Soupçons d'ingérence du Qatar et du Maroc au Parlement européen : deux nouveaux eurodéputés inculpés de corruption et écroués

Par latribune.fr  |   |  1287  mots
Selon la presse belge, M. Panzeri a mis en cause M. Tarabella (photo ci-dessus) devant les enquêteurs en décembre peu après son interpellation. Il a affirmé lui avoir versé "entre 120.000 et 140.000 euros" en plusieurs fois pour son aide dans les dossiers liés au Qatar. (Crédits : Reuters)
La vague d'arrestations et d'inculpations continue de déferler dans le cadre de cette gigantesque affaire de soupçons de corruption au sommet des instances européennes. Deux eurodéputés, dont l'immunité a été récemment levée dans le cadre de l'enquête au Parlement européen en lien avec le Qatar et le Maroc, ont été interpellés vendredi par la police sur ordre du parquet belge pour être entendus. Marc Tarabella est la quatrième personne incarcérée dans cette même enquête après trois autres personnes dont l'eurodéputée Eva Kaili. La cinquième est un autre eurodéputé socialiste, l'Italien Andrea Cozzolino, également privé de son immunité le 2 février, arrêté vendredi en Italie, et bientôt extradé vers la Belgique.

L'enquête menée par l'OLAF (l'Office européen de lutte contre la fraude), dans le cadre des soupçons d'ingérence du Qatar et du Maroc dans les décisions du Parlement européen, avance vite. Après avoir interpellé jeudi la quatrième personne soupçonnée, l'eurodéputé belge Marc Tarabella, celui-ci a été inculpé hier samedi 11 février notamment pour "corruption", puis placé en détention provisoire, a annoncé le parquet fédéral.

L'élu socialiste de 59 ans, le premier Belge dans cette affaire, a été écroué après son inculpation pour « corruption », « blanchiment d'argent » et « participation à une organisation criminelle », a précisé à l'AFP Eric van der Sijpt, porte-parole du parquet fédéral.

Changement de ton sur l'attribution du Mondial 2022 au Qatar

Au Parlement européen, M. Tarabella s'est beaucoup exprimé sur l'attribution de l'organisation du Mondial-2022 au Qatar, et certains collègues eurodéputés se sont étonnés de son changement de ton à l'approche de l'événement.

Celui qui qualifiait d'« erreur de casting » en 2015 cette attribution par la Fifa avait salué en novembre 2022 en séance plénière l« les progrès » de l'émirat sur la question des droits des travailleurs.

Mi-janvier, l'élu socialiste avait admis avoir effectué en février 2020 un voyage payé par le Qatar sans le déclarer auprès du Parlement comme il en avait l'obligation.

« Il était invité (...) pour un congrès. C'est l'organisation qui a payé », a indiqué son avocat Maxim Töller sur la chaîne belge RTL. « Il ne l'a pas encore déclaré (...). Il est parti ensuite au Ghana, puis il y a eu le Covid (...). Sa collaboratrice lui rappelle de le faire, mais le délai est passé », a-t-il expliqué, pointant « la réalité du terrain ».

« Il va régulariser les choses (...). Il n'y a rien d'illégal à avoir un voyage payé par une organisation », a insisté l'avocat, soulignant que l'élu « a été voir la construction des stades et demandé à rencontrer des travailleurs ».

« Ce n'est pas un petit Italien au fond d'une trattoria

L'avocat par ailleurs tenté d'expliquer  « l'amitié » de son client avec Pier-Antonio Panzeri:

« Ce n'est pas un petit Italien au fond d'une trattoria (...). Il a été élu trois fois eurodéputé, (c'est) quelqu'un de très respecté (...). Il  est bien possible qu'il ait effectivement conseillé (à M. Tarabella) de dire telle chose », sans que celui-ci « puisse imaginer » que l'élu italien « aurait monnayé leur amitié ».

Marie Arena, proche de Panzeri, pas inquiétée pour l'instant

Mercredi 11 janvier, l'eurodéputée socialiste belge Marie Arena avait également reconnu avoir omis de déclarer une mission au Qatar en mai 2022, payée par l'émirat, imputant l'« oubli » à son secrétariat et évoquant « un document assez compliqué à remplir », selon ses déclarations à la presse belge.

Elle a démissionné dans la foulée de sa présidence à la sous-commission Droits de l'homme du Parlement européen, une fonction précédemment occupée par Pier-Antonio Panzeri et dont Mme Arena s'était mise en retrait dès décembre.

