Grèce : les créanciers imposeront-ils une grande coalition ?

Par Romaric Godin  |   |  1295  mots
Les créanciers veulent une "grande coalition"
Le débat avant l'élection du 20 septembre a été relativement terne, alors que Jean-Claude Juncker a, à nouveau, menacé le pays en cas de non-respect du mémorandum. Les créanciers cherchent à imposer une grande coalition.

C'est un signe qui ne trompe pas. En 2012 et en janvier dernier, aucun débat télévisé n'avait pu être organisé. Les partis « de gouvernement » avaient alors refusé de se confronter aux partis "anti-mémorandum". Mais, cette fois, dans l'attente des élections du 20 septembre, le débat a pu être organisé mercredi 9 septembre, regroupant sept des principaux leaders politiques du pays. Il est vrai que, cette fois, les deux grands partis, ne remettent plus en cause la nécessité d'appliquer le mémorandum signé le 19 août dernier avec les créanciers. Le débat sans enjeu est donc plus aisé à organiser.

Menaces de Jean-Claude Juncker

Et de fait, ce premier débat depuis 2009 a été à l'image de la campagne électorale : terne, sans vrai débat de fond, ni réelle perspective. Le sentiment que la messe était dite a prévalu. La politique du pays est définie par le mémorandum. Mercredi 9 septembre, dans son « discours sur l'état de l'union », le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker l'a clairement réaffirmé :

« Je veux que le programme soit respecté par tous les futurs gouvernements grecs. »

Du reste, Jean-Claude Juncker, comme à son habitude avant chaque élection grecque, il est allé de sa petite menace avec des accents dignes de Wolfgang Schäuble :

« Nous ne garderons pas la Grèce dans la zone euro à n'importe quel prix. Je suis sérieux et je parle pour de vrai », a-t-il ajouté.

Autrement dit, les leaders des partis politiques grecs peuvent bien batailler tant qu'ils le veulent, ils peuvent bien promettre ce qu'ils désirent. Une fois en place, il faudra marcher droit. La démocratie grecque est donc comme son économie sous étroite tutelle.

Les arguments de Nouvelle Démocratie

On comprend donc que les deux postulants au poste de Premier ministre, Alexis Tsipras pour Syriza et Evangelos Meimarakis pour Nouvelle Démocratie (ND), ne se soit attardés sur leurs ambitions en termes de politique économique. Le débat n'a finalement pas porté principalement sur l'avenir, mais plutôt sur le passé et sur la pertinence ou non des négociations qui ont opposé le pays à ses créanciers entre janvier et juillet.

Evangelos Meimarakis a ainsi beaucoup défendu le bilan du gouvernement d'Antonis Samaras (juin 2012-janvier 2015), estimant que si le mandat de ce premier ministre n'avait pas été interrompu par la décision de Syriza de provoquer des élections en décembre dernier, "nous aurions fait ce que nous avions promis". Il a aussi insisté sur l'expérience de ND dans la gestion de la crise (et donc l'application des mémorandums). Mais il n'a guère avancé de proposition pour les quatre ans à venir.

Le « repli tactique » d'Alexis Tsipras

Alexis Tsipras, lui, a développé sa stratégie du « repli tactique » qu'il a adopté depuis juillet dernier. Cette stratégie commence par un mea culpa en règle. « Il est clair que nous n'avons pas tenu une partie de nos engagements », a-t-il ainsi reconnu. Mais cette défaite est précisément, pour lui, un argument en faveur de Syriza pour l'élection du 20 septembre prochain.

Pourquoi ? Parce que, précisément, Syriza a lutté pendant six mois. Certes, cette lutte a été perdue, car, affirme Alexis Tsipras, elle a été menée « contre des forces asymétriques dans une économie sous perfusion. » Mais, affirme l'ancien premier ministre avec des accents gaulliens, « la Grèce a perdu une bataille, mais n'a pas perdu la guerre. »

Autrement dit : puisqu'il y a eu défaite, il faut continuer à se battre et Syriza a prouvé qu'elle était la plus à même de se battre. Mais Alexis Tsipras n'explique pas comment il compte poursuivre cette lutte en appliquant « son » mémorandum, comme il s'est engagé à le faire devant les créanciers.

