Grèce : pourquoi Manuel Valls a choisi la passivité

Par Romaric Godin  |   |  1514  mots
Manuel Valls demande "des réformes profondes" aux Grecs
En répétant le discours de l'Eurogroupe, le premier ministre français montre une nouvelle fois que la France a renoncé à toute initiative sur le dossier grec. La raison en est le manque d'ambition européenne de son gouvernement.

L'interview qu'a accordée Manuel Valls au quotidien portugais Diario Económico a confirmé la position de la France sur le dossier grec. Cette position, c'est celle de la stratégie du « nœud coulant » : « le temps presse. Dans peu de temps, l'Etat grec devra faire face à des échéances de remboursement importantes. Et les choses sont simples : pour que l'assistance financière puisse fonctionner normalement, le gouvernement grec devra définir rapidement une liste de réformes plus profondes. Il y a des progrès, mais elles sont insuffisantes. » Autrement dit, Manuel Valls s'aligne parfaitement sur les positions du président de l'Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, lorsque, mi-mars, il expliquait que les pressions sur le financement de l'Etat grec étaient « bienvenues » si elles permettaient « d'accélérer les réformes. »

Ce que Manuel Valls attend d'Athènes

Manuel Valls attend donc que la Grèce, prise à la gorge par des besoins de fonds, cède sur les exigences de réformes « profondes. » Quelles sont ces réformes « profondes » ? On le sait désormais avec certitude. Selon le quotidien grec Kathimerini, l'Euro Working Group du mercredi 8 avril aurait délivré un énième ultimatum à la Grèce lui demandant de présenter une nouvelle liste « acceptable » comprenant des réformes du marché du travail, des retraites et des privatisations. C'est donc ce que Manuel Valls attend du gouvernement grec élu le 25 janvier. Mais en réalité, on serait davantage tenté de dire que Manuel Valls n'attend rien, car il ne maîtrise rien. La position de la France est une position passive d'alignement sur la position allemande.

Ce qui ne suffit pas à Manuel Valls

Car la position de Manuel Valls ne prend guère en compte les faits. Le gouvernement grec a présenté près de cinq listes de réformes, de plus en plus détaillées. Ces listes prévoient de s'attaquer au problème majeur du pays : l'inefficacité de la collecte d'impôts et le clientélisme. Les effets budgétaires sur 2015 pourraient s'élever à plus de 6 milliards d'euros. En théorie, et quel que soit le réalisme de cette liste (n'oublions pas le manque de réalisme des réformes précédentes), elle permet en théorie, d'atteindre des objectifs budgétaires compatibles avec les intérêts des créanciers. La Grèce prouve ainsi sa volonté de respecter « le cadre institutionnel et les accords » dont Manuel Valls exige dans cette interview le respect de la part d'Athènes. Cadres et accords que le gouvernement français, rappelons-le, comme bien d'autres en Europe, ne respectent guère...

L'enjeu politique

C'est qu'en en réalité, l'enjeu n'est pas là. Il est plus que jamais politique. Le but de l'Eurogroupe est d'imposer des mesures inacceptables au regard du programme de Syriza. Il s'agit, comme on a pu le lire ce week-end dans le Financial Times, de provoquer une scission au sein de Syriza, avec le départ d'une aile gauche qui serait remplacée par une alliance avec le centre-gauche « pro-européen. » En s'associant à cette stratégie, en demandant davantage de « réformes profondes », Manuel Valls prouve directement la vacuité de ce qu'il a affirmé quelques secondes auparavant et qui constitue « l'élément de langage » principal du gouvernement français sur la question grecque : « il faut prendre en compte les vœux du peuple grec tout en respectant le cadre institutionnel et les accords.» Dès lors que le respect du « cadre institutionnel et des accords » ne suffit pas, la question est donc précisément de ne pas respecter la volonté du peuple grec, celle d'en finir avec les humiliations de « réformes » stériles imposées par les créanciers sans se soucier des conséquences.

Priorité à la politique française

Cette vacuité est la preuve que la position de la France est une position de pur principe, ou plus exactement de pure communication. Manuel Valls ne fait pas de politique européenne. Il fait de la politique française. Le « respect du vote du peuple grec » n'est, de même, qu'une concession faite à la gauche du Parti socialiste pour assurer ses membres que, évidemment, la France est dirigée par un gouvernement « de gauche. » Peu importe les faits, ce slogan, répété ad nauseam permet d'assurer à bon compte une particularité de la position française qui, en réalité, n'existe pas. Voilà pour la gauche.

