Grèce : les Européens sous pression

Par Romaric Godin  |   |  1621  mots
Et si les Européens étaient désormais sous pression ?
Derrière les paroles de fermeté, la stratégie européenne face à Athènes semble s'effondrer. La balle est désormais dans leur camp plus que dans celui d'Athènes.

Depuis « l'accord » trouvé à l'Eurogroupe le 20 février dernier entre les Grecs et leurs créanciers, il règne une impression d'immobilité. Les déclarations se succèdent et ne cessent de se ressembler. Le blocage semble total. D'un côté, les responsables européens maintiennent leur position d'attente d'une capitulation hellénique. Pierre Moscovici, par exemple, ce lundi 20 avril, a affirmé que la seule issue à la crise est que « le gouvernement grec accepte les réformes que l'on attend de lui. » De l'autre, le gouvernement grec demeure campé sur sa position : pas de nouvelles mesures d'austérité, donc pas question de « réformer » le marché du travail et les pensions. « On ne bouge pas de nos lignes rouges », a répété Yannis Dragasakis, le vice-premier ministre grec au quotidien To Vima dimanche.

L'évolution des positions depuis deux mois

Mais derrière cette immobilité de façade, la situation n'en évolue pas moins. Et c'est cette évolution cachée qui déterminera l'issue des négociations. Or, cette réalité a beaucoup évolué depuis deux mois. Pendant les mois de février et de mars, on a en effet vu le gouvernement grec beaucoup reculer. Alexis Tsipras a fait beaucoup de concessions, acceptant notamment de ne pas renégocier la dette publique dans l'immédiat, d'accepter certaines privatisations et de présenter jusqu'à quatre listes de réformes différentes à la demande des créanciers. Mais, depuis la réunion de l'Euro Working Group (EWG), le groupe de travail technique de l'Eurogroupe, le 1er avril, Athènes cesse de reculer. Alexis Tsipras a alors prévenu qu'il ne présentera plus de nouvelles listes et qu'il refuserait les réformes « austéritaires » réclamées par les créanciers. Depuis, le gouvernement hellénique tient sa position.

Cette EWG du 1er avril constitue une vraie rupture. En refusant de bouger davantage, Athènes a progressivement fait changer de camp la pression. Jusqu'ici, les créanciers comptaient sur le « nœud coulant » du manque de liquidité de l'Etat grec pour obtenir la capitulation d'Athènes. Plus on s'approchait de la faillite et plus Athènes était susceptibles de tout accepter. D'où cette stratégie de l'attente qui a été décidée par l'Eurogroupe. Mais désormais, cette stratégie semble s'épuiser. Le nœud coulant continue de se resserrer, mais il ne conduit pas le gouvernement grec à se montrer plus souple, bien au contraire.

Les Grecs se préparent au pire

Surtout, voici que les Grecs commencent à prendre un certain nombre de dispositions qui font penser qu'ils sont prêts à prendre le risque d'un défaut. D'abord, le rapprochement avec la Russie, qui, si l'on en croit les informations du Spiegel, démenties par Moscou, pourrait déboucher sur un versement de 3 à 5 milliards d'euros, mais qui, surtout présenterait un contrepoids important à la stratégie russe de l'UE.  Ensuite, l'évocation d'un possible référendum ou de nouvelles élections en cas d'échec des discussions qui pourrait venir confirmer la stratégie de résistance d'Alexis Tsipras avec un nouveau mandat. Ensuite, certaines informations laissent entendre que la Grèce se prépare au défaut. Selon le New York Times, Yanis Varoufakis, le ministre grec des Finances aurait rencontré vendredi un des spécialistes américains des restructurations de la dette publique, Lee Buchheit, avocat chez Gottlieb, Steel and Hamilton et partisan de la restructuration grecque. Progressivement, les Européens se retrouvent devant le risque posé par leur propre stratégie : si le nœud coulant finit par étrangler la Grèce, autrement dit si leur logique va jusqu'au bout, ils devront faire face aux conséquences d'un défaut grec, voire d'un Grexit.

Les Européens sont-ils prêts à un défaut grec et à un Grexit ?

Or, il est évident que les Européens ne sont pas prêts à accepter cette extrémité. Malgré les discours rassurants, un défaut et un Grexit poseraient de graves problèmes aux Etats et aux institutions de la zone euro. Il faudrait éponger des pertes sur les dettes accordées à l'Etat grec sans pouvoir négocier réellement le montant de ces pertes. Il faudrait éponger le système de compensation entre les banques centrales, Target-2, les créances des banques centrales vis-à-vis de la banque centrale grecque devenant insolvables.

