Pourquoi l'Allemagne vit au-dessous de ses moyens, malgré sa croissance

Par Romaric Godin  |   |  1409  mots
Un centre commercial à Francfort. L'Allemagne affiche une bonne croissance, mais...
Le PIB allemand a progressé de 1,9 % en 2016 grâce à l'effet des arrivées de réfugiés et de la consommation. Mais cette forte croissance ne doit pas cacher que le pays continue à accumuler de l'épargne et que c'est un problème pour la zone euro.

La demande intérieure a soutenu la croissance allemande en 2016. Selon la première estimation de Destatis, l'Office fédéral des Statistiques, le PIB allemand en données corrigées des prix et des effets de calendrier, a ainsi progressé l'an passé de 1,9 %, soit son plus haut rythme depuis 2011. En 2015, la croissance allemande se situait à 1,7 % et, en 2014, de 1,6 %.

Les composantes de la croissance allemande

Cette progression, assez vigoureuse au regard de l'environnement international, s'explique principalement par deux facteurs : la consommation des ménages qui progresse de 2 % sur un an et apporte 1,1 point de croissance, soit 58 % de la croissance du pays. La situation de plein-emploi du pays s'est accompagnée d'une croissance relativement soutenue des rémunérations qui, en 2016, ont progressé en termes réels de 1,9 %. Ajoutée à une certaine retenue de la consommation des ménages au cours des années précédentes, cette croissance des revenus a conduit à une hausse des dépenses des ménages : la consommation des ménages en prix courants s'est située en hausse de 2,6% en 2016.

La croissance allemande ne serait pas cependant ce qu'elle a été sans la croissance des dépenses publiques qui ont fortement progressé de 4,2 % (à partir d'un point bas) en apportant 0,8 points de PIB à la croissance. C'est un élément nouveau qui s'explique principalement par l'arrivée massive de réfugiés dans le pays dans le deuxième semestre 2015 et qui a conduit les pouvoirs publics à engager de nouvelles dépenses. En revanche, l'investissement n'a pas été en mesure de tirer la croissance : il n'a progressé que de 0,8%, apportant 0,2 point de croissance. Or, les dépenses de construction sont en forte hausse (avec une hausse de 2,8 %, c'est le deuxième secteur en croissance de l'année), ce qui laisse présager un recul ou une stagnation des investissements en équipements.

Enfin, cette dynamique interne a conduit à une contribution négative très légère (-0,1 point de PIB) du commerce extérieur à la croissance allemande en raison de la forte hausse des importations (+3,4 %), qui ont réduit l'excédent commercial malgré la dynamique encore soutenue des exportations (+2,5 %).

Bons chiffres, mais...

Les chiffres de la croissance allemande sont donc bons, voire très bons au regard de la faiblesse des dynamique en Europe : la zone euro pourrait ne progresser que de 1,7 % en 2016, la France n'afficherait qu'une hausse de 1,3 % et l'Italie 0,7 %. Elle est même forte au regard des grandes économies du monde développé : Royaume-Uni, avec lequel l'Allemagne devrait faire jeu égal en termes de croissance, Etats-Unis (où la croissance ne serait que de 1,6 % en 2016) ou Japon (+0,7 % attendu cette année). Mais il convient néanmoins de relativiser cette performance, car l'Allemagne semble évoluer en deçà d'un potentiel de croissance qui pourrait être favorable à l'ensemble des Etats de la zone euro.

Des ménages qui vivent « en dessous de leurs moyens »

Ainsi, on constate que, malgré le plein-emploi, la croissance de la consommation privée à prix courants est équivalente à celle de 2015, alors même que l'inflation est légèrement plus forte (+0,5 % contre +0,2 %). Autrement dit, en volume, le rythme de consommation décroît. Pour quelle raison ? Parce que les Allemands ont poursuivi la reconstitution de leur épargne. Le taux d'épargne des ménages était en 2016 de 9,8 %, son plus fort taux depuis 2010. Les Allemands ont réagi à la baisse des taux de rémunérations, conséquence de la politique monétaire de la BCE, par une augmentation de leur épargne, ce qui a contribué à ralentir la croissance de la consommation des ménages qui, donc, aurait pu apporter une contribution nettement supérieure à la croissance. Autrement dit, les ménages allemands vivent toujours « en deçà de leurs moyens ».

