L'Espagne propose de changer le mandat de la BCE

Par Romaric Godin  |   |  897  mots
Mariano Rajoy veut changer la BCE
Selon El Pais, le gouvernement espagnol propose de donner à la BCE d'autres objectifs que la seule stabilité des prix au niveau de la zone euro. Madrid voudrait aussi un budget européen et des Eurobonds.

Est-ce le premier effet de la défaite électorale de Mariano Rajoy dimanche dernier ? Certainement pas entièrement, mais le danger politique n'est pas étranger aux propositions que le gouvernement espagnol a envoyé à ses partenaires européens.

Selon El Pais, Madrid réclame un ambitieux redéploiement de la politique économique commune au sein de la zone euro avec la mise en place d'un budget commun et d'une redéfinition du rôle de la BCE.

Inspiration fédéraliste

Globalement, le projet espagnol est d'inspiration fédéraliste, il propose un transfert accru de compétences économiques au niveau de la zone euro dans son ensemble. Le gouvernement de Madrid demande ainsi de « compléter l'union bancaire » et surtout « d'accélérer l'union budgétaire. »

Cette union s'appuiera sur un budget propre à la zone euro qui permettra d'intervenir en cas de crise et qui serait financé en partie par des obligations communes à la zone euro, les fameux Eurobonds. En juin 2012, le gouvernement français de Jean-Marc Ayrault avait, sous la pression allemande, enterré ces Eurobonds. Les voici donc à nouveau proposé par le gouvernement conservateur espagnol !

Changer la BCE

Mais la réforme qui paraît la plus ambitieuse est celle de la BCE. Madrid admet que la lutte contre l'inflation doit demeurer le premier objectif de la BCE. Mais le gouvernement espagnol propose d'en rajouter un second en ordre d'importance : la prévention des déséquilibres macroéconomiques au sein de la zone euro. « L'orientation de la politique monétaire unique s'est révélé inadéquate pour certains Etats membres et a ainsi généré des chocs asymétriques », explique le texte selon El Pais. « Dans quelques pays, la politique monétaire a été excessivement expansive et a créé les conditions financières qui ont conduit à un endettement excessif et à l'accumulation de déséquilibres », conclut-il.

Madrid propose donc « d'adapter » l'objectif d'inflation de la BCE d'une « inflation inférieure mais proche de 2 % pour l'ensemble de la zone euro » en « prenant compte non seulement de l'inflation moyenne, mais aussi de la variation entre les pays et des conditions différentes. »

Critique voilée de la BCE de l'ère Trichet

C'est une des premières fois qu'un gouvernement de la zone euro fait un bilan sévère des années où Jean-Claude Trichet dirigeait la BCE. Durant les années 2003-2007, la politique monétaire de la BCE a généré de graves bulles immobilières en Irlande et en Espagne, tandis qu'elle alimentait la dette publique et privée en Grèce et au Portugal.

De plus, la BCE ne semble pas avoir pris conscience de l'écart qui se dessinait entre une Allemagne menant une politique de désinflation compétitive par une forte modération salariale visant en réalité un objectif d'inflation nulle et le reste de la zone euro. Ce document du gouvernement espagnol est donc une charge à peine voilée contre l'ancien président de la BCE qui, depuis sa sortie de charge en 2011, ne cesse de se justifier, reportant toute la responsabilité de la crise sur les Etats et les salariés.

La BCE dans le sillage de la Fed

Madrid entend désormais clairement placer la BCE dans le sillage de la Fed et évoque aussi des objectifs de PIB et d'emploi « comme les autres banques centrales du monde. » Enfin, Mariano Rajoy qui n'a cessé de vanter ses résultats économiques soulignent que son pays demeure exposé à des chocs externes. C'est un coup de canif dans la narration européenne d'une austérité qui aurait fini par porter ses fruits et dont l'Espagne devient un des exemples favoris. Cette narration avait fait de Madrid un allié très proche de Berlin. Avec l'évolution politique interne du pays, il semble que ce temps soit bel et bien révolu. L'Allemagne pourrait désormais se tourner plutôt vers Paris qui semble d'accord pour faire des propositions beaucoup moins ambitieuses.

Vouée à l'échec

La proposition espagnole a-t-elle des chances de voir le jour ? C'est peu probable. Si l'objectif des 2 % n'est pas dans les traités, le statut d'indépendance de la BCE empêche toute demande des gouvernements sur ce sujet. Changer ce statut, rajouter un objectif passera obligatoirement par un changement de traité. Or, ni Berlin, ni Paris ne veulent modifier les traités, car ce serait alors ouvrir la boîte de Pandore des demandes britanniques. Surtout, ce serait s'exposer à un vote de rejet des électorats. Enfin, la proposition espagnole a de quoi effrayer la pensée économique allemande. Selon cette dernière, la stabilité monétaire est la clé de voûte du reste : la croissance, l'emploi et l'intégration des différents Etats. Pour les économistes libéraux allemands - et pour Jean-Claude Trichet dans sa justification - si cela n'a pas fonctionné avant 2008, c'est précisément parce que cette stabilité n'a pas été suffisamment respectée en raison des dérives budgétaires des États. Voilà pourquoi, jusqu'ici, « l'intégration européenne » a été approfondi d'abord par des mesures de contrôle budgétaire : Two-Pack, Six-Pack, pacte budgétaire... L'union bancaire s'est faite a minima avec peu de responsabilité commune, tandis que le Mécanisme européen de stabilité est fondé sur des « politiques d'ajustement. » Bref, la proposition de Madrid semble, malgré sa pertinence, vouée à l'échec.