Grèce : la BCE accepte enfin de faire un geste

Par Romaric Godin  |   |  1248  mots
La BCE a pris son temps pour rétablir l'accès des banques grecques au refinancement à son guichet.
La BCE a rétabli l'accès des banques grecques au refinancement avec l'usage des dettes grecques comme collatéral. Une décision qui aura pris du temps et demandé des concessions considérables de la part d'Athènes.

Jadis, lorsqu'un souverain voulait faire sentir son pouvoir à ses sujets, il les faisait patienter dans l'antichambre. Le temps d'attente permettait de mesurer si l'on était ou non dans les bonnes grâces du monarque et quelques heures de patience invitaient à corriger une attitude déplaisante pour le Roi. La BCE n'a pas oublié ces leçons du passé et elle aura fait faire antichambre au gouvernement grec pendant des mois avant de lui octroyer l'oubli de ce qu'elle avait considéré comme un crime de lèse-majesté (ou plutôt ici de lèse-créanciers), l'élection du 25 janvier 2015 d'Alexis Tsipras à Maximou, le Matignon grec.

La question de la dérogation

Le mercredi 22 juin au soir, le Conseil des gouverneurs de la BCE a ainsi décidé de mettre fin à un blocus de près de 17 mois sur les banques grecques en réinstaurant la possibilité pour ces dernières de se refinancer à son guichet en présentant comme garantie (« collatéral ») des titres de dettes souveraines grecques. Cette possibilité est normalement réservée aux Etats notés en catégorie « investissement » par les quatre agences de notation reconnues par la BCE. Cette dernière peut cependant accorder des dérogations lorsqu'elle juge que le pays est susceptible de voir sa note s'améliorer. C'est ce qu'elle avait fait avec la Grèce jusqu'au 4 février 2015.

Ce jour-là, la BCE, alors que le nouveau gouvernement grec et ses créanciers venaient à peine d'ouvrir les négociations, avait suspendu cette dérogation. Les banques grecques avaient alors perdu une grande partie de leurs collatéraux et vu leurs accès au refinancement « normal » de la BCE largement suspendu. Dès lors, le système bancaire grec n'avait plus qu'à avoir un recours massif à l'aide à la liquidité d'urgence, le fameux programme ELA, qui, renouvelé et évalué chaque semaine, devenait un excellent moyen de pression pour les créanciers sur la Grèce.

La BCE fait attendre Athènes

La BCE avait justifié sa décision du 4 février par la mauvaise volonté du gouvernement grec sur l'application du programme d'ajustement des créanciers. Cet argument était cependant fragile : le gouvernement précédent refusait tout autant que le nouveau les conditions des créanciers et le 20 février 2015, 16 jours après la décision de la BCE, le programme d'aide à la Grèce avait été prolongé jusqu'au 30 juin. En réalité, la BCE avait décidé de prendre une décision politique dont le but était de faire pression sur le gouvernement grec. Pour s'en convaincre, on rappellera que la BCE n'a pas rétabli cette dérogation après la signature du troisième mémorandum le 19 août 2015. Il s'agissait évidemment de peser sur l'application de ce dernier. Ce qui s'est concrétisé en juillet avec le gel de l'ELA qui a provoqué le contrôle des capitaux et les restrictions de retraits aux guichets bancaires.

Dernière humiliation pour Athènes : Mario Draghi n'avait pas annoncé lors de la conférence de presse du 2 juin dernier le rétablissement de cette dérogation, alors même que le gouvernement grec avait déjà accepté l'essentiel des conditions des créanciers et les avaient fait passer dans la loi. On a encore un peu fait faire antichambre aux Grecs pour leur signifier leur véritable place dans la zone euro : celle d'un sujet et d'un suppliant. Le message est clair : la BCE a résisté jusqu'au dernier moment pour ne pas abandonner une arme utile contre Athènes. Elle n'a donc aucune confiance dans l'exécutif grec, malgré les concessions de ce dernier.

La BCE valide la logique des créanciers

Le rétablissement de la dérogation devenait cependant incontournable. Lundi 20 juin, la première revue du programme grec avait été conclue et la tranche de 7,5 milliards d'euros de prêts à Athènes avait été débloquée par le Mécanisme européen de Stabilité (MES). Dès lors, la BCE ne pouvait que rétablir la dérogation. La logique de la BCE est, de ce point de vue, la même que celle des créanciers et du gouvernement grec : le respect du programme « d'ajustement » est une condition du rétablissement de la solvabilité de la Grèce. En menant ce programme d'austérité, incluant en tout près de 6 milliards d'euros de nouvelles coupes et hausses d'impôts, la soutenabilité de la dette grecque est assurée. C'est la raison pour laquelle la BCE rétablit la dérogation : dans sa logique, le risque de défaut est écarté.

En réalité, rien n'est moins sûr et le FMI continue à croire que cette austérité sans restructuration de la dette n'assurera pas la soutenabilité de la dette. L'Eurogroupe a certes accepté de réfléchir à une telle restructuration, mais pas avant la fin du programme actuel en 2018. Et toute réduction du stock de dettes a été écartée. La BCE valide donc un scénario qui demeure très contestable sur le plan économique : celle que l'ajustement portera « ses fruits » et assurera le remboursement intégral des dettes de la Grèce. Rappelons que la Grèce va devoir, dans cette optique, dégager pendant des décennies des excédents primaires considérables qui pèseront en permanence sur une économie déjà affaiblie.

Alexis Tsipras condamné à faire - encore - antichambre

La BCE confirme donc son statut de gendarme des intérêts des créanciers. Du reste, elle prévient, à la fin de son communiqué qu'elle envisagera de faire entrer la dette grecque dans son programme de rachats de titre « à un stade ultérieur ». Là encore, la condition est une parfaite obéissance de la Grèce à ses créanciers. On conserve donc un levier de pression et on maintient Alexis Tsipras dans l'antichambre, car la Grèce est sans doute le pays de la zone euro qui a le plus besoin de ce programme. Ceci promet encore sans doute de nouvelles concessions à l'avenir du gouvernement grec pour obtenir cette nouvelle grâce de la BCE. Détail piquant : la BCE demande la "soutenabilité" de la dette grecque pour l'inclure dans son programme. Elle admet donc que cette soutenabilité n'existe pas aujourd'hui et invalide ainsi d'elle-même la condition posée pour rétablir la dérogation... On voit que les considérations économiques ne sauraient dominer ici.

Une économie menacée

Le retour de la dérogation est certes une bonne nouvelle pour la Grèce. L'ELA est un refinancement beaucoup plus coûteux que celui réalisé au guichet de la BCE qui est désormais gratuit. Les banques grecques vont retrouver un léger bol d'air qui va leur permettre de détendre un peu les taux. De même, le fait qu'une partie de l'aide versée vienne combler les impayés de l'Etat à l'économie est un élément positif. Mais sera-ce suffisant, comme le prétend le gouvernement grec, pour faire repartir l'économie ? C'est peu probable dans l'immédiat alors que, pour obtenir ces deux concessions, la Grèce a dû accepter une nouvelle cure d'austérité associée à un alourdissement de la TVA, de l'impôt sur le revenu et de l'imposition des entreprises. La Grèce, rappelons-le, est une économie à reconstruire. De telles mesures renforcent encore la destruction de son économie plutôt qu'elle la renforce. Et l'octroi de la bienveillance minimale de la BCE n'y changera rien.