L'Union européenne n'est pas parvenue à se dégager des hydrocarbures russes

OPINION. En dépit des embargos sur le pétrole et le gaz, les hydrocarbures russes continuent de circuler dans l'Union européenne. La Turquie et la Bulgarie, connues pour leur ambiguïté vis-à-vis de Moscou, peuvent notamment être deux portes d'entrée de la stratégie de contournement, par la Russie, des sanctions occidentales. Par Eugène Berg, essayiste et diplomate français.
(Crédits : Reuters)

Aujourd'hui, si la part du gaz russe importé par gazoducs a baissé de 45 à 15 % des importations totales, les importations de gaz naturel liquéfié (GNL) devraient s'établir en 2023 à 21,6 millions de tonnes, soit 16 % du total des importations européennes. Ce qui fait de la Russie son deuxième fournisseur de ce combustible liquide, après les États-Unis. Ce GNL, qui provient du champ de Yamal en Sibérie, est beaucoup moins rentable à l'export que le gaz non liquéfié et ne constitue donc qu'une source de recettes relativement marginale pour l'État russe. Mais cette dépendance au GNL russe fragilise néanmoins l'équilibre énergétique de l'Union européenne (UE), Vladimir Poutine pouvant décider d'un arrêt des expéditions, comme il l'a déjà fait pour une partie des livraisons par gazoducs.

Si les importations françaises de GNL russe ont baissé de 13 % depuis le début de la guerre, au profit d'autres sources (États-Unis, Norvège, Algérie, Qatar), elles ont en revanche plus que doublé en Espagne et en Belgique. L'Union européenne ne stant fixé comme objectif de ne plus importer de gaz russe qu'en 2027. Au total, la moitié des achats de gaz russe par l'UE pour l'année 2023 concernera du GNL (environ 42 millions de mètres cubes).

La Bulgarie peut devenir la porte d'entrée du gaz en Europe

La stratégie de Moscou pourrait cependant prendre la forme d'un contournement des sanctions, l'exportation de ressources fossiles demeurant une assurance-vie budgétaire pour Moscou. Un accord signé le 3 janvier entre la Bulgarie et la Turquie pourrait ainsi permettre à Moscou d'exporter indirectement son gaz en Europe, malgré les sanctions. Moscou assurait en effet la quasi-intégralité des approvisionnements de la Bulgarie avant de couper net ses exportations à la suite de l'invasion de l'Ukraine.

Cet accord pourrait couvrir jusqu60 % de la demande annuelle de gaz en Bulgarie, notamment à travers les approvisionnements venus de Turquie, dont près de la moitié est issue de Russie, par le biais du gazoduc Turkish Stream, situé sous la mer Noire. Or, selon les conditions de l'accord signé entre Sofia et Ankara, la Bulgarie n'aurait aucune possibilité de connaître la provenance du gaz qu'elle importerait de Turquie. L'accord entre Ankara et Sofia stend jusqu2035.

Un scénario d'autant plus envisageable que la Turquie assume pleinement, de son côté, sa volonté de jouer les intermédiaires commerciaux entre la Russie et l'Europe. Le président turc Recep Tayyip Erdoğan avait même signé un accord avec Vladimir Poutine en octobre 2022 afin que la Turquie devienne un hub gazier aux portes de l'Europe, en mélangeant gaz russe, iranien et azéri. Le cas bulgare suscite des craintes au sein des arcanes de l'UE. La compagnie gazière bulgare dtat, Bulgargaz, s'est défendue : le « prérequis fondamental » de l'accord est que « le gaz importé doit provenir exclusivement de pays non touchés par des sanctions, des embargos ou des restrictions commerciales ».

Ces précautions ne font pas lever toutes les craintes que Bruxelles a à lgard de la Bulgarie. Politiquement affaibli et sans majorité stable, beaucoup craignent que le gouvernement bulgare ne se rapproche de Moscou et se montre favorable aux discours du Kremlin. L'influence russe est très présente à Sofia, menaçant en permanence de détacher ce pays du bloc européen, avec le risque toujours maintenu de llection d'un gouvernement prorusse. Une situation héritée de lpoque soviétique où l'URSS se prévalait de l'amitié indéfectible de la Bulgarie. Dans les mois précédents, plusieurs personnalités, connues pour leur proximité avec les milieux euroatlantiques, opposés à l'ancien gouvernement de Boïko Borissov et leurs soutiens à l'Ukraine, ont été inquiétés par l'ancien Procureur général du pays, aujourd'hui déchu. Ce fut le cas des dirigeants de l'entreprise tech Nexo, connus pour leur soutien appuyé à l'Ukraine, qui ont connu de nombreuses vexations judiciaires. Autre exemple, en février 2023, l'agence fiscale bulgare reconnaissait ne pas avoir imposé de sanctions à l'encontre de citoyens ou d'entreprises russes placés sur la liste de l'Union européenne depuis l'annexion illégale de la Crimée, en 2014. C'est dans ce contexte de dépendance maintenue à la Russie et de risque de contournement des sanctions par Moscou que la Commission européenne doit penser une stratégie approfondie d'indépendance énergétique.

Diversifier les approvisionnements

Afin de sortir de sa dépendance aux énergies fossiles russes, l'Union européenne s'est dotée d'un programme global « REPowerEU ». Proposé par la Commission européenne en mai 2022, il a un objectif clair : se passer du gaz, du pétrole et du charbon en provenance de Russie d'ici à 2027, stratégie qui repose sur quatre piliers : économiser de lnergie, remplacer les énergies fossiles russes par d'autres hydrocarbures, promouvoir les énergies renouvelables et investir dans de nouvelles infrastructures comme des terminaux de gaz naturel liquéfié (GNL).

L'Union européenne dialogue pour diversifier ses approvisionnements en énergies fossiles. Fin mars 2022, un accord a été signé avec les États-Unis pour fournir des importations supplémentaires de GNL, les deux parties comptent atteindre un rythme de 50 milliards de m3 de gaz par an, là où la Russie en exportait vers l'Europe environ 155 milliards en 2021. Entre janvier et novembre 2022, les importations de GNL en provenance des États-Unis ont représenté plus de 50 milliards de m3 soit plus du double de la quantité importée à travers l'Atlantique sur l'ensemble de l'année 2021. La commissaire à lnergie Kadri Simson a également signé mi-juin 2022 un protocole avec l'Égypte et Israël afin de « permettre une livraison stable de gaz naturel à l'UE ». Mi-juillet, l'Union a aussi trouvé un accord avec l'Azerbaïdjan afin de doubler la capacité du corridor gazier sud européen. Objectif : fournir à l'UE au moins 20 milliards de mètres cubes de gaz par an d'ici à 2027.

L'UE parie également sur l'hydrogène : le plan fixe un objectif de 10 millions de tonnes de production intérieure d'hydrogène renouvelable et un chiffre similaire en matière d'importations à l'horizon 2030. La création d'une banque européenne de l'hydrogène, chargée d'investir 3 milliards d'euros pour développer ce marché sur le continent, a ainsi été annoncée. Ce vaste chantier stratégique nécessite, selon le Commission, 210 milliards d'euros d'investissements supplémentaires d'ici à 2027. Pour le financer, la Commission compte en partie sur les économies dues à la réduction des importations russes (100 milliards d'euros par an) et sur les prêts non utilisés du plan de relance européen (225 milliards d'euros).

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 1
à écrit le 14/10/2023 à 12:02
Signaler
Championne dans le dumping fiscal, le dumping social et la corruption l'ue est condamnée de ne parvenir à rien d'autre. C'est pas difficile à voir et à comprendre.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.