Immobilier : la Grèce est-elle vraiment un eldorado ?

Par Sarah Belhadi  |   |  1478  mots
En légende, l'île de Santorin, dans les Cyclades, toujours prisée par une clientèle aisée.
Alors que le pays vient de trouver un accord avec ses créanciers pour l'obtention d'un troisième plan d'aide, la Grèce, plongée dans la crise, est-elle vraiment devenue le paradis des investisseurs dans l'immobilier ?

Les crises attirent les opportunistes. Et en matière d'immobilier, la Grèce ne déroge pas à la règle. "Il y a deux types de clients : ceux qui connaissent bien la Grèce et qui, avec la situation actuelle, veulent concrétiser un projet car ils savent que c'est le bon moment, et ceux qui veulent faire de bonnes affaires", détaille Nicolas Mugni, un agent immobilier français, fondateur de Demeures de Grèce, expatrié en Grèce depuis onze ans.

80% de la clientèle de Nicolas Mugni est européenne (Français, Belges, Suisses), les autres viennent du Proche-Orient, du pays du Golfe ou encore d'Égypte. Il compte dans son portefeuille des quinquagénaires, des cadres supérieurs, et parfois même de grands dirigeants dont il taira bien entendu l'identité. "Nos clients veulent de belles villas à 1 million d'euros. Ils veulent quelque chose de sympa, et savent que cela coûte trois fois moins cher que sur la Côte d'Azur", détaille l'agent immobilier. Dans le top de leur classement, ce sont les Cyclades qui attirent le plus sa clientèle étrangère à l'instar de Mykonos, Santorin, Paros et Antiparos.

Mais l'île d'Hydra, dans le golfe Saronique, au sud d'Athènes, séduit tout autant une clientèle aisée, qui se compose souvent de galeristes et d'artistes, en quête de sérénité. Celle que l'on surnomme "l'île aux peintres" a eu son lot de visiteurs célèbres : Marc Chagall, Henri Miller, ou plus récemment l'artiste contemporain Jeff Koons.

Des acheteurs potentiels déconnectés de la réalité ?

Si des publics fortunés savent que les îles recèlent de belles affaires, d'autres ne sont tout simplement pas réalistes. Car, si les prix ont chuté après un pic atteint en 2009, il ne faut pas non plus rêver, avertissent les professionnels de la pierre.

"Il y a beaucoup de gens qui pensent qu'avec 300.000 euros, on peut s'acheter une villa avec piscine", détaille l'agent immobilier. "Pour ce prix-là, on peut trouver des maisons sympas, mais pas ça ! ", prévient le professionnel de l'immobilier insulaire.

"Oui, on vend à des prix inférieurs au coût de la construction, mais on ne va pas non plus vendre à 100 euros le mètre carré. Il y a un coût de la construction en Europe", lance de son côté Patrick Tkatschenko, fondateur de l'agence immobilière Mobilia.

A condition de miser sur des îles plus confidentielles, par exemple Kéa, petite île montagneuse à une dizaine de kilomètres du cap Sounion, ce budget devrait néanmoins permettre d'acquérir une maison avec vue sur la mer pour un montant oscillant entre 250.000 et 300.000 euros.

Pas de fiscalité sur les biens immobiliers jusqu'en 2011

Si depuis quelques années, les Grecs sont taxés sur leur patrimoine immobilier, les prix des biens de haut de gamme ne se sont pas effondrés. Certes, les Hellènes sont parfois poussés à vendre par dépit. Au cas par cas, de belles affaires peuvent se faire, car les acheteurs potentiels peuvent discuter les prix. Ainsi, à Paros, une île des Cyclades particulièrement convoitée, un terrain "les pieds dans l'eau" est parti à 380.000 euros, contre les 700.000 euros de départ. A Mykonos, on trouve des villas à 1,2 million d'euros contre 1,9 million avant la crise. "Mais c'est au cas par cas", glisse Nicolas Mugni.

Jusqu'en 2011, les biens immobiliers n'étaient pas fiscalisés. Mais il y a quatre ans, le gouvernement de Georges Papandréou, déjà sous la pression des créanciers du pays, adopte une taxe sur la propriété immobilière, autrement dit une taxe foncière. Cette dernière est directement prélevée sur les factures d'électricité des Grecs. Elle varie en fonction de la taille, de l'usage et de l'emplacement du bien. Une nouvelle taxe la remplace en 2014 afin de générer 3,2 milliards d'euros de revenus à l'Etat.

Avec le nouveau zonage fiscal instauré en 2011, certaines familles se retrouvent à devoir payer une taxe qui va de 1 euro à 16 euros le m2 en fonction de la zone géographique dans laquelle se situe le bien immobilier.

