Europe : l'après-Brexit se joue aussi à Berlin

Par Romaric Godin  |   |  1312  mots
Angela Merkel va devoir gérer le Brexit en pensant aux élections de 2017.
Angela Merkel tente de temporiser face à Londres. Une stratégie centrée sur ses priorités politiques allemandes et qui s'oppose aux Sociaux-démocrates, eux aussi obsédés par les élections de 2017. La politique allemande s'invite donc dans l'après-Brexit.

La décision des Britanniques de quitter l'Union européenne est un casse-tête de plus pour Angela Merkel qui, à vrai dire, n'en manquait déjà pas. La chancelière est évidemment très attendue lors du sommet européen des 28 et 29 juin pour donner une orientation non seulement aux négociations futures avec le Royaume-Uni, mais aussi à la réforme de l'UE et de la zone euro qui semble désormais à nouveau d'actualité. L'ennui, c'est qu'Angela Merkel doit prendre en compte dans cette tâche deux éléments clés : l'unité de sa coalition et l'approche des élections fédérales prévues outre-Rhin en septembre 2017.

Angela Merkel temporise

Tout le week-end, la chancelière a consulté pour définir une position, notamment au sein de son propre parti la CDU et de sa sœur bavaroise, la CSU, dans le cadre d'un séminaire à Potsdam. Et comme souvent avec Angela Merkel, elle a jugé urgent d'attendre. Elle laisse donc l'initiative de la demande de Brexit au gouvernement britannique, tout en convenant qu'il ne fallait pas attendre « éternellement ». Angela Merkel temporise donc. Avec le secret espoir que l'on pourra convaincre Londres de revenir en arrière. Les appels de plusieurs figures de la CDU ce week-end à accepter l'Ecosse dans l'UE prend place dans ce cadre. Il s'agit de faire pression sur le Royaume-Uni, de lui faire craindre le risque de son propre éclatement afin qu'il abandonne les projets de Brexit en ne déposant jamais de demande d'ouverture de l'article 50.

Les raisons de la stratégie de la chancelière

Cette stratégie d'Angela Merkel s'explique par plusieurs raisons. La chancelière affirme à ses proches, selon le Handelsblatt, qu'elle est « convaincue que l'Europe est sur la bonne voie ». En bonne conservatrice, elle va donc tout faire pour sauver l'existant ou quelque chose d'approchant. Elle s'inquiète aussi de se retrouver dans l'UE face à des pays moins « libéraux » que le Royaume-Uni comme la France et l'Italie. Angela Merkel a toujours utilisé sa relation avec Londres pour peser sur le « sud », comme lors de la définition du dernier cadre budgétaire européen. Enfin, la chancelière est très attentive aux besoins des exportateurs allemands qui ne veulent pas « punir » le Royaume-Uni, leur troisième marché, par une rupture du libre-échange avec le continent.

Pour le moment, la pression financière actuelle, si elle ne s'emballe pas, joue donc dans le sens de la chancelière en effrayant les Britanniques et les convaincant de revenir sur leur choix du 23 juin ou de faire des concessions sur le plan commercial pour éviter une récession. C'est pourquoi lors de la conférence de presse commune avec François Hollande et Matteo Renzi le 27 juin au soir, elle a appelé à "faire au plus vite" tout en n'invitant à ne pas exercer de pression trop forte. La clé de la méthode Merkel, c'est le temps qui a souvent joué en sa faveur. Et, alors qu'elle est en difficulté dans les sondages (la CDU/CSU est donné à 31-32 % contre 42 % en 2013), la chancelière se verrait bien une nouvelle fois en « sauveur de l'Europe » pour remporter les élections de 2017.

La SPD à l'offensive

Or, cette position n'est pas celle de la SPD sociale-démocrate qui est, sur ce point, en plein désaccord avec la chancelière. Sigmar Gabriel, le vice-chancelier allemand, président de la SPD et ministre fédéral de l'Economie, a réclamé, suivant la ligne de Bruxelles, que l'on aille vite. « Les Britanniques ont choisi de partir, nous n'aurons aucune discussion sur ce que nous pouvons leur offrir pour rester », a-t-il déclaré dans une Interview au Handelsblatt ce lundi 27 juin. La SPD a une autre stratégie que celle de la chancelière : elle entend porter une idée d'une réforme de l'Europe « fondée sur la justice sociale ». « Il existe une division massive entre les perdants et les gagnants de l'UE », explique Sigmar Gabriel. D'où la proposition cosignée ce week-end par Frank-Walter Steinmeier, ministre des Affaires étrangères SPD allemand, et son homologue français, Jean-Marc Ayrault, qui invite à un rééquilibrage des politiques en zone euro.

