Règles budgétaires en UE : le sujet divise plus que jamais l'Allemagne et la France

Par latribune.fr  |   |  1439  mots
La Commission européenne a ajouté l'exigence pour ces pays d'un effort minimum de réduction du déficit de 0,5% du PIB par an tant que ce ratio sera au-dessus de 3%. (Crédits : YVES HERMAN)
Alors que les dettes des Etats se sont envolées en 2008 et en 2020 avec le Covid, les ministres des Finances de l'Union Européenne (UE) se réunissent en début de semaine à Luxembourg pour trouver un compromis sur la réforme des règles budgétaires. Paris prêche inlassablement pour plus de flexibilité. Mais Berlin reste intransigeante dans son souhait de conserver davantage de rigueur.

C'est une réforme qui ne fait pas l'unanimité parmi les membres de l'Union européenne. Lundi et mardi se réunissent à Luxembourg les ministres des Finances de l'UE, pour aborder la fameuse réforme des règles budgétaires. L'objectif étant de trouver un compromis d'ici fin décembre. Une tâche qui s'annonce plus ardue que prévu puisque, pour le moment, un seul point fait consensus : les anciennes règles du Pacte de stabilité et de croissance, remontant à la fin des années 1990, sont obsolètes et inefficaces.

L'objectif est de s'entendre sur des règles davantage adaptées à la situation particulière de chaque pays, de fixer des trajectoires budgétaires à la fois plus réalistes et mieux respectées. C'est le sens de la proposition mise sur la table en avril par la Commission européenne.

Mais entre Paris et Berlin, les attentes ne sont pas les mêmes. La France prône plus de flexibilité, alors que son voisin allemand mise sur la rigidité.

Conflit entre Paris et Berlin

Alors que la présidence espagnole du Conseil de l'UE, réunissant les 27 Etats membres, espérait aboutir à un consensus dès cette semaine, certains se montrent donc dubitatifs. « On n'a pas du tout l'impression que le dossier est prêt », confie un diplomate européen, « les positions sont encore tellement éloignées les unes des autres »... Dès lors, il n'est pas garanti qu'un accord soit trouvé d'ici la fin de l'année.

Pourtant, le temps presse. Les règles budgétaires ont été désactivées début 2020 pour éviter un effondrement de l'activité économique européenne touchée par la pandémie de Covid. Malgré la faiblesse de la conjoncture dans le contexte de guerre en Ukraine, elles seront réactivées au 1er janvier prochain. Une absence d'accord, après plus de deux ans de débat, signifierait le retour aux anciennes règles qui n'ont jamais été correctement appliquées. « Les marchés n'apprécieraient pas, cela montrerait l'impuissance politique de l'UE. L'heure est grave », confie un autre diplomate. Cela marquerait probablement aussi la fin du projet de réforme sous cette législature, des élections européennes étant programmées en juin prochain.

Pourtant, quand Bruno Le Maire avait rencontré son homologue allemand Christian Lindner en juin, les deux hommes politiques s'étaient montrés optimistes. « Nous avons encore du chemin devant nous avant d'arriver à un accord. Mais je suis persuadé que nous pourrons y arriver d'ici fin 2023 », avait assuré Bruno Le Maire, lors d'une conférence de presse à l'occasion d'une visite en Allemagne. Mais « nous avons un point de divergence. Comment ces règles doivent être appliquées ? De façon automatique ou flexible? Il y a une voie allemande et une voie française. Nous devons trouver la voie européenne », avait-t-il ajouté. « Il y a une bonne possibilité pour que nous trouvions un terrain d'entente entre 27 cette année », avait renchéri Christian Lindner, mettant en avant les discussions « constructives » tenues avec son homologue français.

Pour tenter de satisfaire l'Allemagne, la Commission a ajouté l'exigence pour ces pays d'un effort minimum de réduction du déficit de 0,5% du PIB par an tant que ce ratio sera au-dessus de 3%.

Cette concession a été jugée inacceptable par la France qui estime que l'introduction de règles automatiques est contraire à l'esprit de la réforme. « La règle de réduction annuelle du déficit de 0,5% est une règle contraignante, qui ressemble à certaines exigences du cadre budgétaire européen existant. Elle pourrait constituer un défi majeur, en exigeant une consolidation fiscale assez forte pour les Etats membres qui sortent de la récente série de crises avec des niveaux de déficit élevés », analyse Andreas Eisl, chercheur à l'Institut Jacques Delors.

L'Allemagne, qui réclame des règles encore plus contraignantes, n'est donc, elle, pas satisfaite.

