Italie : pourquoi le Jobs Act a déçu

Par Romaric Godin  |   |  1308  mots
Le chômage remonte en Italie. Malgré les "réformes".
Le chômage repart à la hausse en Italie : 0,4 point de plus en un an en novembre à 11,9 %. La réforme Renzi s’essouffle et n'a pas tenu ses promesses.

Un des thèmes principaux de la campagne électorale présidentielle française sera sans doute la lutte contre le chômage de masse. Beaucoup de candidats défendront encore l'idée d'une « nécessaire réforme du marché du travail » pour en finir avec le chômage de masse. Manuel Valls et Emmanuel Macron ont défendu et porté la Loi Travail votée cet été, tandis que François Fillon veut encore aller plus loin. Dans ce débat, les inspirations internationales ne manqueront pas. Une risque de manquer à l'appel : l'Italie. Pourtant, le « Jobs Act » de Matteo Renzi, votée fin 2014, avait été une des inspirations revendiquées de la loi Travail française. Le président du conseil italien d'alors avait même publié un tweet de soutien au projet français en en revendiquant l'inspiration.

La France fait mieux que l'Italie sur le front de l'emploi

Mais le « miracle » italien a fait long feu. Ce lundi 9 janvier, les chiffres de l'emploi italien pour le mois de novembre 2016 viennent le confirmer. Le taux harmonisé et désaisonnalisé de chômage italien s'établit à 11,9 %, soit 0,4 point de plus qu'en novembre 2015. L'Italie est un des quatre pays avec l'Estonie, Chypre et le Danemark a constaté une progression de son taux de chômage sur un an dans l'Union européenne. Il est encore le quatrième taux le plus élevé de l'UE, derrière la Grèce, l'Espagne et Chypre. A titre de comparaison, le même taux français (10e plus élevé de l'UE) est passé en un an de 10,2 % à 9,5 % de la population active. En un an, l'écart de taux de chômage s'est donc élargi de 1,1 point... en faveur de la France !

En termes absolus, le constat est le même. On comptait, au sens d'Eurostat, en Italie, 3,089 millions de demandeurs d'emploi en novembre 2016, soit 165.000 de plus qu'un an plus tôt. C'est la plus forte hausse de l'UE. Dans la France « des rigidités », sur la même période, le nombre de chômeurs a reculé de 203.000 personnes, toujours selon Eurostat.

Des créations d'emploi subventionnées

Le « Jobs Act » semble donc ne pas réellement tenir ses promesses et un regard plus précis semble le confirmer. Certes, l'Italie créé désormais des emplois. Entre novembre 2014 et novembre 2016, 451.000 emplois ont été créés. Le « Jobs Act » y a-t-il contribué ? Sans doute, même si ces créations de postes avaient débuté dès 2013 : entre novembre 2013 et novembre 2014, 115.000 postes ont été créés. Le contexte de la réforme de Matteo Renzi est aussi celui d'une reprise économique et donc de la reconstitution de la force de travail. Mais il convient de rappeler un élément clé du fonctionnement du Jobs Act. Si l'esprit de la loi consistait à « favoriser » les embauches en CDI en élargissant la période d'essai à 3 ans, l'Etat a incité les employeurs à avoir recours à ce nouveau contrat « à protection croissante », par une exonération des charges de 8.000 euros annuels sur l'année 2015. Or, en 2016, cette exonération a été revue à la baisse à 3.500 euros. Il y a de fortes présomptions que ces soutiens sonnants et trébuchants soient plus motivants que la « flexibilité » pour les employeurs. Ce que les chiffres semblent confirmer. Entre janvier et novembre, l'économie italienne a créé 158.000 emplois contre 236.000 emplois sur la même période de 2016.

