire réel pour épargner. D'où ce paradoxe allemand que le plein emploi a entraîné une progression du taux d'épargne.

Cette situation est un des facteurs du problème allemand pour le reste de la zone euro. L'union monétaire a besoin d'une demande intérieure allemande plus dynamique. Or, malgré une croissance plus forte depuis deux ans, la consommation des ménages n'est pas réellement encore conforme à une situation de plein emploi. D'où une croissance qui dépend encore fortement de la demande externe, comme on l'a vu au dernier trimestre de 2015 où elle n'a été que de 0,3 %, soit la moyenne de la zone euro et qui génère encore des excédents courants immenses de près de 8 % du PIB.