Des entreprises trop prudentes

Il en va de même des entreprises. L'investissement reste le parent pauvre de la croissance allemande. Le « modèle » allemand fondé sur un fort partage du temps de travail (le taux de temps partiel au sens allemand est de 28 %) et sur une longue déflation salariale que les hausses récentes, depuis 2014, n'ont pas encore comblé, incite clairement à ne pas faire le choix de l'investissement en équipement. La hausse de l'épargne ne vient donc pas alimenter l'investissement. La productivité du travail progresse certes en 2016 de 0,8 % à 1,2 %, du jamais vu depuis 2012, mais ceci traduit surtout les tensions sur le marché du travail et elle est fort loin encore des chiffres de 2010-2011 (2,5 % et 2,1 %) et même de ceux d'avant la crise de 2008.

Dès lors, les entreprises font elles aussi le choix de l'épargne. Les hausses de salaires enregistrées en 2016 ne doivent pas impressionner : elles ne sont fondées que sur une stabilité de la part des salaires dans le revenu national (68,1 % en 2016, quasi-stable depuis 2012). Le coût du travail, du reste, progresse à un niveau relativement faible (+1,5 %) et l'écart avec la hausse de la productivité se réduit  à 0,3 point contre 0,7 point en 2015 et 1,3 point en 2014. Autrement dit, les entreprises allemandes continuent à faire concrètement le choix d'une certaine modération salariale au regard de la situation macroéconomique du pays. Comme, parallèlement, elles sous-investissent, leurs revenus sont clairement thésaurisés et ce sont autant de dépenses qui manquent à la croissance allemande et européenne...

Un Etat qui ne dépense pas assez

Dans ce contexte, que fait l'Etat ? On a vu qu'il a accéléré ses dépenses, principalement sous des pressions externes : arrivée des réfugiés et hausse structurelle des dépenses de retraites. Mais l'effort conjoncturel est assez inexistant. Or, là aussi, l'Etat vit clairement en-dessous de ses moyens et a dégagé un excédent budgétaire de 0,6 % du PIB. Il recule en pourcentage de la richesse du pays, mais il progresse néanmoins en valeur absolue de 400 millions d'euros à 10,4 milliards d'euros. Là encore, le constat est clair : la puissance publique allemande pourrait faire beaucoup plus pour la croissance, y compris dans le respect de sa propre règle d'or budgétaire qui prévoit un déficit structurel de 0,35 % du PIB pour l'Etat fédéral, mais préfère constituer des réserves. C'est le fruit de la « culture de la stabilité » que le gouvernement allemand voudrait tant voir copier par ses partenaires européens. Mais ceci ôte aussi de la croissance à l'économie allemande.

Déséquilibres européens

Malgré la baisse de son excédent commercial, l'excédent courant allemand devrait demeurer très élevé dans la mesure où les comportements n'ont pas réduit, mais ont augmenté, l'excès d'épargne et le déficit d'investissement intérieur. Ce comportement ne fait pas de l'Allemagne une véritable « locomotive » pour la croissance de la zone euro, en tout cas pas à un niveau suffisant pour dynamiser l'ensemble de l'économie. C'est ici le vrai problème de la monnaie unique.

Il en est un autre : en fonctionnant en deçà de son potentiel, l'Allemagne maintient une inflation structurellement faible. L'accélération de décembre (1,7 % en rythme annuel) ne doit pas être pris pour argent comptant : les facteurs structurels ne sont pas favorables à une forte inflation, on l'a vu dans la faiblesse de la hausse des salaires au regard de la productivité. Or, sans un écart d'inflation élevé et durable entre l'Allemagne et les économies moins compétitives de la zone euro, il n'y aura pas de rééquilibrage de la zone euro.

Question essentielle pour l'avenir de la zone euro

Il faut donc, au-delà de l'admiration de certains pour le chiffre de la croissance allemande, comprendre que cette croissance est clairement insuffisante. Or, cette question allemande est beaucoup plus essentielle à l'avenir de la zone euro que les projets de tous les candidats à la présidence française de la République pour réformer l'union monétaire. La clé est de savoir comment adapter le modèle allemand à son potentiel. C'est principalement un problème intérieur allemand qui se heurte à des « blocages structurels » : le vieillissement de la population, l'obsession de l'épargne et la compétitivité coût ainsi que le refus de l'investissement public. Les récentes discussions sur le plan d'investissement qui ont conduit la réflexion à une impasse le prouvent. Du reste, rien ne pourrait être pire qu'un débat lors de la campagne pour les élections fédérales de septembre sur les baisses d'impôts : elles ne conduiraient qu'à renforcer l'excès d'épargne et à une réduction des dépenses de l'Etat. Donc à aggraver la situation présente.