L'ex-commissaire européenne à la Concurrence dirigeait une société offshore

Par latribune.fr  |   |  734  mots
Au siège de la Commission européenne, à Bruxelles, le 21 mars 2006, la commissaire à la concurrence Neelie Kroes, accueillant Fulvio Conti, directeur exécutif de l'énergéticien italien Enel.
[ Bahamas Leaks ] En pleine affaire Barroso (l'ex-président de la Commission embauché par Goldman Sachs), l'ancienne commissaire européenne à la Concurrence Neelie Kroes se voit épinglée pour conflit d'intérêts. Des journaux européens ont révélé mercredi que, alors qu'elle était chargée de surveiller le monde des affaires, elle dirigeait une société aux Bahamas pendant son mandat. Au mépris des règles européennes.

[Article publié le jeudi 22 septembre à 10:48, mis à jour à 11:36]

D'après les documents en possession du quotidien allemand Süddeutsche Zeitung et du fameux Consortium international des journalistes d'investigation ICIJ (responsable de la diffusion des "Panama Papers"), Neelie Kroes a été directrice de Mint Holdings Ltd., une entreprise offshore établie aux Bahamas, "du 4 juillet 2000 au 1er octobre 2009", ont révélé les quotidiens néerlandais Trouw et Het Financieele Dagblad.

Or, sur cette même période, elle a été commissaire à la Concurrence entre 2004 et 2009 (avant d'être vice-présidente de la Commission européenne jusqu'en 2014) et le code de conduite de l'Union européenne dispose que "les membres de la Commission ne peuvent exercer aucune autre activité professionnelle, rémunérée ou non".

Les commissaires européens doivent, au début de leur mandat, non seulement renoncer à toutes leurs fonctions de direction mais aussi notifier dans un registre public toutes celles, ayant donné lieu ou non à un paiement, exercées les dix années précédentes.

"Neelie Kroes est restée 9 ans à la tête d'une société des Bahamas sans rien déclarer, avec de forts soupçons de conflit d'intérêts. C'est là une violation totale du code de conduite des commissaires européens. Faut-il rappeler que M. Barroso avait tout fait pour la protéger lors de sa désignation comme commissaire européenne, alors que le Parlement européen soulevait de nombreux cas de risque de conflit d'intérêts ?", s'est demandée la délégation des socialistes français au Parlement européen, dans une déclaration recueillie par le site d'actualités européennes Euractiv.

Conseil stratégique pour achats de parts dans l'énergéticien Enron

L'ex-ministre néerlandaise des Transports assure avoir abandonné en 2002 son poste au sein de Mint Holdings et avoir quitté cette entreprise en 2004 au début de son premier mandat en tant que commissaire européenne, ont rapporté les médias néerlandais.

L'ancienne commissaire "était, selon ses propres dires, un directeur non-exécutif et aurait donné des conseils stratégiques à Mint Holdings, qui voulait acheter des parts dans le géant américain de l'énergie Enron pour 6 milliards de dollars", précisent les deux quotidiens. "Cet achat a échoué à l'été 2000." Donc, avant sa prise de fonction.

Trouw et Het Financieele Dagblad, qui publient plusieurs documents dont la source n'a pu être confirmée, poursuivent:

"Parce que Mint Holdings n'a jamais été opérationnelle selon elle, elle (Mme Kroes) n'a jamais fait état de ses fonctions dans la direction" de cette firme.

L'équipe de juristes de l'ex-commissaire reconnaît l'infraction

Neelie Kroes a reconnu auprès de ces deux journaux qu'elle avait été "officiellement en infraction avec le code de conduite des commissaires européens". L'équipe de juristes de l'ancienne commissaire européenne a pour sa part déclaré au Guardian que leur cliente était "d'accord qu'officiellement, elle aurait dû déclarer ses fonctions de directrice".

"Mme Kroes informera le président de la Commission européenne de cette omission et en assumera la pleine responsabilité", ont-ils dit à ce quotidien britannique.

Ils ont ajouté que Neelie Kroes pensait que la société Mint Holdings avait été liquidée en 2002 et que, en outre, elle n'y avait reçu aucune rémunération. Une porte-parole de la Commission a, quant à elle, déclaré que l'ex-commissaire avait désormais informé les autorités européennes de cette affaire. "Nous allons vérifier et analyser cette information avant de prendre une décision", a-t-elle ajouté.

Des combats contre les positions dominantes... mais pas toutes

Neelie Kroes, actuellement conseillère rémunérée de Bank of America et d'Uber, s'est fait une réputation à Bruxelles en s'en prenant dans le cadre de sa lutte contre les positions dominantes sur les marchés, à Microsoft ainsi qu'aux groupes énergétiques E.ON et GDF Suez, entre autres.

Le site Euractiv rappelle cependant que c'est elle qui s'est illustrée récemment en montant au créneau contre l'amende de 13 milliards d'euros infligée à Apple. Essayant au passage de tacler celle qui (après Joaquín Almunia) lui a succédé à la Commission,  Margrethe Vestager.

Au total, quelque 1,3 million de documents d'entreprises aux Bahamas en possession de la Süddeutsche Zeitung et de l'ICIJ ont été rendus publics sous le nom de BahamaLeaks, selon Trouw et Het Financieele Dagblad.

(Avec AFP)