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Assouplir le « corset budgétaire » ?

Ce « corset budgétaire » limite en théorie pour chaque pays le déficit des administrations publiques à 3% du PIB national et la dette à 60% du PIB. Même si en pratique, il n'a pas empêché l'explosion de l'endettement, tout en freinant l'investissement et la croissance après la crise financière de 2008. La proposition de la Commission reprend les seuils emblématiques de 3% et 60% du PIB. Mais, aux Etats membres qui les dépassent, elle accorde plus de marge de manœuvre pour revenir dans les clous.

Concrètement, Bruxelles propose que les Etats présentent leur propre trajectoire d'ajustement, accompagnée de propositions de réformes et d'investissements, sur une période d'au moins quatre ans. Ce plan serait ensuite évalué par la Commission et les autres Etats membres et ferait l'objet d'un contrôle annuel.

Les efforts de réformes et d'investissements seraient récompensés par la possibilité d'allonger la période d'ajustement budgétaire jusqu'à sept ans, afin qu'il soit moins brutal. Surtout, le contrôle porterait sur l'évolution des dépenses, un indicateur jugé plus pertinent que celui des déficits qui peuvent fluctuer selon le niveau de croissance. Mais pour les Etats dépassant les limites de 3% ou de 60%, Bruxelles veut définir aussi une trajectoire de référence visant à ramener et maintenir le déficit public sous les 3% du PIB « à moyen terme ».

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Une fracture nord-sud en Europe

Plus largement, autour de ces deux pays se cristallise une opposition entre pays d'Europe du Sud surendettés et pays frugaux d'Europe du Nord. « Etant donné les niveaux d'endettement divergents, il ne peut y avoir une solution unique qui s'applique à tous les États membres, ils pourraient donc disposer de plus grandes marges de manœuvre », a estimé Valdis Dombrovskis, le vice-président de la commission européenne. Mais il faudra conserver « le cadre de règles communes » et cette autonomie supplémentaire « devra s'accompagner de contraintes plus strictes en cas de non-respect des règles ».

La dette des pays de l'UE s'est envolée après la crise financière de 2008, puis de nouveau après la crise du Covid en 2020. Elle culmine aujourd'hui à près de 150% du PIB en Italie et quelque 110% en France, très au-dessus des seuils maximum fixés. Dans le même temps, l'Europe a bridé ses efforts dans le numérique, la transition verte ou la défense et subit encore un décrochage économique par rapport à l'Asie ou les Etats-Unis.

(Avec AFP)

La France, mauvaise élève de l'UE

La dette publique de la France a reculé à 111,8% du produit intérieur brut (PIB) au deuxième trimestre, contre 112,5% au trimestre précédent, selon les chiffres de l'Insee. Entre avril et juin, la dette a augmenté de 34,5 milliards d'euros pour atteindre 3.046,9 milliards d'euros, mais elle s'est inscrite en repli par rapport au PIB compte tenu de la « forte croissance » de l'activité enregistrée sur la période, a détaillé l'Institut national de la statistique.

Le traité européen de Maastricht de 1992 fixait pour les Etats une limite de dette publique à 60% du PIB, seuil que la France a dépassé à la fin de l'année 2002, pour ne plus jamais repasser en-dessous depuis. Mais, depuis la crise sanitaire, suivie de la guerre en Ukraine, cette règle, comme celle d'un déficit public inférieur à 3% du PIB, ont été suspendues. Elles devraient être réactivées en 2024.

Dans sa loi de programmation des finances publiques fixant la trajectoire budgétaire de la France jusqu'en 2027 et adoptée sans vote à l'Assemblée nationale grâce à l'article 49.3 de la Constitution, le gouvernement prévoit de ramener la dette à 108,1% du PIB à cette échéance et le déficit public à 2,7% du PIB, contre 4,9% prévus cette année.

Le ministre de l'Economie Bruno Le Maire a également souhaité qu'un milliard d'euros d'économies supplémentaires soient inscrites au budget 2024 « à l'issue du travail parlementaire », au-delà des quelque 16 milliards prévus par le texte du gouvernement. Le gouvernement veut donner des gages de sérieux budgétaire, confronté à une dette qui a dépassé 3.000 milliards d'euros et à un déficit largement hors des clous européens qui range la France parmi les mauvais élèves de la zone euro. « Ce serait formidable si la France pouvait envoyer ce message, que nous sommes capables d'améliorer la copie du gouvernement non pas avec de nouvelles dépenses, mais avec 1 milliard d'économies supplémentaires, voilà l'ambition que je fixe à notre majorité », a expliqué Bruno Le Maire.