Le FMI propose de geler le remboursement de la dette grecque d'ici à 2040

Par Romaric Godin  |   |  1236  mots
Le FMI a son idée sur les objectifs à fixer à la Grèce.
Selon le Wall Street Journal, le FMI voudrait étaler de 2040 à 2080 le remboursement de la dette grecque. Une proposition difficilement acceptable pour les créanciers européens.

Le dialogue est-il encore possible entre l'Eurogroupe et le FMI sur la dette grecque ? Selon le Wall Street Journal, l'institution de Washington a proposé un schéma de restructuration de la dette hellénique très éloigné des demandes des créanciers. Le FMI proposerait ainsi un moratoire jusqu'en 2040 de tous les remboursements, intérêts et principaux, puis l'étalement jusqu'en 2080 de ces remboursements, ce qui permettrait de maintenir les besoins nets de financement de la Grèce sous les 15 % du PIB. D'ici à 2040, la Grèce serait tenue à dégager un excédent budgétaire primaire (solde des recettes et des dépenses) de 1,5 % du PIB.

Cette proposition permettrait certes de sauvegarder la valeur nominale de la dette grecque possédée par les créanciers de la zone euro, comme ces derniers l'exigent, mais elle amènerait une forte dévalorisation de la valeur réelle « actualisée » de cette dette puisque son remboursement serait lissé sur 21 ans de plus que le plan de remboursement prévu aujourd'hui. Le FMI refuse, conformément à ses statuts d'intégrer le troisième programme grec s'il n'y a pas de restructuration d'ampleur de la dette grecque et la mise en place d'objectifs crédibles. L'institution de Washington estime ainsi qu'il n'est pas possible de tenir l'objectif d'excédent primaire de 3,5 % du PIB prévu actuellement à partir de 2018.

Les Européens s'étranglent devant la proposition du FMI

Le problème, c'est que les Européens ne sont pas prêts pour le moment à accepter une restructuration de la dette grecque de cette ampleur. Dans son communiqué du 9 mars, l'Eurogroupe avait certes évoqué des mesures à partir de 2018 et en cas de « succès » du programme, comprenant des allongements de maturité et des moratoires, mais, selon le Wall Street Journal, les Européens ont jugé très « dure » (« hardcore ») cette proposition du FMI. Selon Die Welt, l'Eurogroupe avait ainsi rejeté lundi dernier une proposition du Mécanisme Européen de Stabilité (MES) qui, tout en maintenant l'objectif d'excédent primaire à 3,5 % du PIB pendant une longue période, s'engageait à limiter jusqu'en 2050 les remboursements à 1 % du PIB pour le capital et à 2 % pour les intérêts.

La vision germanique, partagée par l'immense majorité de l'Eurogroupe à l'exception de la France, est résumée par le président de la Bundesbank Jens Weidmann dans son interview publiée ce lundi : « le problème le plus urgent de la Grèce n'est pas le service de la dette, mais le respect du programme ». Cette croyance domine la logique de l'Eurogroupe qui pense toujours qu'à force d'excédent primaire, on pourra parvenir au désendettement de la Grèce. Dès lors, la restructuration de la dette ne peut être, pour les ministres des Finances de la zone euro, qu'un instrument politique pour donner le change à Alexis Tsipras, le premier ministre grec ou au FMI, mais nullement un instrument de gestion économique et financière. On comprend alors que le projet du FMI ne soit pas acceptable.

La logique du projet du FMI

Or, ce projet demeure extrêmement dur d'un point de vue grec car si le remboursement de la dette est fortement dilué, l'exigence de maintenir un excédent primaire est très contraignant pour la Grèce et aura un impact négatif sur sa croissance. Si certains pays comme la Norvège, le Danemark, la Finlande ou la Belgique ont pu maintenir des excédents primaires importants sans récession dans les années 1990-2000, leur niveau de compétitivité était au départ plus élevé que la Grèce, leur potentiel productif était plus solide et certains ont pu ajuster, au début du phénomène, leur monnaie. En revanche, en Italie, où le budget primaire a été en excédent entre 1992 et 2011, la croissance potentielle s'est fortement dégradée et l'économie fait du surplace depuis l'entrée dans la zone euro en 1999. Dans ce pays, les excédents primaires n'ont pas permis de mettre le pays à l'abri de la récession, des attaques du marché et de l'augmentation de la dette publique. La Grèce a perdu 28 % de son PIB depuis 2009 et le pays est à reconstruire. Comme l'Italie, la Grèce est surendettée. Pour redonner confiance, un plan ambitieux de réduction de la dette est nécessaire. Il permettrait notamment de réduire encore les excédents nécessaires. Un excédent primaire sans soutien à l'activité est donc un risque. Reste que le FMI a pris en compte le refus des créanciers européens de tout « haircut », autrement dit d'un renoncement à la valeur nominale de la dette.

Le dilemme allemand

Il est donc de plus en plus improbable qu'un accord sur la dette soit trouvé avant le 24 mai, date de la prochaine réunion de l'Eurogroupe. Déjà, certains évoquent la possibilité de se passer du FMI. Le projet du MES proposait le rachat de la dette de la Grèce envers le FMI en utilisant le capital disponible du MES, charge à Athènes de le rembourser au MES. Ceci inclurait cependant une perte sur le paiement de l'intérêt pour les Européens. Surtout, le gouvernement allemand s'est engagé auprès du Bundestag à intégrer le FMI dans le programme pour « adoucir » la facture pour le « contribuable allemand ». Tout échec de ce point de vue serait une vraie difficulté pour Angela Merkel qui n'en a guère besoin alors que son alliance, la CDU/CSU est au plus bas dans les sondages et l'extrême-droite, AfD, au plus haut... Les Allemands font face à leur propre contradiction : convaincre le FMI de venir à leurs conditions relève plus que jamais de la gageure.

Le pari perdu d'Alexis Tsipras

Et la Grèce ? Alexis Tsipras n'a guère son mot à dire dans cette discussion. Il devrait, ce mardi, soumettre une nouvelle loi comportant diverses mesures demandées par les créanciers, notamment sur les privatisations. Il doit aussi mettre sur pied un mécanisme de réduction automatique des dépenses pour atteindre en 2018 l'objectif d'excédent primaire de 3,5 % du PIB. Son refus répété de discuter avec le FMI le place donc dans l'obligation de se soumettre à la logique des créanciers de l'Eurogroupe. Son pari était que le FMI plaçait des objectifs plus rigides et plus durs et qu'il pourrait plus aisément négocier avec les Européens au niveau politique. Mais si, historiquement, cette réflexion était juste, il fallait prendre en compte le faut que le FMI était, lors des deux précédents programmes, dans la logique d'une soutenabilité de la dette grecque, ce qui obligeait à des excédents élevés. L'institution de Washington refuse aujourd'hui cette logique. Certes, comme on l'a vu, le FMI a des exigences de réformes souvent intenables. Mais l'Eurogroupe vient d'imposer un nouveau mémorandum et le rêve d'Alexis Tsipras d'imposer un compromis politique semble inatteignable. Angela Merkel refuse toujours de placer la question des finances grecques au niveau politique. Elle le laisse aux bons soins de l'inflexible Wolfgang Schäuble.

Le pari d'Alexis Tsipras est donc perdu. Il peut difficilement à présent réclamer le respect des demandes du FMI après avoir demandé pendant des mois son exclusion du programme. Il devra donc accepter la restructuration qui lui sera proposée, aussi modeste soit-elle et se soumettre aux objectifs d'excédents primaires qui lui seront soumis.