L'élevage, l'équation complexe d'une agriculture moins carbonée

Réunie cette semaine lors d'un sommet à Cournon, près de Clermont-Ferrand, la filière de l'élevage, qui pèse pour presque la moitié des émissions de l'agriculture, joue un rôle fondamental pour la décarbonation du secteur. Mais les points de vue s'opposent, notamment sur la nécessité de réduire les cheptels.
Giulietta Gamberini
« La taille du cheptel est, de loin, le principal déterminant de l'évolution des émissions de méthane du secteur agricole. Le recul de plus de 13% du cheptel depuis les années 1990 s'est accompagné d'une diminution comparable des émissions de méthane associées », rappelle en effet une étude du Xerfi publiée en septembre et signée par Damien Callet.
« La taille du cheptel est, de loin, le principal déterminant de l'évolution des émissions de méthane du secteur agricole. Le recul de plus de 13% du cheptel depuis les années 1990 s'est accompagné d'une diminution comparable des émissions de méthane associées », rappelle en effet une étude du Xerfi publiée en septembre et signée par Damien Callet. (Crédits : Pascal Rossignol)

L'objectif a été fixé dans le cadre de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) : afin d'atteindre la neutralité carbone de la France en 2050, les émissions de gaz à effet de serre dues à l'agriculture, qui aujourd'hui représentent plus de 19% des émissions nationales, devront diminuer de 16% avant 2030. Pour le secteur, qui aujourd'hui est le deuxième émetteur de France (après les transports et à égalité avec l'industrie manufacturière), cela représente une baisse de 13 millions de tonnes équivalent CO₂ (Mt CO₂e).

Lire aussiAgriculture : un budget en hausse, sous le signe de la transition écologique

L'élevage, qui pèse pour presque la moitié des émissions de l'agriculture, en raison essentiellement de la fermentation entérique et des déjections animales, mais aussi de la production et du transport des aliments destinés au bétail et à la volaille, joue un rôle fondamental dans le respect de cette trajectoire. Les points de vue s'opposent toutefois sur les efforts qu'il devrait consentir.

« La taille du cheptel est, de loin, le principal déterminant de l'évolution des émissions de méthane du secteur agricole. Le recul de plus de 13% du cheptel depuis les années 1990 s'est accompagné d'une diminution comparable des émissions de méthane associées », rappelle en effet une étude du Xerfi publiée en septembre et signée par Damien Callet.

La réduction des cheptels, dite « décapitalisation », figure donc parmi les premières mesures pour réduire l'empreinte carbone de l'agriculture présentées par le ministère de l'Agriculture et le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE) en juin. Mais alors qu'elle paraît insuffisante aux défenseurs de l'environnement, elle suscite la colère des éleveurs.

Une réduction des cheptels purement subie

« Le gouvernement se limite à tabler sur une baisse du cheptel porcin (8%) conforme à l'évolution déjà en cours, et sur une réduction de celui bovin (12%) inférieure aux prévisions tendancielles. Rien n'est en outre prévu pour l'élevage de volailles », dénonce Aurélie Catallo, chercheuse à l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri).

Cela devrait être complété, dans la vision du gouvernement, par une amélioration de l'autonomie des exploitations en protéines végétales, et donc par une réduction de moitié des importations de soja. Aucun accompagnement spécifique des éleveurs face à ces mutations n'est toutefois prévu, déplore la chercheuse.  Elles impliquent pourtant une profonde modification de l'élevage, et même du paysage français, puisqu'elles demandent de revoir en partie l'actuelle spécialisation des cultures. Elles comportent surtout une diminution de la production, dans un contexte déjà très tendu pour les éleveurs, qui voient croître les aléas climatiques et les réglementations contraignantes en même temps qu'une partie de leurs coûts de production.

Quant à la tentation de miser sur la technologie pour réduire les émissions de l'élevage à production constante, elle est risquée.

« Plusieurs acteurs planchent sur le développement de compléments alimentaires inhibiteurs de méthane », note Damien Callet, pour qui toutefois les avancées en la matière « sont encore limitées (10 à 20% à terme). Un rythme insuffisant alors que les émissions de GES de l'agriculture devront reculer de plus de 40% entre 2021 et 2050 pour respecter la trajectoire de la SNBC. »

Les éleveurs à fleur de peau

Pour leur part, les éleveurs se sentent ainsi mis sous pression par les pouvoirs publics, observe Xerfi. En mai, ils ont mal digéré un rapport de la Cour des comptes recommandant de « définir une stratégie de réduction » du nombre de vaches pour réduire l'empreinte carbone de la France.