Un chômage encore historiquement très élevé

Cette réforme qui avait l'ambition  de modifier « structurellement » le marché du travail italien semble donc avoir manqué cette cible. Son effet spécifique est difficilement identifiable des effets de conjoncture et du soutien de l'Etat. Mais il est au moins un élément qui apparaît comme certain : les emplois créés par la réforme sont insuffisants au regard des besoins de l'économie italienne. Ainsi, l'Italie compte encore 288.000 chômeurs de plus qu'il y a cinq ans, en novembre 2011, date du début de l'application de la politique d'austérité dans le pays. Son taux de chômage est certes inférieur aux 13,1 % d'il y a deux ans, mais il demeure nettement plus élevé qu'avant la crise : il était de 9,6 % en novembre 2011. Voici neuf ans, en novembre 2007, le taux de chômage italien était de 6,2 %. Ce taux était, du reste, resté inférieur au taux français entre septembre 2003 et décembre 2011. Malgré une croissance plus faible que la zone euro, l'Italie ne connaissait pas alors le chômage de masse. Il convient donc de ne pas oublier que la situation actuelle d'un chômage supérieur à 11 % de la population active est du jamais-vu en Italie depuis l'immédiat après-guerre et que, avant la crise, le pays n'avait jamais connu plus de 3 millions de chômeurs. Un niveau qui a été à nouveau franchi cette année...

Echec structurel ?

Autrement dit, la crise et l'austérité ont clairement changé structurellement les données du problème de l'emploi en Italie. Et, malgré les rodomontades de Matteo Renzi, sa réforme ne semble pas en mesure de régler ce problème. Ainsi, les créations de postes en 2015 et, sans doute encore davantage, les propos triomphants du premier ministre ont conduit, en 2016, beaucoup d'Italiens qui avaient abandonné la recherche d'un emploi, y sont revenus. Ainsi, le taux d'activité a bondi d'un point en un an, passant de 54,1 % à 55,1 % de la population totale des 15-64 ans, soit 366.000 personnes de plus. Or, malgré ce taux encore relativement faible au niveau européen, les emplois créés ont ralenti, en grande partie par la fin des subventions aux créations d'emplois. Ils ont donc été beaucoup trop insuffisants (201.000) pour combler la hausse de la demande d'emplois. D'où la forte augmentation du taux de chômage. De fait, le Jobs Act, s'il a pu susciter des espoirs, n'a donc pas été capable de remplir ses promesses.

La précarité ne recule pas.

L'autre déception concerne les CDD. La réforme Renzi devait permettre d'en finir avec la dichotomie du marché du travail et, en réduisant les contraintes liées au CDI, de favoriser ce dernier par rapport aux CDD. Mais, quelques mois avant le Jobs Act, en 2014, le gouvernement Renzi avait lancé la « Loi Poletti » qui permettait un usage plus large des contrats temporaires. Résultat, la proportion de CDD dans les emplois créés demeure importante. Sur deux ans, 118.000 CDD ont été signé, soit 22,9 % de l'ensemble des emplois salariés créés. La proportion d'Italiens en CDD n'a jamais été aussi élevée qu'en novembre 2016 : 14,05 % de l'ensemble de l'emploi salarié contre 13,74 % voici deux ans et 13,27 % voici dix ans. Résultat : le Jobs Act n'a pas permis de faire reculer la précarisation de l'emploi dans la Péninsule.

Une réforme coûteuse sur le plan politique

Certes, le bilan d'une telle réforme ne peut se faire sur une période de moins de deux ans. Mais certains éléments montrent déjà les limites du Jobs Act : l'essoufflement des créations d'emplois qui sont incapables d'absorber la hausse de l'activité et la progression continue des signatures de contrats indéterminés. Politiquement, cette réforme a très fortement déçue compte tenu des attentes créés par Matteo Renzi et de la situation de l'emploi au regard de la décennie précédent. Le Jobs Act semble donc à la fois surévalué sur le plan économique et très coûteux au regard des résultats sur le plan politique. L'ancien président du conseil a très clairement payé le prix fort d'une déception qu'il a contribué, par son discours triomphateur, à constituer. La déception sur le Jobs Act explique en partie la défaire du « oui » au référendum institutionnel du 4 décembre 2016. De quoi réfléchir à la logique simple du "miracle" des réformes et de leur nécessité.