La question de la coalition

En réalité, la seule question qui préoccupe les leaders des partis politiques grecs et les commentateurs - et la seule vraie incertitude qui subsiste avec cette élection - c'est celle de la future coalition gouvernementale. Le débat n'aura guère, de ce point de vue, permis d'y voir plus clair. Syriza avait ouvert la voie à une possible alliance avec un « Pasok rénové », mais la présidente de ce parti, Fofi Yennimata, s'est montrée très sévère envers Alexis Tsipras. Stavros Theodorakis, le leader de Potami, le parti centriste favori des cercles dirigeants européens, a indiqué que sa participation à une coalition n'était pas acquise. Quant à Alexis Tsipras et Evangelos Meimarakis, ils n'ont rien dit sur le sujet.

L'arme de la dette

Mais, en fait, la question pourrait se régler après le scrutin... avec « l'aide » des créanciers. Selon une source bruxelloise citée par le quotidien grec Ta Nea, « seule une large coalition gouvernementale légitimerait un accord sur la dette grecque. » Cette source ajoute que les « partis politiques grecs ont été informés. » Autrement dit, aucun de ces partis ne pourra prendre le risque de refuser cet ordre et donc de voir les négociations sur la dette échouer.

Le scénario semble donc écrit d'avance : une fois l'élection faite, les partis politiques seront sommées de former une « grande coalition », regroupant Syriza et Nouvelle Démocratie ainsi, sans doute que le Pasok et Potami. Une fois cette coalition formée, la première revue du programme se tiendra en octobre. En novembre et décembre, des négociations sur la dette auront lieu, mais, rappelons-le, toute décote franche sur la dette a été exclue par les créanciers.

Athènes ne peut espérer obtenir qu'une période de grâce et une réduction des intérêts, ce qui, certes, est central mais reviendra à renvoyer à plus tard la question de la soutenabilité de la dette.

Tsipras, toujours suspect ?

En attendant, il semble donc clair que la « neutralisation » des enjeux de la campagne électorale ne suffit pas aux créanciers. Ces derniers utilisent la dette grecque comme une arme politique pour déterminer la formation du prochain gouvernement hellénique. Le but de l'opération est de réduire la volonté affichée de lutte de Syriza à néant. Dissout dans une alliance avec les Conservateurs et les centristes, le parti deviendra absolument inoffensif.

Malgré ses efforts de l'été et sa prompte disposition à faire passer les mesures demandées par les créanciers, Alexis Tsipras demeure donc « suspect » aux yeux des créanciers.

Stratégie risquée

Derrière les inévitables envolées lyriques qui accompagneront un tel gouvernement « d'unité nationale » se dissimulent une nouvelle fois l'incapacité des créanciers à saisir le réel. Là où ces alliances ont été formées sous la pression européenne, une opposition fortement anti-européenne est sortie renforcée.

En Italie, le gouvernement Monti a ainsi donné naissance non seulement au Mouvement 5 Etoiles qui représente un quart de l'électorat, mais aussi à une nouvelle Ligue du Nord, inspirée ouvertement par le FN français et désormais crédité d'un score de 15 % au niveau national, ce qui paraissait impossible au cours des 20 dernières années. En Grèce même, Syriza a progressé grâce aux grandes coalitions imposées depuis 2011.

Mais les créanciers sont tellement persuadés que leur programme va réussir et que la croissance va rebondir fortement qu'ils ne s'en inquiètent pas. Mais si, comme c'est le cas depuis 2010, le mémorandum échoue, alors l'opposition au mémorandum, désormais limitée aux néo-nazis d'Aube Dorée, au Parti Communiste KKE et à la scission de gauche de Syriza, Unité Populaire, pourrait en profiter. La politique des créanciers consistant à mettre le couvercle sur la démocratie grecque est donc très risquée.