Face au Brexit, Theresa May lance une vaste stratégie industrielle

Par Romaric Godin  |   |  1509  mots
Theresa May entend relancer une stratégie industrielle ambitieuse.
Le gouvernement britannique a mis en place un plan d'investissement et de soutien à l'industrie. C'est désormais un pilier de la politique de la première ministre qui abandonne le biais du "laissez-faire" traditionnel des Tories.

La Première ministre britannique Theresa May continue de déployer sa stratégie globale pour faire face au Brexit. Ce lundi 23 janvier, son gouvernement a présenté un « livre vert », un rapport, sur la stratégie industrielle à mener dans les prochaines années. Certes, ce rapport devra faire l'objet de décisions concrètes à sa suite, mais cet aspect est désormais un élément clé de la politique globale de l'exécutif britannique pour faire face aux défis posés par la sortie du marché unique européen, désormais accepté depuis une semaine par la locataire du 10, Downing Street.

Répondre au Brexit

En acceptant le défi lancé par les Européens après le 23 juin - ou le respect des « quatre libertés de circulation », dont celle des personnes, ou la perte d'accès au marché unique européen - Theresa May a choisi néanmoins de promouvoir un « Royaume-Uni ouvert » (« Global Britain »), cherchant par des accords de libre-échange une inclusion dans le marché mondial. Sauf que le pays doit désormais faire face à un certain nombre de handicaps, fruits de sa spécialisation financière et de la politique des anciens gouvernements conservateurs et travaillistes de favoriser un faible coût du travail et l'investissement dans l'immobilier et les services. Cette politique a conduit à un affaiblissement de la productivité et à une désindustrialisation sévère.

Si cette situation pouvait être acceptée au sein du marché unique, le Royaume-Uni, confronté seul au marché mondial, va donc devoir faire face à ces faiblesses. L'idée est de développer un secteur industriel compétitif pour permettre au pays de s'imposer sur les marchés mondiaux. Cette « nouvelle stratégie industrielle », précise ainsi le communiqué du gouvernement, vise à « renforcer les forces de la Grande-Bretagne et à faire face à ses faiblesses sous-jacentes ». Désormais incertaine de pouvoir compter sur des accords favorables de la part des Européens, Theresa May semble donc décidée à renforcer les fondements de l'industrie britannique pour attirer les investisseurs sur d'autres critères que l'accès au marché unique, notamment l'innovation technologique.

La nouvelle stratégie industrielle

Dès lors, la Première ministre a décidé de rompre avec la longue tradition de "laissez-faire"(*) et de réduction du poids de l'Etat dans l'économie des Tories. Elle engage désormais une politique nettement plus interventionniste où l'Etat « sera prêt à offrir une grande diversité de soutiens ». Certes, les « champions nationaux » existants et les secteurs forts comme l'automobile et l'aéronautique, seront soutenus pour renforcer l'existant, mais c'est désormais une stratégie globale qui est proposée, autour de 10 piliers. Londres proposera de passer des « accords sectoriels » (« Sector deals ») sur un certain nombre de secteurs à forte valeur ajoutée : sciences de la vie, transition vers les véhicules propres, numérisation industrielle, industries créatives et industrie nucléaire. Le gouvernement indique qu'il est prêt à s'engager avec des secteurs qui voudraient s'organiser pour bénéficier du même soutien.

Ces secteurs bénéficieront d'un appui du gouvernement, non pas par des baisses de charges, mais par des investissements concrets. L'Etat britannique s'engage également à utiliser ses propres achats pour favoriser ces secteurs, « favoriser l'innovation » et « mettre en place des chaînes de valeur au Royaume-Uni ».

Parallèlement, un « Fonds pour le défi de la stratégie industrielle » (Industrial Strategy Challenge Fund, ISCF), doté de pas moins de 4,7 milliards de livres, soit environ 5,6 milliards d'euros, sera créé pour favoriser quelques secteurs à fort potentiel : l'énergie intelligente, la robotique et l'intelligence artificielle et le réseau mobile 5G.

En complément, le gouvernement entend miser sur l'éducation, clé pour créer au Royaume-Uni des emplois hautement qualifiés comme l'a indiqué la première ministre. L'enseignement des sciences sera développé, la recherche soutenue et l'enseignement technique sera réformé et centré sur la possibilité d'offrir aux jeunes qui quittent le système scolaire sans diplôme universitaire (la moitié du total) la capacité de disposer d'une formation technique dans un institut régional de technologie. Enfin, le gouvernement investira dans les technologies et assurera aux créateurs d'entreprises innovantes un accès au financement.