Par ailleurs, l'absence de contagion est loin d'être certaine et les « instruments » dont dispose la zone euro pour la contenir ne sont pas sans failles. L'OMT qui permet le rachat illimité d'obligations de la zone euro sous conditions, par exemple, a certes été jugée légal par la Cour de Justice de l'UE, mais la Cour constitutionnelle allemande s'est toujours dite prête à en stopper la réalisation en Allemagne. Le programme de rachat actuel d'obligations publiques permettra de contenir en partie la contagion, mais pas entièrement. Il faudra sans doute l'élargir, au risque de provoquer la colère de certains. Enfin, une action du MES, rappelons-le, est soumise au veto de l'Allemagne.

Or, Berlin, devant déjà encaisser politiquement les conséquences du défaut grec, sera-t-elle prête à donner plus pour sauver l'euro ? Rien n'est moins sûr et une chose est certaine : Angela Merkel préfèrerait ne pas tenter l'aventure. Enfin, un dangereux précédent sera créé, mettant fin au mythe fondateur de l'euro, son irréversibilité. La BCE, dont l'existence même repose sur ce mythe, osera-t-elle le mettre en danger ? On n'y croit guère. Or, dans le bras de fer auquel se livre Grecs et Européens, c'est celui qui craint le moins (ou feint le moins de craindre) le Grexit qui emporte la mise...

Une BCE hésitante

Autrement dit, contrairement à ce qu'a affirmé Christian Noyer dans son interview de ce 20 avril au Figaro, la balle n'est pas dans le camp du gouvernement grec. Il est désormais dans celui des créanciers. Pour preuve, la BCE refuse de prendre le risque du Grexit en coupant l'accès des banques grecques au programme d'accès à la liquidité d'urgence (ELA). Elle rajoute suffisamment de fonds disponibles pour ne pas commettre l'irréparable. Athènes l'a bien compris et c'est un des éléments qui lui permet de tenir sa position ferme. Pourtant, le 4 février, pour des négociations bien moins mal engagées, la BCE avait coupé le robinet du refinancement classique aux banques grecques. Mais il semble désormais qu'elle ne soit guère prête à aller plus loin, alors même que les agences ont déjà réduit la notation de la Grèce...

La comédie des ultimatums

Autre preuve, la comédie des ultimatums. Depuis début mars, les créanciers n'ont pas cessé de lancer des ultimatums à la Grèce. En réalité, c'est toujours le même qui est répété invariablement : accepter nos réformes ou bien attention ! Mais quelle crédibilité accorder à des ultimatums dont l'issue n'est que le renouvellement de l'ultimatum ? A l'EWG du 9 avril, on a donné 6 jours à la Grèce pour présenter des réformes. Et comme rien ne venait, on a donné jusqu'au 24 avril. Puis, comme rien ne vient davantage, on évoque le 11 mai à présent... Tout se passe en réalité comme si les Européens avaient peur de leurs propres menaces. Ils sont clairement à court de munitions dans le bras de fer qui les opposent à Athènes. Un ultimatum ne vaut que s'il est utilisé une fois et qu'il porte à conséquence, sinon, c'est un discours creux qui dénote surtout une panique grandissante.

Risquer le pire pour la cause de l'austérité ?

La résistance d'Alexis Tsipras a donc fait chanceler la stratégie européenne. La balle est donc bien dans le camp des Européens. Ce sont désormais eux qui ont le plus à perdre. Les efforts d'un Mario Draghi la semaine dernière pour rejeter toute discussions sur le Grexit le prouve clairement. La zone euro n'est en réalité pas décidée à « se purifier » et à exclure les « mauvais élèves », comme le voudrait tant Wolfgang Schäuble, le ministre fédéral des Finances. Athènes le sait et tente de pousser son avantage. Derrière la communication officielle des Européens qui continue à mettre la pression sur Athènes, la situation semble désormais s'être retournée : le temps joue contre les Européens qui risquent de devoir faire face aux conséquences de leurs refus des réformes grecques, sur le plan financier et géopolitique. La cause de l'austérité mérite-t-elle que l'on prenne tant de risques ? C'est en tout cas le choix auquel sont confrontés désormais les dirigeants européens.

L'enjeu de la communication

Déjà, il semble que les discussions de ce week-end aient fait un peu de progrès. On parlait samedi soir d'un accord sur l'excédent budgétaire demandé à Athènes qui serait conforme aux demandes d'Athènes de 1,2 % à 1,5 % du PIB. De même, un accord sur de nouvelles procédures de privatisation aurait été trouvé. A suivre, mais un des principaux obstacles à un accord complet sera sans doute la gestion des concessions sur le plan de la communication. Trouver un accord où chacun puisse prétendre à la victoire sera délicat compte tenu des positions très éloignées des uns et des autres. Or, les Européens et en particulier les Allemands vont avoir bien du mal à justifier d'éventuelles concessions à Athènes. Angela Merkel devra faire face à une opposition féroce de sa droite et, hors du Bundestag, des eurosceptiques. C'est peut-être sur ce plan, plus que sur le fond que le processus peut encore échouer.