Zone euro : l'impasse de la proposition franco-allemande

Par Romaric Godin  |   |  1962  mots
Quelle doit être la future architecture de la zone euro ?
François Villeroy de Galhau et Jens Weidmann ont cosigné une tribune qui dresse les deux chemins qui se présentent, selon eux, devant la zone euro. En réalité, les deux chemins pourraient se rejoindre et mettre en danger la zone euro.

La tribune cosignée par le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau et le président de la Bundesbank, Jens Weidmann et publiée lundi 8 février par Le Monde et la Süddeutsche Zeitung n'est certainement pas une bonne nouvelle pour Mario Draghi. Ce dernier, rappelons-le, s'échine à lutter avec ses seuls moyens contre l'inflation faible et, sans doute compte tenu des évolutions dans les pays émergents, contre un probable affaiblissement de la croissance. Sa politique d'assouplissement quantitatif (« QE »), basée sur des rachats d'actifs publics et des taux négatifs notamment, montre des signes d'essoufflement. Si elle a permis d'éviter en 2015 à la zone euro le péril d'un cercle déflationniste, elle n'est pas suffisante pour relancer l'inflation et la croissance.

La résistance de Mario Draghi

Le problème, c'est que Mario Draghi n'a pas d'autres moyens à sa disposition pour agir que d'intensifier cette politique, ce qui ne sera certes pas sans risque, notamment en ce qui concerne la formation - et l'éclatement- de bulles spéculatives sur des marchés déjà saturés de liquidités. Le nœud du problème est donc de parvenir à transmettre ces liquidités de banques centrales dans l'économie réelle afin de financer l'investissement et la consommation et de relancer la demande dans la zone euro. Mario Draghi prétend cependant ne pas « rendre les armes » et se dit prêt à utiliser « tous les moyens. »

Jens Weidmann, l'ennemi de Mario Draghi

Mais dans ce combat difficile, Mario Draghi doit faire face à un ennemi redoutable, Jens Weidmann qui, chaque semaine, n'a pas de mots assez durs pour condamner la politique de la BCE. Le président de la Buba redoute désormais ouvertement que le QE ne devienne du « financement monétaire » des États et tire de l'inefficacité actuelle de cette politique pour redresser la croissance qu'il faut la stopper. Cette opposition n'est pas anodine, elle détermine en grande partie la stratégie de Mario Draghi qui doit compter avec les oppositions internes au Conseil des gouverneurs. Le 3 décembre dernier, il avait ainsi limité son action, la réduisant pratiquement à une baisse inférieure aux attentes du taux de dépôt à 0,3 %. La vive réaction des marchés et l'aggravation de la situation en Asie a permis à Mario Draghi de promettre une nouvelle action le 10 mars, une date qui pouvait paraître parfaite : dans le nouveau dispositif du Conseil des gouverneurs, Jens Weidmann sera mécaniquement privé de vote (mais pas de parole, certes, car il sera présent).

Le QE, problème « isolé » ?

Dans ce contexte, la décision du nouveau gouverneur de la Banque de France, entré en fonction le 1er novembre, de cosigner un texte avec Jens Weidmann, est-il un message inquiétant pour le président de la BCE ? Très prudemment, les deux gouverneurs soulignent que la politique monétaire qui « ne peut générer de la croissance économique durable (...) ne constitue pas l'objet principal de l'article. » Autrement dit, le texte tente soigneusement d'évacuer la périlleuse question du QE et le débat actuel. Mais ce n'est pas si simple, en réalité. D'abord parce que penser la croissance à long terme ne peut se faire sans penser la croissance à court terme. La croissance « potentielle » est un élément mouvant qui dépend aussi des conditions actuelles et la politique qui accompagnera le QE décidera de son succès et, donc, de cette croissance future.  Rappelons que l'ambition de la politique monétaire est de relever les prévisions d'inflation à moyen terme, donc d'avoir un impact « durable » sur la croissance.

Comment accompagner le QE ?

La question centrale, celle dont traite précisément le texte des deux banquiers centraux est donc bien celle de l'accompagnement de la politique monétaire, sujet déterminant en effet pour l'avenir de la zone euro, mais il est illusoire de le traiter « indépendamment » de la politique monétaire. Or, les deux chemins que ce texte propose à la zone euro ne sont guère en mesure d'aider Mario Draghi dans sa lourde tâche. Jens Weidmann et François Villeroy de Galhau présente un choix à deux alternatives pour la monnaie unique. La première est celle d'une intégration de la zone euro plus forte autour de trois piliers : réformes structurelles, union de financement et d'investissement et meilleure gouvernance. La seconde - si la première échoue - est un durcissement des règles budgétaires nationales. Ce choix est assez cohérent avec ce que le nouveau gouverneur de la Banque de France avait défendu avant sa nomination et qui peut se résumer de cette façon : si la France veut éviter des ajustements budgétaires douloureux exigés par les Allemands, elle doit pratiquer une politique de « réformes structurelles » vigoureuse. Cette politique déterminera l'Allemagne à entrer dans une intégration plus poussée de la zone euro. Et donc à obtenir une action commune en termes d'investissement et de politique économique.