« Cette décision a été prise au vu des attaques politico-médiatiques qui nuisent à mon image » comme « à l'ensemble du travail réalisé au sein de la sous-commission », a-t-elle expliqué à l'agence Belga, répétant « n'avoir rien à se reprocher » et ne pas avoir fait l'objet de perquisitions ni de demande de levée d'immunité.

1,5 million d'euros en argent liquide saisi

Trois autres personnes dont l'eurodéputée grecque Eva Kaili sont déjà incarcérées dans ce scandale qui a éclaté le 9 décembre et entraîné une vague d'interpellations à Bruxelles.

Ce jour-là, les enquêteurs belges ont mis la main sur environ 1,5 million d'euros en argent liquide dans des sacs ou des valises découvertes notamment aux domiciles bruxellois de Mme Kaili et de Pier Antonio Panzeri.

Ce dernier, ancien eurodéputé italien, suspect clé du dossier, a reconnu en janvier avoir orchestré cette fraude. Il a conclu un accord avec l'accusation à condition de fournir des déclarations précises sur la fraude et les personnes impliquées. En échange de cette coopération, l'ex-député, devenu en 2019 dirigeant de l'ONG Fight Impunity établie à Bruxelles, sera condamné à une peine de prison ferme "limitée".

Son avocat Laurent Kennes a précisé à l'AFP que cette peine négociée avec le parquet n'excéderait pas un an ferme. "Une peine de cinq ans sera prononcée, mais avec du sursis pour la partie excédant un an. Cela veut dire qu'il va subir un an en détention, dont une partie sous bracelet électronique", a affirmé Me Kennes.

« Il a envie de déballer, il veut voir le bout du tunnel », a ajouté l'avocat sur la chaîne francophone RTBF, soulignant que M. Panzeri avait « reconnu avoir été l'un des dirigeants d'une organisation criminelle (...) en lien avec le Qatar et le Maroc ».

D'après la presse, le Maroc a utilisé le responsable italien comme point d'entrée pour appuyer ses intérêts au Parlement européen.

Mais comme le Qatar, le royaume chérifien a fermement contesté ces allégations de corruption.

Selon la presse belge, M. Panzeri a mis en cause M. Tarabella devant les enquêteurs en décembre peu après son interpellation. Il a affirmé lui avoir versé « entre 120.000 et 140.000 euros » en plusieurs fois pour son aide dans les dossiers liés au Qatar.

Les levées d'immunités s'enchaînent, « la corruption ne peut pas payer »

Les autorités belges ont aussi effectué deux perquisitions, la première visant un coffre bancaire situé à Liège et appartenant à Marc Tarabella, tandis que certains bureaux de la mairie d'Anthisnes ont été également perquisitionnés.

La justice belge a dû attendre la fin de la procédure de levée d'immunité au Parlement, le 2 février, pour envisager toute mesure coercitive.

« Dès le début, le Parlement européen a fait tout ce qui était en son pouvoir pour aider les enquêtes en cours et nous continuerons à veiller à ce qu'il n'y ait pas d'impunité. Le Parlement sera toujours dans le camp de la loi. La corruption ne peut pas payer et nous ferons tout pour la combattre », a déclaré début février la présidente du Parlement européen Roberta Metsola.

Dans la même enquête, un autre eurodéputé socialiste, l'Italien Andrea Cozzolino, également privé de son immunité le 2 février, a été arrêté vendredi 10 février en Italie en vertu d'une mandat d'arrêt international, a confirmé samedi M. van der Sijpt à l'AFP.

La police financière italienne a précisé, de son côté, qu'elle avait arrêté le député Andrea Cozzolino dans une clinique de Naples où il effectuait des examens médicaux, selon deux sources au sein de son Parti démocrate contactées par l'agence Reuters.

Assigné à résidence en Italie samedi, au lendemain de son arrestation en vertu d'un mandat d'arrêt émis par la justice belge, Andrea Cozzolino, dont l'immunité a aussi été levée le 2 février, doit comparaître mardi 14 février devant une cour de Naples (sud de l'Italie) chargée d'examiner la demande de remise à la Belgique que ses avocats ont l'intention de contester, selon l'agence de presse italienne AGI (Agenzia Giornalistica Italia).

Proche de M. Panzeri, celui dont la justice belge attend désormais l'extradition est soupçonné d'avoir favorisé l'ingérence du Maroc dans les décisions du Parlement européen.

Par le biais de leurs avocats, les deux hommes ont nié par le passé tout acte répréhensible. Marc Tarabella a notamment nié toute malversation, et réclamé de pouvoir être entendu pour s'expliquer.

(avec AFP et Reuters)