Pologne : manifestations contre le "coup d'Etat rampant" du gouvernement

Par Romaric Godin  |   |  692  mots
La première ministre polonaise Beata Sydlo doit faire face à une crise constitutionnelle majeure.
Au pouvoir depuis mon de deux mois, le parti conservateur PiS a plongé la Pologne dans une crise constitutionnelle. La gauche et les Libéraux appelaient ce samedi à des manifestations contre le gouvernement.

Des dizaines de milliers de Polonais - 50000 rien qu'à Varsovie selon la municipalité - sont descendus dans les rues du pays ce samedi 12 décembre pour protester contre les manœuvres du nouveau gouvernement. Ce dernier, dirigé par Beata Szydło, est dominé par le parti Droit et Justice (PiS) qui, lors des élections générales du 25 octobre, a obtenu la majorité des sièges au Sejm, ou Diète, la chambre basse du pays. La volonté de PiS de dominer tous les leviers du pouvoir a conduit à une mobilisation de l'opposition au sein d'un Comité de défense de la démocratie qui a appelé à manifester ce samedi.

L'affaire du Tribunal constitutionnel

La goutte d'eau qui a fait déborder le vase a été la volonté du gouvernement de remplacer cinq juges du Tribunal Constitutionnel. Ces derniers avaient été nommés avant les élections par l'ancien parti dominant, la Plateforme civique (PO), avant le terme de leurs prédécesseurs. Au cours de la semaine dernière, ce même Tribunal a jugé que trois des cinq nominations étaient illégales. Mais le nouveau gouvernement n'avait pas attendu cette décision. Il a estimé dès son entrée en fonction qu'il s'agissait d'une manœuvre et qu'il fallait « dépolitiser » le Tribunal Constitutionnel.

Les nominations du PiS

En conséquence, le président de la République, Andrzej Duda, élu du PiS, a annulé les cinq nominations d'octobre. Le gouvernement a alors soumis 5 nouveaux juges au Sejm qui les a validés. Ces derniers se sont alors retrouvés en pleine nuit à prononcer leur serment devant le président pour entériner le fait accompli. Pour enfoncer le clou, le PiS a fait adopter une loi sur le Tribunal constitutionnel avec l'appui d'un petit parti conservateur, Kukiz'15, pour obtenir la majorité des deux tiers nécessaire. Dans une Diète déserté par une grande partie de l'opposition, le gouvernement a modifié les conditions de nomination des juges constitutionnels et la durée des mandats. Le président a ratifié le changement immédiatement.

Crise constitutionnelle

En réponse, le Tribunal constitutionnel a jugé que plusieurs aspects de cette révision n'étaient pas légaux et a rejeté les nominations expresses réalisées par le gouvernement.  Résultat : la Pologne dispose de huit juges constitutionnels nommés (trois par l'ancien gouvernement et validés, cinq par le nouveau et invalidés) pour cinq places. La situation est bloquée : le gouvernement reconnaît « ses » cinq juges que le Tribunal ne reconnaît pas. La Pologne est donc entrée dans une crise constitutionnelle unique depuis le retour de la démocratie en 1989.

Disposer d'un Tribunal constitutionnel à la main du PiS

Pour l'opposition libérale et celle de gauche, la situation est claire : le PiS et son leader, Jarosław Kascyński, veulent un Tribunal constitutionnel à leur service pour réduire un noyau possible de résistance à leur politique. Trois autres juges doivent être nommés dans les prochains mois : le gouvernement pourrait donc alors, s'il réussit à faire nommer « ses » 5 juges, la majorité dans un Tribunal de 15 membres.  Certains n'hésitent pas à parler de « coup d'Etat rampant. »

Exemple hongrois

C'est pourquoi le Comité pour la défense de la démocratie a appelé à descendre dans la rue ce samedi. Un succès, sans doute. Les leaders des grands partis de l'opposition, PO, mais aussi la gauche unie et le parti « Moderne », un parti libéral qui a le vent en poupe depuis les élections où il a obtenu des sièges à la Diète,  étaient présents. Mais malgré la mobilisation, le PiS demeure en position de force grâce à sa large majorité au Sejm et son contrôle de la présidence. Il semble que Jarosław Kascyński, qui, de l'avis de beaucoup, est le nouveau maître de la Pologne, essaie de tester jusqu'où il lui est possible d'aller. Son modèle est le premier ministre hongrois Viktor Orbán, qui avait réussi à modifier grâce à une majorité des deux tiers, la constitution à sa guise pendant son premier mandat, malgré une mobilisation citoyenne.