Aujourd'hui, ils craignent que le projet de loi présenté fin septembre par Bercy, visant à anticiper les négociations commerciales entre distributeurs et industriels, se répercute sur leurs revenus. Son objectif est en effet explicitement de faire baisser les prix alimentaires, qui ont crû de 9,6% entre septembre 2022 et septembre 2023. Il n'est pourtant pas censé remettre en cause les trois lois dites « Egalim » qui entre 2018 et 2023 ont tenté de protéger les rémunérations des agriculteurs dans le partage de la valeur entre acteurs du système alimentaire.

Cette semaine, lors du sommet de l'élevage organisé à Cournon, près de Clermont-Ferrand, leur tension s'est exprimée à plusieurs reprises, y compris face au ministre de l'Agriculture Marc Fesneau en visite mardi. « A chaque fois qu'on perd un animal, il est importé de l'autre côté de la planète » pour nourrir les Français, a notamment souligné Patrick Bénézit, président de la Fédération nationale bovine, lors de la présentation d'un « manifeste » en faveur de l'élevage de ruminants porté par les associations spécialisées du syndicat majoritaire FNSEA, et signé par près de 1.000 élus locaux, rapporte l'AFP.

La crainte d'une augmentation des importations

Le risque que des importations de produits issus de pratiques moins respectueuses de l'environnement et du bien-être animal, avec un impact désastreux sur le bilan carbone de la filière, viennent remplacer la production française est régulièrement rappelé par les éleveurs, qui disent craindre pour la souveraineté alimentaire nationale. Alors que la consommation de viande ne baisse pas, et augmente même pour la volaille, il est réel.

« En cas de forte baisse du cheptel, les importations en provenance de l'Irlande, du Brésil ou de l'Argentine pourraient fortement augmenter, avec à la clé un bilan carbone désastreux pour la filière », reconnaît Damien Callet.

Mais cette tendance « pourrait être contrebalancée si davantage de consommateurs suivaient les recommandations des autorités de santé (500 grammes de viande rouge maximum par semaine). Or, en l'espèce, les politiques publiques visant explicitement à la réduction de la consommation se font rares » , ajoute-t-il.

A Cournon, Marc Fesneau s'est limité à promettre que l'Etat abondera « au moins trois millions d'euros » pour communiquer sur les « apports de l'élevage ». « 400 millions d'euros de prêts garantis par l'Etat » seront consacrés à des investissements dans l'élevage, a précisé son cabinet, cité par l'AFP.

Lire: L'inquiétant déclin de l'élevage français

Le ministre de l'Economie Bruno Le Maire est pour sa part attendu ce vendredi. Il devrait annoncer une mesure de défiscalisation pour les éleveurs, selon Marc Fesneau. Mais le principal syndicat agricole, la FNSEA, en attend plus: il devra « montrer qu'il a compris » la nécessité de préserver l'élevage , a averti son président, Arnaud Rousseau, lors d'une conférence de presse.

Giulietta Gamberini

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Commentaires 8
à écrit le 06/10/2023 à 14:02
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-La souveraineté alimentaire comme dans d'autres domaines a un prix . -Plus de la moitié de la population mondiale vit de l'élevage depuis la nuit des temps . -Quand je suis sur l'Aubrac où il y a plus de vaches que d'habitants et que je vois le c...

à écrit le 06/10/2023 à 9:10
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Pour relancer le débat: En Bretagne (4 départements) les effluents d'élevages (lisiers et fumiers) représentent par an environ 25 millions de tonnes (chiffre 2010 - Source Bretagne environnement). En outre, une vache émettrait environ 500 l/jour de ...

à écrit le 06/10/2023 à 9:03
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La diminution régulière (-2% par an) du nombre de têtes de bovins va régler cette question (en France puisque l’on importe de la viande et cela va s’accélérer).

le 06/10/2023 à 12:40
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Humour? Ça n'est évidemment pas la bonne solution pour traiter ce problème. Il faut piloter par la demande (au total les émissions de GES sont indexées sur les consommations). Une baisse légère et régulière de la consommation devrait suffire. Et aide...

à écrit le 06/10/2023 à 8:56
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Moi, je ne mange plus du cochon : ça ne rumine pas, un cochon, et tout ce qui s'ensuit.

le 06/10/2023 à 9:10
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Oui mais c'est l'animal le plus intelligent que l'on mange.

le 06/10/2023 à 10:20
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@Asimon Dans le cochon, tout est bon SI et seulement SI le cochon ne provient pas d'un élevage industriel. Localement, on trouve de très bonnes viandes et volailles. Faut chercher...dans nos campagnes...certainement pas au supermarché d'à côté. Idem ...

à écrit le 06/10/2023 à 8:13
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Combien de milliardaires générés sr le massacre des 40 milliards d'animaux chaque année ? Et ça représente un des plus puissants si ce n'est le plus puissant avec le lobby pharmaceutique, du monde, on en est presque à regretter les bons vieux lobbys ...

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