Pourquoi l'Allemagne refuse le dernier pilier de l'Union bancaire

Par Romaric Godin  |   |  1626  mots
Y aura-t-il une garantie européenne des dépôts ?
Berlin ne veut pas discuter d'une garantie européenne des dépôts qui devrait achever l'Union bancaire. Une position qui vise à protéger le contribuable allemand et à promouvoir les politiques de "réformes."

L'Allemagne refuse de discuter du « troisième pilier » de l'Union bancaire. Dans un « non paper » (un document non officiel) diffusé par le gouvernement fédéral allemand que s'est procuré le Financial Times, Berlin rejette toute idée de garantie européenne des dépôts bancaires. « Commencer maintenant une discussion » sur ce sujet, indique le document, est « inacceptable. » Le gouvernement allemand devrait adresser cette fin de non-recevoir ce week-end à ses partenaires européens et à la Commission.

Une garantie européenne pour les dépôts ?

Bruxelles, notamment soutenu par Paris, poussait ces dernières semaines pour une mise en place rapide de cette garantie européenne des dépôts de moins de 100.000 euros, suite à la crise grecque du premier semestre. Le vecteur principal de cette crise a, en effet, été les retraits massifs des dépôts bancaires par les Grecs dès le mois de décembre. Ces retraits ont fragilisé les banques helléniques, ce qui a encore alimenté les retraits et conduit le gouvernement à imposer un contrôle des capitaux très dommageable pour l'économie. Le ressort de cette fuite a été la crainte d'une sortie de la zone euro, mais aussi, dans un second temps, l'incertitude que la Grèce puisse assumer la garantie des dépôts en cas de mise en place d'un renflouement des banques par les dépôts.

Le cas grec

Actuellement, en effet, cette garantie commune en zone euro des dépôts de moins de 100.000 euros est assurée par les gouvernements nationaux. Or, chacun en Grèce savait que le gouvernement n'avait pas les moyens de garantir de tels dépôts dans le cadre de la zone euro. Cette garantie était donc inexistante dans les faits. C'est que Bruxelles voudrait modifier en créant une garantie de ces dépôts au niveau européen. Dans ce cas, les déposants seraient rassurés sur une grande partie de leurs dépôts. Logiquement, les retraits et la fragilisation des banques en seraient réduits.

Comment fonctionne l'Union bancaire en cas de crise

Mais Berlin estime qu'il est trop tôt pour construire ce « troisième pilier » de l'Union bancaire. Avant de mutualiser les risques, souligne le gouvernement allemand, il faut les réduire. Il propose donc d'achever le deuxième pilier de l'Union bancaire, le mécanisme de résolution unique (SRM). Ce mécanisme, qui sera en vigueur le 1er janvier 2016, vient compléter le système de supervision unique (SSM) qui est le « premier pilier » et est mis en place depuis novembre 2014.

Ce SRM fonctionne sur le principe du « bail-in », autrement dit du renflouement des banques par leurs créanciers et leurs actionnaires de façon prioritaire. Ces créanciers ne sont pas uniquement les détenteurs d'obligations émises par la banque en difficulté, mais aussi les déposants. Ce n'est que lorsque ce bail-in est insuffisant qu'intervient le Fonds de résolution unique (SRF), un organisme qui regroupe les « cotisations » du secteur financier et qui, d'ici huit ans, devrait être doté de 55 milliards d'euros. Si, enfin, cette somme n'est pas suffisante, le SRF devrait pouvoir emprunter sur les marchés avec la garantie des Etats, pour ensuite prêter les sommes nécessaires aux banques. La responsabilité des contribuables est donc posée en dernier recours.

Les conditions allemandes

L'Allemagne propose d'achever ce deuxième pilier en priorité, notamment en assurant la transposition de la directive européenne qui l'établit dans tous les pays membres. Cette transposition a été une des conditions du mémorandum grec, par exemple. Mais Berlin exige aussi que les banques disposent dans leurs bilans des ressources nécessaires au bail-in. Ce qu'on appelle « l'exigence minimale de fonds propres et passifs exigibles » (MREL) - qui incluent les dépôts non garantis - devra représenter 8 % du bilan de la banque. Autrement dit, Berlin veut donner la priorité à l'achèvement de ce système avant d'évoquer une garantie commune des dépôts.

Modifier le fonctionnement de l'Union bancaire

C'est reporter à beaucoup plus tard ce troisième pilier, car les fonds du SRF seront constitués en 2024 et les exigences de MREL doivent être constituées d'ici 2020. Surtout, Berlin pose d'autres conditions à l'ouverture de ce troisième pilier. D'abord, le gouvernement allemand remet en cause le consensus obtenu sur l'Union bancaire qui avait permis d'attribuer la supervision unique à la BCE et la décision de la résolution à la Commission. L'Allemagne souhaite « une séparation complète de la politique monétaire des décisions de supervision », autrement dit la constitution d'un comité indépendant de supervision. Le gouvernement fédéral allemand demande, de surcroît, que le comité de résolution, le SRB, décide de la résolution bancaire et non la Commission. Or, ces deux demandes doivent entrer dans le cadre d'un changement de traité, ce qui ne sera pas aisé à faire accepter par les autres Etats membres.

