Prolongation de l'autorisation du glyphosate en Europe : la France s'abstient, le vote des 27 reporté

Par latribune.fr  |   |  1426  mots
« On a dit, depuis le début, que la proposition de la Commission telle qu'elle est formulée, 10 ans sans conditions, ne correspondait pas à la trajectoire » décidée par la France, a déclaré le ministre de l'Agriculture. (Crédits : CHRISTIAN HARTMANN)
Les Etats membres de l'UE ne sont pas parvenus à s'entendre vendredi sur la proposition de Bruxelles de reconduire pour dix ans l'autorisation du glyphosate, la France ayant notamment décidé de s'abstenir. La proposition, que l'exécutif européen peut modifier à tout moment, sera soumise à un comité d'appel, qui se prononcera sur le sort de l'herbicide controversé, dont l'autorisation actuelle expire mi-décembre.

L'Union européenne reste divisée. La France s'est abstenue ce vendredi 13 octobre, lors d'un vote des Vingt-Sept. Celui-ci portait sur la proposition de Bruxelles de reconduire pour dix ans l'autorisation du glyphosate dans l'UE. Dans la foulée, la Commission européenne a, en effet, annoncé que les Etats membres de l'UE n'étaient pas parvenus à s'entendre.

Un nouveau vote sera effectué à la mi-novembre. La proposition, que l'exécutif européen peut modifier à tout moment, sera soumise à un comité d'appel, qui se prononcera sur le sort de l'herbicide controversé.

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Pour rappel, l'autorisation actuelle du glyphosate dans l'UE, renouvelée en 2017 pour cinq ans puis étendue d'une année supplémentaire, expire le 15 décembre. Or, la Commission européenne a proposé de renouveler son feu vert jusqu'à décembre 2033, après le rapport d'un régulateur européen, estimant que le niveau de risque ne justifiait pas d'interdire la substance.

Réunis dans le cadre d'un comité technique, des représentants des Etats membres votaient ainsi ce vendredi à huis clos pour approuver ou non cette proposition. La France, elle, s'est abstenue, a confirmé à l'AFP le ministre de l'Agriculture Marc Fesneau.

« On a dit, depuis le début, que la proposition de la Commission telle qu'elle est formulée, 10 ans sans conditions, ne correspondait pas à la trajectoire » décidée par la France depuis plusieurs années, qui est de « restreindre les usages, là où il y a des alternatives pour faire en sorte qu'il y ait moins de glyphosate », a-t-il justifié.

Il existe encore « des impasses techniques », a, en effet, rappelé le ministre estimant qu'il y a, notamment, « besoin de pouvoir utiliser cette molécule dans un certain nombre de cas, comme dans l'agriculture de conservation des sols [qui évite le labour, ndlr] ou dans les zones montagneuses ». La  France demande, en outre, « éventuellement une durée moindre » que les dix ans proposés par la commission ainsi que sa démarche soit « harmonisée au niveau européen » pour éviter toute concurrence déloyale.

Et si Bruxelles a amendé sa proposition, notamment en réduisant « la dose maximale par hectare, cela ne suffit pas. La proposition est toujours moins disante par rapport aux mesures mises en place en France », a souligné, de son côté, le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu.

Elle a, en effet, été amendée, mais « seulement de manière extrêmement cosmétique, démontrant une faible volonté de mouvement malgré le fait que ni la France ni l'Allemagne ne soutiennent le texte », a également regretté l'eurodéputé macroniste Pascal Canfin. L'avis du régulateur européen EFSA laisse « suffisamment de zones grises pour créer des interrogations (...) il faut donc restreindre les utilisations partout où c'est possible, et s'en donner les moyens », a-t-il plaidé, parallèlement au projet de législation européenne fixant des objectifs contraignants de réduction des pesticides, en cours de négociations.

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L'UE divisée

Au sein de l'UE, les 27 sont particulièrement divisés. Si nombre de pays du Sud et de l'Est soutiennent la ré-autorisation, l'Autriche et le Luxembourg avaient fait part de leur volonté de voter contre. Et, conséquence des divisions de la coalition au pouvoir à Berlin, l'Allemagne a annoncé « ne pas accepter » la prolongation de l'autorisation. Enfin, la Belgique et les Pays-Bas avaient indiqué s'abstenir. Dans ce contexte, l'attitude de la France, première puissance agricole de l'UE, s'avère décisive.

Et pour cause, ce vote français rend impossible l'obtention de la majorité qualifiée requise pour valider le texte, soit 15 Etats sur 27, représentant au moins 65% de la population européenne. Résultat, un nouveau vote doit avoir lieu à la mi-novembre, la Commission européenne pouvant modifier une nouvelle fois le texte d'ici là. Mais s'il n'y a toujours pas de majorité suffisante pour la soutenir, l'exécutif européen pourra alors décider seul de prolonger l'autorisation - seule une majorité qualifiée d'Etats opposés au texte pouvant permettre de le bloquer.

