Grèce : pourquoi les discussions n'avancent pas

Par Romaric Godin, à Athènes  |   |  1201  mots
Les Eurogroupes se succèdent sans déboucher sur un accord entre la Grèce et ses créanciers.
L'Eurogroupe se réunit jeudi à 13 heures pour tenter de trouver un nouvel accord. Les logiques entre Grecs et créanciers semblent opposées.

La Grèce est désormais prise entre le marteau et l'enclume. Ce mercredi 24 juin, l'espoir d'un accord aura fait long feu. Le soir, l'Eurogroupe s'est séparé sans rien décider, reportant les discussions à jeudi 13 heures. Les propositions grecques, incluant des mesures de 8 milliards d'euros sur deux ans, ont été rejetées sèchement ce matin. La contre-proposition du FMI a été rejetée à son tour ensuite par Athènes. Ce plan grec était loin d'être parfait, il était même sans doute nocif pour l'économie hellénique. Mais il avait une qualité : montrer que le gouvernement d'Alexis Tsipras était prêt à entrer dans la logique des créanciers. Logique que l'on peut juger économiquement absurde, mais qu'il était indispensable, aux yeux du premier ministre grec, d'accepter afin de sortir le pays de la paralysie économique dans laquelle il s'enfonce.

Changement de la part des Grecs

Cette proposition représentait un changement total de stratégie du gouvernement grec et de Syriza. Il s'agissait d'obtenir un « mauvais accord » pour pouvoir appliquer une partie de son programme et bénéficier du soutien de l'Union européenne. C'était clairement une main tendue vers les créanciers. Evidemment, cette main tendue faisait grincer des dents à Athènes, mais elle était proche d'être acceptée. Il suffisait mercredi de regarder les visages des députés Syriza pour se convaincre que l'affaire n'était pas simple. Yannis Balaouras est l'un d'entre eux. « Je ne suis pas très heureux », reconnaissait-il d'emblée mercredi avant le rejet de l'offre grecque à Bruxelles. La hausse de la TVA qui frappera les plus pauvres le gènait, notamment. Mais il admettait que la Grèce doit « reprendre sa respiration » et « les liquidités doivent revenir dans le pays pour faire redémarrer l'économie. » Pour cela, il était prêt à voter un accord sur la base des propositions grecques de lundi 22 juin. Selon lui, ses électeurs qui lui envoient des messages sont d'accord sur ce point : « ils me disent, l'accord est mauvais, mais il faut continuer à lutter. » Ces concessions ne pouvaient cependant pas être acceptées sans contrepartie, notamment sur la dette. Mercredi à Athènes, il n'était pas question de réclamer une restructuration immédiate de la dette. « Nous savons que cela ne se fera pas immédiatement, mais il faut un engagement pour trouver une solution », affirmait Yannis Balaouras. Le prix à payer pour les créanciers était donc léger...

Logiques opposées

Mais pour ces derniers, cette contrepartie est impossible. Les Européens (et pas seulement les Allemands, même si leur voix est décisive) refusent d'aborder le sujet de la dette. Et le FMI a intégré dans son approche cette décision. Du coup, en tant que créancier le plus concerné dans l'immédiat (les pays européens commenceront à être remboursés en théorie en 2020), il cherche à garantir les excédents primaires nécessaires au paiement de ses créances. L'institution a donc pris son stylo rouge et a biffé les propositions grecques, principalement sur les retraites. Ramenant ainsi sur la table la baisse des pensions et la suppression dès 2017, sans remplacement, des retraites complémentaires ciblées sur les plus pauvres (le complément EKAS). La question n'est donc pas, comme on l'entend souvent, la division des créanciers, mais bien leur unité. Une unité bâtie sur le refus de toute restructuration de la dette qui suppose alors des coupes dans les dépenses. Les créanciers préfèrent en effet une baisse des dépenses qui offre un montant sûr à des hausses de recettes sujettes à l'évolution de la croissance. Et les principales dépenses grecques, ce sont les retraites.

Voici pourquoi l'accord est impossible entre les deux parties. Les approches sont strictement inversées. La Grèce consent à donner des gages, mais contre un effort sur la dette et sans toucher aux retraites. En face, les créanciers ne veulent pas parler de la dette, et, en conséquence, veulent un plan incluant des baisses de pensions.

Manque de volonté politique

Reste que ce blocage, on le voit, est théoriquement technique. Ce qui manque à ces négociations, c'est une volonté politique de parvenir à un accord. Cette volonté imposerait le changement de logique de la part des créanciers en prenant en compte l'effort politique important réalisé par le gouvernement grec lundi. Cela est impossible dans la configuration actuelle : les Eurogroupes ne discutent que de l'issue des discussions techniques et les sommets que de l'issue des discussions de l'Eurogroupe. Autrement dit, dans ce calendrier, la décision politique arrive en dernier lorsqu'elle devrait arriver en premier lieu. Elle n'a donc pas la capacité à donner une impulsion nouvelle. Pourtant, Angela Merkel ou d'autres dirigeants pourraient décider de donner des instructions aux discussions techniques en leur indiquant un cadre nouveau. Mais la chancelière ne le souhaite pas. Comme à son habitude, elle joue le pourrissement de la situation pour remporter la mise. Comme elle refuse toute discussion sur la dette qui serait difficilement acceptable en Allemagne, elle cherche la capitulation d'Athènes. Cette capitulation entraînera la chute sous une forme ou sous une autre du gouvernement actuel. Un nouveau gouvernement grec plus obéissant viendra se mettre en place et tout continuera comme avant. Le problème sera un temps mis de côté, elle pourra conserver la Grèce dans la zone euro - donc ne pas fragiliser cette zone euro - et affirmer à ses électeurs-contribuables qu'elle les a défendus. Elle n'a donc aucune raison de modifier l'ordre des discussions.

Exaspération grecque

En Grèce, cette hypothèse du but politique des créanciers, jadis circonscrites aux cercles proches de Syriza, commence à gagner du terrain dans l'opinion. C'est ce que souligne dans un tweet le journaliste du site Macropolis, Nick Malkoutsis : la question de savoir si les créanciers ne cherchent pas à renverser le gouvernement, indique-t-il, « parcourt maintenant l'esprit de nombreux Grecs, même de ceux qui ont été critiques du gouvernement. »

Les créanciers ont, de surcroît, multiplié les humiliations : faire venir Alexis Tsipras mercredi matin pour lui signifier le refus de son plan, lui remettre une feuille biffée comme une copie d'écolier, faire recevoir par Jean-Claude Juncker le président du petit parti d'opposition To Potami ce mercredi... Les Grecs demeurent encore calmes, mais après cinq ans d'austérité, ils supportent de moins en moins cette humiliation permanente. Surtout, la lassitude commence à gagner du terrain, ouvrant la voie à l'hypothèse d'une rupture. FMI et Européens jouent donc avec le feu en refusant de se donner les moyens de trouver un accord. L'Europe doit donc de toute urgence abandonner ses buts politiques et accepter enfin le résultat de l'élection du 25 janvier. Elle doit aussi respecter sa propre parole, celle qui, le 20 février, affirmait que la Grèce devait décider de ses propres réformes dans le cadre du programme. Sinon, la rupture deviendra inévitable.