Bâtir une procédure de « faillite souveraine »

Autre condition : la création d'une procédure de « faillite souveraine. » Le document explique que l'absence d'une telle procédure peut conduire à « des ajustements budgétaires excessifs » et à une « mauvaise utilisation du MES », le mécanisme européen de Stabilité. Une lucidité nouvelle lorsque l'on se souvient que la banqueroute de la Grèce sur sa dette privée en 2012 avait été accompagnée d'un « ajustement excessif » et était arrivée deux ans trop tard, en grande partie en raison des exigences allemandes. La mise en place d'une telle procédure permettrait néanmoins de faire porter les pertes sur les banques, à la différence de ce qui s'est passé en 2010, et de faire jouer la procédure de résolution plutôt que de monter des « schémas à la Ponzi » comme ceux qui ont été montés depuis cinq ans. Mais, là encore, les négociations seront longues et une modification des traités pourraient bien être nécessaire.

Report sine die

Une fois toutes ces conditions remplies et, uniquement dans ce cas, l'Allemagne acceptera de discuter de la garantie unique des dépôts. En réalité, ceci revient à repousser sine die le troisième pilier. La volonté de refuser la discussion elle-même le prouve. Mais cette exigence semble, en réalité, surtout reposer sur des exigences politiques.

Le risque de l'absence du troisième pilier

En effet, l'objectif présenté officiellement par Berlin est de stopper le lien entre le risque souverain et le risque bancaire. Mais, en l'absence de cette garantie européenne des dépôts, ce lien pourrait bien persister. Que se passe-t-il, en effet, lorsque l'Etat concerné ne peut assurer les dépôts garantis par ses propres moyens et que la contribution des seuls dépôts non garantis est insuffisante ? C'est la question qui s'est posée pour la Grèce. La question est si incertaine que l'on a voulu absolument éviter la procédure de bail-in et que l'on s'est hâté de monter avant le 1er janvier un mécanisme de renflouement alternatif par le MES. Bref, on a, avant même la naissance du mécanisme de résolution, tenté d'éviter ce mécanisme. De même, que se passe-t-il lorsque les liens entre les banques et l'Etat sont très forts, comme cela a été le cas en Grèce ?

Protéger les contribuables allemands

La réalité, ce qu'en absence du troisième pilier, l'effort en cas de crise bancaire risque de porter sur les déposants, même modestes, des pays concernés, ainsi que sur les contribuables de ces pays. Les pays qui auront accès au marché devront s'endetter pour assurer la garantie européenne et ils devront, en retour, pratiquer un « ajustement budgétaire » qui pèsera sur l'activité et le bilan des banques « sauvées. » Ceux qui n'auront pas accès au marché n'auront pas d'autres choix que de faire payer les déposants théoriquement garantis ou de faire appel au MES. Si certaines propositions allemandes sont pertinentes, notamment celle concernant la faillite des Etats membres, le fait d'en faire des conditions aux négociations sur le troisième pilier semble surtout avoir comme justification la protection du contribuable allemand lui-même et le refus d'une « union des transferts. »

La logique allemande

La position allemande repose sur le sentiment que la zone euro n'est pas prête à cette union. Les « réformes » seraient insuffisantes et feraient peser trop de risques sur les contribuables des pays « vertueux » qui accepteraient une mutualisation. Or, le troisième pilier serait à la fois risqué et viendrait freiner les « ajustements. » L'absence de garantie européenne a prouvé en Grèce que l'on pouvait utiliser le risque bancaire comme moyen de pression sur des gouvernements et des peuples pour hâter ces « ajustements. » C'est donc une arme politique à laquelle Berlin, qui n'a cessé de jouer avec la menace du Grexit durant le premier semestre 2015, ne souhaite pas renoncer.

Conséquences sur une réforme de la zone euro

Ce refus prouve donc qu'on est encore loin d'une intégration plus poussée de la zone euro. Berlin réclamera de nouvelles conditions drastiques sur la dette, les déficits et les réformes avant d'avancer plus avant dans cette intégration. Le message est notamment envoyé à Emmanuel Macron, le ministre français de l'Economie qui plaide pour un approfondissement de la zone euro avec plus de solidarité. Berlin risque d'exiger, avant cela, un ministre des Finances de la zone euro capable de resserrer davantage les risques budgétaires et une politique économique commune de « réformes structurelles » davantage contraignantes. L'union des transferts n'interviendra qu'une fois réduits au maximum les risques pour les contribuables allemands.