La stratégie électorale de la SPD

La stratégie de la SPD face au Brexit s'inscrit en réalité dans l'optique de sa nouvelle stratégie électorale en vue des élections de 2017. La SPD est aujourd'hui au plus mal dans les sondages, en dessous des 25 % de 2013, et proche des 20 %. Sigmar Gabriel a décidé de jouer sur la différenciation par rapport à Angela Merkel et sur un discours résolument à gauche. Durant ces dernières semaines, on a beaucoup reparlé en Allemagne d'une éventuelle alliance de gauche « rouge-rouge-verte » entre la SPD, les Verts et Die Linke, après les élections de 2017. Une majorité qui, notons-le au passage, existe déjà au Bundestag aujourd'hui. Mais, pour le moment, on en est surtout à une rhétorique. Et le Brexit tombe à point pour les Sociaux-démocrates pour approfondir cette rhétorique et prouver qu'ils ne sont pas que des alliés secondaires au service de la chancelière.

Sauver l'unité des Conservateurs

De son côté, Angela Merkel ne peut céder aux demandes de la SPD. Non seulement elle espère encore pouvoir retenir le Royaume-Uni, mais elle n'envisage guère de réforme de la zone euro ou de l'UE dans un sens plus social pour des raisons politiques. Les Conservateurs restent sous la pression du parti eurosceptique Alternative für Deutschland (AfD), toujours donné entre 11% et 13 % dans les sondages, et qui n'hésitera pas à attaquer toute nouvelle « socialisation des dettes » au sein de la zone euro. La CSU, notamment, s'inquiète de plus en plus, elle qui, selon la doctrine de son ancien président Franz-Josef Strauss, ne devait jamais avoir de force sur sa droite. Même réaction de la part du ministre fédéral des Finances, Wolfgang Schäuble qui, l'an dernier, était prêt à exclure la Grèce de la zone euro pour sauver les intérêts du contribuable allemand et qui a toujours pesté contre le « laxisme » de la Commission européenne contre les « mauvais élèves » budgétaires.  Selon le Handelsblatt, le ministère des Finances « met en garde » contre le fait que le Brexit soit l'occasion de pressions supplémentaires de la France et de l'Italie pour « plus de solidarité » au sein de la zone euro.

Pour conserver l'unité de son camp, Angela Merkel ne peut donner l'impression de céder aux demandes de l'Italie et de la France comme la SPD semble le demander. Mais, comme toujours, elle doit composer avec les demandes de ces pays pour une action sur la "croissance" et "l'harmonisation sociale et fiscale", comme elle l'a fait lors de la conférence de presse de ce lundi 27 juin avec François Hollande et Matteo Renzi. Il sera toujours temps, ensuite, de "diluer" ces engagements. Le séminaire de la CDU/CSU s'est conclu sur un rejet de "l'approfondissement" de la zone euro. Et, il n'y a pas eu au soir du 27 juin de reprise officielle de la "proposition" Ayrault-Steinmeier.

Le facteur politique allemand jouera dans l'après-Brexit

Au final, Angela Merkel devrait maintenir une position d'attente face au Royaume-Uni. Les démarches de « réformes » de la zone euro et de l'UE devraient rester dans le flou dans le domaine économique et se concentrer davantage sur les aspects de défense ou de sécurité, moins sensibles sur le plan politique. La SPD osera-t-elle aller au conflit ? Rien n'est moins sûr et elle pourrait se contenter d'une demi-mesure tout en rappelant sa position lors de la campagne de 2017. Encore une fois, les 26 autres pays de la zone euro vont devoir non seulement trouver un accord entre eux, ce qui est complexe, mais aussi gérer les exigences de la politique intérieure allemande.