Grèce : des élections pour quoi faire ?

Par Romaric Godin  |   |  1878  mots
Le retour des Grecs aux urnes est-il une solution pour résoudre la crise ?
Depuis le report des échéances du FMI, on parle beaucoup d'élections anticipées en Grèce. Mais comment pourraient-elles arriver et qu'en sortirait-ils ?

Avec le report de l'échéance du FMI à la fin du mois de juin et le blocage des positions entre créanciers et gouvernement grec réapparaît la perspective de nouvelles élections. Ce vendredi 5 juin, le ministre délégué à la Sécurité sociale, Dimitris Stratoulis, a indiqué qu'en cas d'échec des discussions avec les créanciers, des élections anticipées pourraient être convoquées. Ce ministre est réputé être un « dur » de Syriza. Mais ces élections anticipées sont désormais de plus en plus évoquées par les observateurs internationaux comme une « option » pour résoudre la crise. Reste à répondre à ces deux questions : comment peuvent survenir ces élections  et à quoi serviront-elles ?

Le respect du mandat populaire

Le gouvernement Tsipras se considère comme dépositaire d'un mandat populaire qui vise à changer le cours de la politique économique tout en demeurant dans la zone euro. Son ambition est donc d'obtenir un assouplissement des mesures d'austérité et des conditions fixées par les créanciers pour « rééquilibrer » la politique économique en assurant un développement de la demande interne. La proposition des créanciers transmise mercredi à Athènes ruine entièrement cette possibilité, pour l'instant. Le gouvernement grec a fixé des « lignes rouges » qui lui font estimer sa mission remplie : aucun assouplissement des conditions de licenciements, pas de coupes dans les pensions et des objectifs d'excédent budgétaire réduits.

Eviter la trahison

« Les élections ne viendront que comme une conséquence de l'accord ou du manque d'accord, ce n'est pas un objectif en soi du gouvernement », précise une source gouvernementale à Athènes. « Si le gouvernement estime qu'il n'a pas le mandat d'appliquer les propositions des créanciers et que ces derniers ne veulent plus négocier, alors il faudra nécessairement revenir vers les électeurs », ajoute la même source. Alexis Tsipras a en effet une obsession du mandat populaire. Ne pas trahir ses engagements de base (ce qui ne signifie pas, par ailleurs, de refuser toute concession) a, pour lui, une valeur centrale. Syriza a en effet gagné les élections de janvier 2015 sur le rejet des partis politiques traditionnels. Les années de crise ont en effet ruiné la crédibilité de la classe politique en mettant en lumière le clientélisme des années précédentes et l'impuissance des gouvernements soumis aux « diktats » de la troïka. Syriza proposait de rétablir cette crédibilité. Le retour devant le peuple est donc nécessaire pour éviter toute « trahison. »

Référendum ?

Quelle forme prendra ce retour devant le peuple ? Deux options sont ouvertes : le référendum et les élections anticipées. Le référendum pourrait en théorie porter sur la question de l'acceptation de la proposition des créanciers. En théorie, le référendum est interdit sur les projets de loi budgétaire par l'article 44-2 de la constitution grecque. Mais ici, on ne soumettra pas une loi au peuple, mais un accord avec les créanciers, autrement dit « une question nationale grave », ce qui est autorisé par la constitution. « Le référendum sera une possibilité en cas d'ultimatum des créanciers sur des propositions inacceptables », explique une autre source gouvernementale grecque. En cas de défaite de la position gouvernementale, il sera logique alors de dissoudre le parlement, la Vouli et de convoquer de nouvelles élections. Si l'on en croit les sondages, le résultat d'un tel référendum sera sans doute assez serré. Un récent sondage Alco réalisé les 3 et 4 juin indique que 50 % des Grecs interrogés estiment que le gouvernement devrait faire marche arrière face aux créanciers si les propositions grecques sont refusées, 41 % jugeant qu'il faut tenir.

Le problème des élections après le référendum

Mais l'affaire pourrait alors se compliquer : si Syriza s'est affaiblie dans les sondages récemment, ce qui n'est guère étonnant compte tenu de la dégradation de la situation économique, elle reste largement en tête. Le dernier sondage Metrisi réalisé du 27 au 29 mai donne encore 37,8 % des intentions de vote à Syriza, contre 27,8 % à Nouvelle Démocratie. Les alliés de Syriza, les Grecs Indépendants, sont donnés à 6 %, tandis que, au centre-gauche, les gains de Potami (7,2 %) compensent les pertes du Pasok (3,5 %). Le sondage Alco déjà cité va dans le même sens : Syriza est donné à 31,3 % et Nouvelle Démocratie à 20,4 %, avec 13 % d'indécis. Au final, la coalition sortante pourrait donc récupérer sa majorité. Mais alors que pourra faire un gouvernement Tsipras reconduit tout en étant désavoué par un référendum ?

L'enjeu de la campagne

Les Grecs, sans doute lassés de plus de quatre mois de négociations, sont critiques envers le gouvernement et veulent voir le bout du tunnel. Mais ils ne souhaitent pas, pour autant, redonner leur confiance à la « vieille garde » pro-européenne dirigée par l'ancien premier ministre Antonis Samaras. Pas davantage que l'on voit surgir To Potami, le parti préféré des milieux bruxellois, dans les sondages. Syriza incarne encore le renouvellement de la politique grecque. Tous ces sondages doivent donc être pris avec précaution : si Syriza présente une acceptation des conditions des créanciers comme le prélude au retour des vieux partis, le résultat n'est pas acquis. Mais il demeure qu'il existe un danger de blocage selon cette procédure.

Des élections sans référendum ?