Pour la droite, il y a l'autre discours, celui de la fermeté vis-à-vis de la Grèce et une antienne continuelle sur les « réformes. » Du reste, dans les colonnes du journal portugais, il affirme vouloir assurer le Portugal que la France « fait des réformes. » Le Portugal sera sans doute ravi de l'entendre, mais en fait, le message est un message de politique intérieure, comme lorsque le premier ministre avait parcouru l'Europe l'an passé pour dire « j'aime l'entreprise » dans toutes les langues.

Syriza, ennemi de Manuel Valls ?

Dans ces conditions, on comprend mieux pourquoi Manuel Valls veut la capitulation du nouveau gouvernement grec. Quel est, en effet, la volonté de ce dernier ? Changer la donne en Europe en prouvant qu'il existe une voie en dehors de l'austérité, de la baisse du coût du travail et de la course à la compétitivité coût. Or, quelle est la politique de Manuel Valls en France ? Faire accepter précisément cette stratégie. Un soutien à Syriza le placerait en porte-à-faux avec sa propre politique. Un succès de Syriza donnerait du grain à moudre à son opposition de gauche, déjà remuante sinon puissante électoralement. La situation est fort simple : le premier ministre qui, au lendemain de la lourde défaite aux départementales, a affirmé vouloir « garder le cap » ne peut se permettre ni l'un, ni l'autre. Il a donc toutes les raisons d'adopter un alignement parfait sur les positions de l'Eurogroupe.

L'obsession des déficits

La seule politique européenne de Paris, c'est d'obtenir des délais sur ses déficits. Une stratégie qui l'oblige du reste à réclamer en permanence la magnanimité de la Commission et de Berlin. Et qui, évidemment, se paie sur les autres dossiers par des concessions au pire, par une passivité au mieux. Que l'on songe à la position française sur le traité de libre-échange transatlantique, par exemple. Mais là encore, on remarquera l'obsession intérieure : cette question des déficits n'est obsédante que parce qu'il faut maintenir l'équilibre précaire et impossible propre au « socialisme de l'offre », réduire les déficits tout en ne sabrant pas trop dans les dépenses pour ménager l'électorat du PS. Il n'y a là rien qui ressemble réellement à une ambition réelle pour l'Europe et la zone euro.

Le manque d'initiatives

Il n'y a donc pas de politique française vis-à-vis de la Grèce. La seule initiative notable a été la rencontre entre François Hollande et Angela Merkel quelques jours avant le 20 février qui aurait, dit-on, permis de parvenir à un accord. Mais cet accord était, pour la Grèce, un piège puisqu'il n'a pas permis de débloquer les fonds et qu'il a permis de faire monter les enchères politiques. Encore une fois, Angela Merkel, gênée à sa droite à ce moment par un Wolfgang Schäuble désireux de sortir la Grèce de la zone euro, a utilisé la France comme un moyen de faire passer son choix, le maintien du pays dans la zone euro, comme un « compromis européen. » Mais la France n'a été ici qu'un instrument et la Grèce n'a guère eu à se féliciter de cette intervention française. Depuis, Michel Sapin ne cesse de répéter le même discours que celui de Manuel Valls dans le Diario Económico.

Eclatante passivité

Bref, sur ce dossier, la France attend. Sa passivité éclate ce 10 avril au grand jour. Car après le voyage d'Alexis Tsipras à Moscou et alors qu'Athènes a montré sa capacité à ne pas céder à la stratégie du « nœud coulant », on aurait été en droit d'attendre du gouvernement de la deuxième puissance de la zone euro qu'elle prenne une initiative. En y renonçant, le gouvernement français se place en position d'attente de ce que décidera Angela Merkel. C'est elle qui, une fois de plus, doit décider si elle prend ou non le risque de voir la Grèce se détacher de l'Europe et de l'euro. La France obsédée par ses problèmes internes ne l'aidera pas dans son choix. La passivité de la France sur ce dossier, un de ceux qui vont déterminer l'avenir de la zone euro, prouve combien le pays est devenu une puissance secondaire en Europe. On serait presque tenté de dire que les pays baltes ou la Finlande, où l'on discute beaucoup de Grèce pendant la campagne précédant les élections du 19 avril, sont plus influents que cette France qui n'a pas réellement compris l'enjeu de la question grecque.