Stratégie de long-terme

Cette stratégie répond clairement à la question de la productivité, devenue clé pour le Royaume-Uni dans la mesure où elle pose le problème de la croissance future du pays. Londres ne vise donc plus la création d'emplois par « l'ubérisation » et dans des secteurs de services à faible productivité : il s'agit désormais de faire du Royaume-Uni le centre de l'innovation industrielle misant précisément sur des produits et des emplois à forte valeur ajoutée. Dans un monde où l'investissement se réduit et face à une zone euro toujours obsédé par sa dépense publique, Londres mise donc sur une stratégie de soutien actif à l'investissement à fort potentiel pour faire du pays un centre incontournable de l'industrie du futur, et, partant, des investissements internationaux. L'attention donnée aux questions de recherche et d'éducation, montre, du reste, l'ambition à long terme du gouvernement qui confirme donc vouloir utiliser le Brexit pour modifier en profondeur l'économie britannique.

Rééquilibrer le territoire

Cette modification est également géographique. On sait que le vote des régions victimes de la désindustrialisation avait été clé le 23 juin. Le plan du gouvernement insiste donc beaucoup sur le combat contre les inégalités régionales, notamment par les investissements dans les infrastructures et par le soutien aux PME. Un plan spécifique pour le nord de l'Angleterre sera mis en place avec 556 millions de livres (environ 667 millions d'euros) à la clé, avec notamment la création d'une plate-forme intermodale fluviale, maritime, ferroviaire et routière à Goole, dans le Yorkshire, entre Leeds et Hull, mais aussi un fond pour supporter les biotechnologies dans la région de Manchester et du Cheshire ainsi que la création d'une zone industrielle près de Sunderland, dans le Tyne and Wear. Plus généralement, cette stratégie industrielle sera largement décentralisée avec des institutions locales et visera à un rééquilibrage territorial.

Pilier de la stratégie globale

Theresa May confirme donc qu'elle n'entend pas rester immobile dans sa gestion du Brexit. Elle est décidée à utiliser tous les leviers possibles pour redonner des avantages à long terme au Royaume-Uni face à une Union européenne qui pourrait être tentée de « punir » le pays pour sa décision de la quitter. Elle prend aussi acte de l'inévitable affaiblissement du secteur financier et immobilier qui va suivre la sortie du marché unique pour tenter de rééquilibrer l'économie. Le gouvernement britannique entend profiter pleinement de la levée des restrictions propres à la législation européenne concernant les aides d'Etat, même si beaucoup des mesures annoncées ce 23 janvier auraient pu être prises dans le cadre de l'UE. En tout cas, c'est un pilier central de la stratégie de l'après-Brexit : celui de refaire, avec le soutien public, du Royaume-Uni une grande puissance de l'industrie de demain. Certes, face aux aides d'Etat, les partenaires commerciaux du Royaume-Uni seront tentés de se défendre, mais le gouvernement entend donner une telle avance dans ces domaines que ces "rétorsions" ne seront pas possibles...

Le dilemme de Theresa May

Cette stratégie peut-elle réussir ? Le contexte est certes favorable au gouvernement britannique, car l'UE a renoncé à tout vrai plan d'investissement ambitieux et préfère une gestion « quantitative » de sa compétitivité. Cependant, une telle stratégie est forcément longue, on ne peut reconstruire en quelques mois un secteur industriel. C'est un travail de long terme alors que Londres va devoir faire face à des défis de court terme importants. Le risque est celui d'oublier ce travail de fond pour parer au plus pressé, notamment en cherchant par une stratégie fiscale agressive, à maintenir la force de la City. Or, maintenir la finance mondialisée au cœur du modèle économique britannique pose plusieurs problèmes : elle réduit la capacité du secteur privé à investir dans un secteur industriel aux rendements longs et faibles et elle réduit la capacité budgétaire de l'Etat à investir fortement dans ces industries du futur.

Le dilemme de Theresa May sera que la perte de l'accès au marché unique s'accompagnera sûrement d'un ralentissement de la croissance qui réduira la croissance des recettes budgétaires. Si, pour y faire face et maintenir sa stratégie industrielle, le gouvernement réduit ses dépenses publiques, elle s'expose non seulement à un ralentissement conjoncturel plus marqué, lui ôtant encore davantage de moyens pour sa politique industrielle, mais aussi à un échec de cette dernière qui repose sur le réinvestissement dans l'éducation et le développement des régions déshéritées. La stratégie industrielle ne doit donc pas être perçue comme seulement industrielle, mais comme plus globale. Theresa May semble en avoir conscience, mais en aura-t-elle les moyens ?

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(*) En anglais dans le texte.