Or, selon Pascal Canfin, « la France et l'Allemagne ont eu des discussions assez nourries depuis plusieurs semaines » et pourraient rapprocher leurs positions respectives. Le sujet devrait s'inviter donc lundi au menu d'une réunion des ministres européens de l'Environnement à Luxembourg.

De son côté, le groupe allemand Bayer, qui avait racheté Monsanto en 2018 et fabrique le Roundup, a assuré « rester confiant que, dans la prochaine étape, suffisamment d'autres États membres soutiendront le renouvellement de l'approbation du glyphosate », se disant « convaincu de sa sécurité ».

Un herbicide controversé

Le glyphosate, substance active de plusieurs herbicides - dont le Roundup de Monsanto, très largement utilisé dans le monde - avait été classé en 2015 comme « cancérogène probable » par le Centre international de recherche sur le cancer de l'Organisation mondiale de la santé. Selon l'agence, « des études cas-témoins d'exposition professionnelle conduites en Suède, aux Etats-Unis et au Canada ont montré des risques accrus de lymphome non hodgkinien » (un cancer du sang). L'OMS a dit disposer de « preuves limitées », mais les experts les ont considérées suffisantes pour alerter sur un effet cancérogène chez l'humain. Selon le CIRC, des « preuves convaincantes » montrent que le glyphosate peut également provoquer des cancers chez les animaux de laboratoire.

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Ces conclusions ont été confirmées en 2021 par une étude de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). L'institut français a conclu à « l'existence d'un risque accru de lymphomes non hodgkiniens » avec « un niveau de présomption moyen ».

A l'inverse, en juillet, l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a indiqué n'avoir identifié de « domaine de préoccupation critique » chez les humains, les animaux et l'environnement susceptible d'empêcher l'autorisation de l'herbicide. Elle a seulement relevé un risque chez les mammifères pour la moitié des usages proposés, et reconnu qu'un manque de données empêchait toute analyse définitive.

Un usage restreint ?

Pour en tenir compte, Bruxelles propose quelques garde-fous, notamment avec l'établissement « par défaut » de « bandes-tampons » et des équipements réduisant les « dérives de pulvérisation », tandis que l'usage pour la dessiccation (épandage pour sécher une culture avant récolte) serait interdit. Si la substance active est approuvée au niveau de l'UE, chaque Etat reste chargé d'autoriser les produits contenant du glyphosate, en fixant les règles d'utilisation selon les cultures, conditions climatiques et spécificités géographiques.

Dans le strict cadre des critères fixés par l'UE, les Etats pourraient ainsi restreindre l'usage selon les effets potentiels sur l'environnement et la biodiversité, l'évaluation des autres composants des herbicides, et l'exposition des consommateurs aux « résidus », tout en veillant à la protection des eaux souterraines. D'éventuelles limitations jugées très insuffisantes par une partie des Vingt-Sept quand les ONG et élus écologistes continuent de réclamer une non-reconduction pure et simple de l'herbicide.

En France, les syndicats divisés sur la question du glyphosate

C'est également le cas de la Confédération paysanne qui avait appelé la France à voter contre estimant que la proposition européenne d'autoriser le glyphosate pour dix années supplémentaires « est purement scandaleuse ». « La France a toujours cette position de ne pas interdire tant qu'il n'y a pas d'alternative, mais si on ne fixe pas un horizon proche pour l'interdiction, la recherche sérieuse d'alternatives ne se fait pas », explique à La Tribune Laurence Marandola, paysanne en Ariège et porte-parole du syndicat, plaidant pour « la mise en place d'outils adaptés pour le désherbage mécanique », par exemple, et surtout « un accompagnement technique » des agriculteurs.

« Mais on ne trouvera pas la version B du glyphosate, aussi efficace et aussi peu cher », prévient-elle.

De son côté, la Fédération Nationale des Syndicats d'Exploitants Agricoles (FNSEA) s'oppose à une interdiction totale de l'herbicide. Dans une lettre ouverte à Emmanuel Macron, mercredi, le président du syndicat, Arnaud Rousseau, a appelé le chef de l'Etat à porter « une réponse positive pour la réhomologation du glyphosate au niveau européen » y voyant « la condition pour nous permettre de gravir l'Everest que représente le double défi de la souveraineté alimentaire et de la lutte contre le changement climatique ». Il semble donc qu'aucune des deux organisations n'aient été entendues.