Pourquoi la BCE élargit-elle son assouplissement quantitatif ?

Par Romaric Godin  |   |  891  mots
La BCE a élargi le champ du QE.
La Banque centrale européenne (BCE) a décidé d'ajouter à son programme de rachat d'actifs des dettes de sociétés publiques européennes, dont celle de la SNCF. Un mouvement qui en prépare peut-être d'autres.

Ce jeudi 2 juillet, la Banque centrale européenne (BCE) a annoncé un élargissement de son programme de rachats de titres publics (connu également sous le nom d'assouplissement quantitatif ou QE pour "quantitative leasing"). Désormais, elle entend racheter des titres obligataires de plusieurs agences et de sociétés publiques de la zone euro. Sont notamment concernées les dettes des chemins de fer italiens (FS), espagnols (Renfe), autrichiens (ÖBB) et français (SNCF), mais aussi la société d'énergie italienne Enel. En tout, si l'on en croit la Royal Bank of Scotland (RBS), ce sont pas moins de 91,9 milliards d'euros. C'est peu au regard de l'objectif de 1.160 milliards d'euros du QE, mais c'est un signe évident que le programme non seulement ne sera pas stoppé comme certains le murmuraient, mais qu'il peut encore être élargi. « L'absence de certains opérateurs publics comme EDF dans la liste publiée par la BCE fait penser que cette liste pourra être élargie plus tard », soulignent les équipes de RBS.

« Prête à agir »

Cette publication est-elle la preuve que le succès du QE est en danger ? C'est l'opinion des économistes de Bank of America-Merrill Lynch qui estiment que la BCE montre ainsi qu'elle « garde le doigt sur la gâchette » au cas où. « En effet, l'évolution des taux réels met en question la crédibilité du QE », estiment-il. Et de poursuivre : « si les marchés sont sourds aux messages accommodants de la BCE (...), elle signale qu'elle est prête à agir s'ils le veulent. »

Améliorer la transmission

Mais Bank of America-Merrill Lynch insiste aussi sur un deuxième message : celui de vouloir améliorer la « transmission » du QE à l'économie réelle en ciblant des entreprises. Le QE aurait-il déjà quelques peines à agir sur l'économie ? Pour Frédérik Ducrozet, économiste chez Crédit Agricole à Francfort et observateur de la politique monétaire de la BCE, il est trop tôt pour le dire. « L'actuelle reprise européenne ne s'explique pas par le QE car le temps de transmission de la politique monétaire est plus long », explique-t-il. Du reste, la transmission de la politique monétaire se fait via les banques pour les trois-quarts en zone euro, l'inverse exact des Etats-Unis. Pour l'économiste, ce sont donc les mesures prises auparavant comme l'annonce du programme OMT, les taux de dépôts négatifs, la baisse du taux de refinancement à 0,25 % ou encore les prêts à long terme aux banques (TLTRO) qui ont favorisé la reprise, notamment celle très notable du crédit. « La distribution du crédit est désormais en hausse en zone euro, c'est une vraie nouveauté, mais c'est peu dû au QE », conclut-il.

Les effets du QE

Pour autant, affirme-t-il, « le QE était une nécessité, il était attendu par les opérateurs et son anticipation, puis sa mise en place ont permis d'agir sur les changes et faire baisser notablement l'euro, ce qui a fait remonter ensuite les anticipations d'inflation. » En juin, si l'inflation s'est à nouveau affaiblie, Frédérik Ducrozet souligne que les prix des biens industriels, les plus sensibles au taux de change, ont progressé de 0,3 % à 0,4 % en rythme annuel. Bref, le QE, en faisant reculer l'euro, a permis de compenser en partie la baisse du prix des matières premières. Frédérik Ducrozet estime donc aussi qu'en cas de besoin, la BCE montre sa volonté d'aller plus loin dans le soutien à l'économie, notamment par l'élargissement des rachats non seulement aux titres obligataires privés, mais aussi aux actions via les ETF, les produits dérivés basés sur les indices. Ce n'est cependant pas son « scénario central. »

Préparer le Grexit ?

Reste une explication à cet élargissement : la préparation du Grexit. Après l'avertissement de Benoît Coeuré le 30 juin sur la « possibilité » de ce Grexit, la BCE montre qu'elle peut agir pour maintenir la cohésion du reste de la zone euro. La présence de titres portugais, espagnols, italiens, français, mais aussi autrichiens (où la menace d'une crise bancaire ne peut être écartée) et finlandais (où règne la récession) semble plaider pour cette option. « Cet élargissement montre que la BCE est prête à agir en cas de besoin », estime RBS. Frédérik Ducrozet acquiesce mais indique qu'en cas de Grexit, il faudra sans doute une nouvelle version du « whatever it takes », avec un nouveau programme pour contenir toute contagion.

Risque majeur

Rappelons-le : seule la BCE peut provoquer le Grexit. Elle doit donc, si elle est déterminée à réaliser cette expulsion, en prévenir les risques. Ce nouveau mouvement va dans ce sens. Mais il montre aussi que le risque de contagion que les milieux économiques ont tendance à négliger ces derniers temps est loin d'être nul. Reste qu'un Grexit est un pari à haut risque à moyen et long terme. Une banque centrale d'une union monétaire rejetant un membre de cette union risque de faire perdre beaucoup de crédibilité à la BCE. Et il n'est pas sûr que l'on croit à un nouveau « whatever it takes » alors que la BCE a échoué à défendre celui de juillet 2012. Surtout, les Eurosceptiques auront beau jeu de critiquer la BCE et faire du cas grec un précédent. Et aucun QE ne pourra de stopper ce mouvement.