En passer donc par un renouvellement du mandat électoral via des élections anticipées, sans référendum, serait donc plus simple. Syriza devrait alors prendre acte de l'impossibilité de son programme de remise en cause de l'austérité dans la zone euro et proposer une alternative aux électeurs en insistant sur la lutte inconditionnelle contre l'austérité, par exemple. Ou au contraire en proposant un discours beaucoup plus modéré insistant sur le maintien dans la zone euro. Le mandat dont disposera alors le nouveau gouvernement si Syriza l'emporte sera alors remis à jour et permettra de prendre des mesures plus audacieuses, comme le défaut, si le blocage persiste. Dans ce cas, Alexis Tsipras pourrait également chercher à « unifier » autour de sa propre ligne les députés Syriza par la constitution « épurée » des listes du parti. Ce processus permettrait de donner un mandat renouvelé qui éviterait de se retrouver dans une position de contrepied avec le résultat d'un référendum qui, rappelons-le, se déroulera sous la pression d'un système bancaire en lambeaux et d'une économie au martyr. Constitutionnellement, il faut au moins 30 jours pour organiser une élection. La Grèce peut disposer d'un tel délai, dans la mesure où si elle ne paie pas le 30 juin le FMI, le pays aura 30 jours de délai de grâce avant d'être déclaré officiellement en « défaut technique. »

Un "oui" de Tsipras et un "non" du parlement ?

Reste enfin un dernier scénario : le gouvernement parvient à arracher un compromis qu'il juge acceptable, mais qui est rejeté par la Vouli en raison de la défection de membres de Syriza. Ce scénario est peu probable. La majorité du gouvernement est de 11 sièges, mais Pasok et To Potami ont annoncé qu'ils soutiendraient un accord, ce qui amène la majorité à 41 sièges. On voit mal, par ailleurs, Nouvelle Démocratie rejeter un accord qu'elle aurait accepté si elle était au pouvoir. La majorité pourrait donc être encore plus large. Dans les deux cas, il faudra alors dissoudre le parlement, mais Alexis Tsipras pourra alors constituer un groupe parlementaire plus unitaire tout en faisant campagne sur la défense du compromis et du respect de ses engagements. Dans ce cas, il semble qu'il soit en position de pouvoir l'emporter.

Unité de Syriza

En réalité, le cœur du problème, comme on le voit, est l'unité et la ligne de Syriza. Mais de ce point de vue, il convient de briser le mythe souvent développé par les médias occidentaux d'un Alexis Tsipras désireux de « tout accepter » mais « pris en otage » par son aile gauche. Rien ne correspond moins à la réalité. « Les modérés du gouvernement sont déjà allés à la limite de ce qu'ils pouvaient accepter », estime une source gouvernementale grecque déjà citée. L'interview du négociateur en chef, le très modéré Euclide Tsakalotos par Paul Mason, de Channel 4, jeudi 4 juin montre cela fort bien. Il est très remonté contre les propositions des créanciers.

Syriza est une ancienne coalition électorale fort lâche regroupant des partis d'horizons diverses qui, à l'origine, étaient soudés par un double rejet : celui du réformisme du Pasok et de l'intransigeance du Parti communiste (KKE), notamment sur la construction européenne. A partir de 2009, Alexis Tsipras est parvenu, non sans mal, à resserrer les liens internes à cette coalition, au point d'en faire un parti. Il a alors modéré le programme de Syriza et l'aile gauche avait déjà des raisons d'être déçu du programme de Thessalonique de septembre dernier. Mais la grande force d'Alexis Tsipras a toujours été de savoir construire des compromis avec son opposition interne. Il a, du reste, fait entrer au gouvernement quelques grandes figures de l'aile gauche, comme Panagiotis Lafazanis, ministre de l'Energie. Alexis Tsipras est donc très attaché à l'unité de son parti. Et il n'est pas sûr qu'il entende la sacrifier pour satisfaire les créanciers.

Naturellement, il existe encore des sensibilités très différentes dans le parti et les concessions accordées par Alexis Tsipras ont été fortement critiqués par la « plate-forme de gauche », l'aile la plus radicale du parti. Mais ces critiques ne signifient pas que cette aile gauche est prête à quitter Syriza. Comme elles ne signifient pas davantage qu'Alexis Tsipras est prêt à rompre avec elle. Syriza a une tradition de pluralité interne qui s'est construite aussi sur le rejet du monolithisme du KKE. Il y a certes eu des ruptures avec certaines formations dans les années 2000, mais la situation était différente, Syriza était alors une alliance électorale de deuxième ordre. Cette fois, Syriza est au pouvoir et la scission signerait la mort politique du parti et l'impossibilité de l'aile gauche même d'intervenir sur la politique du pays. Le maintien d'une opposition interne sans rupture n'est donc pas impensable, même si des défections individuelles peuvent se produire. En réalité, Alexis Tsipras cherche en permanence à éviter la rupture interne. C'est la politique des « lignes rouges » qui permet de sauvegarder la crédibilité politique du parti et son unité.

Prise de risque des créanciers

Le blocage des créanciers pourrait donc conduire à l'inverse de ce que visent ces derniers : renforcer l'unité de Syriza. Si les propositions des créanciers ne changent pas, Alexis Tsipras ne cherchera sans doute pas, comme le rêve à voix haute les responsables européens, à s'allier à To Potami et au Pasok. Il cherchera une ligne acceptable par l'ensemble du parti et la défendra devant les électeurs, sans doute sans passer par un référendum. Cette ligne pourrait alors être plus dure que celle qu'il cherche à imposer depuis le 25 janvier. Les créanciers prendraient alors un risque considérable.