"Dans ce cas de figure, les propriétaires sont directement impactés. Car on peut avoir du patrimoine sans avoir de cash flow. C'est un peu comme les gens qui se retrouvent imposés à l'ISF à cause des biens immobiliers dont ils ont hérités", décrypte l'agent.

La Grèce, ce pays de propriétaires sans cadastre

En immobilier, la situation de la Grèce est particulière. Quitte à devenir parfois ubuesque. Le taux de propriétaires est l'un des plus élevés d'Europe, avec 70% d'une population adulte qui possède un bien.

"Les Grecs ont souvent 1, 2, 3, ou 4 appartements", explique Patrick Tkatschenko, le fondateur de l'agence Mobilia, nichée derrière le "stade de marbre" à Athènes, à l'entrée du quartier de Pangrati.

"Après guerre, pour faciliter la construction de logements neufs, le pays a voté des lois pour permettre de construire sur les terrains. Le tout était défiscalisé."

Ainsi, on a construit des immeubles de plusieurs étages sur des terrains pour développer rapidement la ville. En échange, le propriétaire dudit terrain, recevait un ou deux appartements.

"Jusque dans les années 2000, cela fonctionnait ainsi. Les Grecs ont acquis de nombreuses propriétés par ce biais-là", assure le directeur de l'agence immobilière installé en terre hellènique depuis 23 ans.

C'est aussi le seul pays de l'Union Européenne qui ne dispose pas de cadastre permettant de déterminer les propriétés foncières d'un territoire. Une histoire particulière, résultat des multiples statuts fonciers qui coexistent en Grèce depuis les empires byzantin, ottoman. A ce jour, aucun politique ne s'est engagé sur un tel chantier pour reformer cette particularité grecque.

En banlieue d'Athènes, 50 m2 pour 30.000 euros

Pour réaliser de bonnes affaires, il faut oublier la mer et ses maisons blanchies à la chaux. Direction Athènes où l'effondrement des prix se concentre sur le moyen de gamme. "On trouve des appartements de 40-50 m² en quartier périphérique pour 30.000 euros", détaille Nicolas Mugni, fondateur de l'agence et du site "Demeures de Grèce". Patrick Tkatschenko confirme : "à Athènes, il y a des quartiers où on peut acheter à moins de 500 euros le m²", mais assure que "les étrangers n'iront pas investir là".

Et dans la capitale, le stock d'appartements ne manque pas. On parle de 200.000 à 300.000 appartements, construits dans les années 2000 et aujourd'hui vacants.

La classe moyenne grecque, impactée par les réformes, est contrainte de vendre, voire de brader les appartements, confie l'agent immobilier. "Dans certains cas, il y a 60% de baisse", souffle l'agent. Alors c'est peut-être là que le public étranger pourra dénicher la perle rare. A deux pas du stade de Marbre, à Athènes, une retraitée française s'est offert un 50 m² pour la bagatelle de 50.000 euros. "je rencontre une dizaine de personnes par an tentées par cette aventure", souffle Patrick Tkatschenko.

En se dirigeant dans les quartiers huppés de la capitale, la baisse des prix amorcée en  2009 se confirme aussi. A l'instar de Kolonaki, au centre d'Athènes, avec des prix qui ont chuté de 40% en 6 ans. "Avant, on ne vendait rien en dessous de 3000 euros le m2, maintenant on est à 1200 euros le m2", détaille Patrick Tkatschenko. "Dans les quartiers cotés, on était à 5000 euros le mètre carré en 2009, maintenant on est plus entre 2500 et 3000 euros", ajoute Nicolas Mugni.

Même les banlieues du sud d'Athènes, prisées car en bord de mer, à l'instar de Paleó Fáliro ou de la très bling-bling Glyfáda ont vu leurs prix dégringoler en quelques années : entre 1000 et 2000 euros le m², soit une baisse de 50%.

L'immobilier suspendu à un nouvel accord européen

Si les étrangers peuvent doper l'immobilier, notamment par les mesures incitatives instaurées à l'instar du Golden Visa qui permettent d'attirer les capitaux étrangers en Grèce, les Hellènes eux n'achètent plus. "Les gens sont contraints de vendre car ils n'ont plus d'argent pour vivre et pour payer les taxes", observe Maître Athanassios Dragios, notaire à Athènes. Depuis 5 ans, les biens achetés diminuent, mais cette année 2015 est d'ores et déjà la plus noire. Et pourtant, la Banque nationale grecque note que les prix ont baissé de 40% ces cinq dernières années, assure le notaire.

Dans son étude, même les clients étrangers se font discrets. "J'ai quelques contrats avec eux, mais même eux ne se pressent pas". L'heure est à l'attentisme. "Si on trouve une solution au mois de septembre (à la crise), on va pouvoir retravailler sérieusement. Les Grecs vont aussi reprendre confiance dans le marché immobilier", souhaite Athanassios Dragios. Pour le moment, "on attend, et on espère".