Un plan B punitif

Inutile d'évoquer le second choix qui laisse présager une nouvelle phase d'austérité qui aura tôt fait de replonger la zone euro en récession et qui la menacera d'une déflation contre laquelle la BCE pourrait bien se retrouver impuissante. Au reste, ce « plan B » ressemble surtout, dans le propos des deux banquiers centraux à une punition pour ceux qui seraient tentés de ne pas accepter le « plan A. » Ce serait l'échec du pari du gouverneur de la Banque de France. L'essentiel est donc de savoir si la première proposition pour la zone euro représente ou non une porte de sortie à la crise et un soutien à la politique actuelle de la BCE.

Le piège des « réformes »

Le premier problème de ce chemin est que la politique économique commune n'est que le point d'arrivée. Or, la voie proposée par les deux dirigeants pour mener à ce point est clairement déflationniste. Les « réformes structurelles » promues pour la France visent à abaisser le coût du travail et celui des biens et services, ainsi qu'à mener une politique de désendettement actif par la baisse des dépenses publiques dont on ne perçoit pas très bien la différence au final avec le « plan B. » Toutes ces mesures tirent clairement la zone euro vers l'abîme déflationniste au lieu de renforcer la hausse des prix souhaitée par Mario Draghi.

Jens Weidmann et François Villeroy de Galhau semblent ici ignorer les leçons de l'histoire récente. Car le problème des « réformes », c'est qu'elles n'ont jamais de fin. On le voit avec les pays périphériques à qui l'on demande encore des réformes après cinq années de régime sec. Or, ce sont ces « réformes » infinies imposées dans les pays périphériques qui ont détruit la confiance au sein de la zone euro à partir de 2010 et qui continuent de maintenir une épée de Damoclès sur l'activité, empêchant toute vraie reprise. N'oublions pas que l'essentiel de la reprise européenne repose sur l'arrêt de l'austérité et l'effet positif des gains de pouvoir d'achat liés à la baisse du prix du pétrole. Pas aux réformes dont on nous dit partout qu'elles doivent être « poursuivies » et qui sont autant de menaces sur l'avenir. Au lieu de chercher à lever cette épée, les deux gouverneurs la rappellent précisément lorsqu'il faudrait la faire oublier.

Éviter la question des excédents courants allemands

Au reste, ce texte oublie singulièrement quelques maux essentiels de la zone euro, notamment les excédents excessifs des comptes courants allemands ou néerlandais, se focalisant sur les seuls déficits. Dans ce cadre, un premier point urgent consisterait à exiger du gouvernement fédéral allemand un vaste plan d'investissement afin de réduire cet excédent et de dynamiser la demande de produits de la zone euro. Or, dans les « réformes structurelles » demandées pour l'Allemagne par le texte des deux gouverneurs, cette question est soigneusement évitée : on se contente de réclamer une « libéralisation. » Autrement dit, ce texte protège ouvertement un des points centraux de blocage de la zone euro : la politique budgétaire allemande et l'obsession de Wolfgang Schäuble pour son « Schwarze Null », le « zéro noir », terme allemand utilisé pour décrire l'équilibre budgétaire. La raison en est simple : Jens Weidmann cherche à protéger cette politique en dépit de sa nocivité pour la zone euro.

La question du financement

Les deuxième et troisième piliers de la zone euro réformées semblent plus utiles. Former une union d'investissement et de financement est indispensable. Comme on l'a vu, ce serait ici un moyen de trouver des débouchés pour la politique monétaire. Mais les propositions sont, ici, clairement peu convaincantes et floues. Changer le modèle de financement européen en le rééquilibrant vers le marché n'est pas une panacée et pose également des problèmes, notamment en termes de redistribution des bénéfices vers l'économie réelle. C'est surtout une révolution culturelle qui prendra du temps et l'union des capitaux ne suffira pas - même si c'est une condition nécessaire - à changer les habitudes.

Un Trésor pour quoi faire ?

Quant au plan Juncker, il est en passe de devenir un exemple de ce qu'il ne faut pas faire : trop peu, trop lent, trop dilué. Son impact macroéconomique sera très faible au moment où les pouvoirs publics devraient avoir un rôle pour stimuler l'investissement et l'usage des fonds libérés par le QE. C'est ici, du reste, que se place le problème du troisième pilier de l'union monétaire rêvée par les deux banquiers centraux : le Trésor de la zone euro. Là encore, c'est une création sans doute souhaitable. Mais pour quoi faire ? Si ce n'est que pour mettre en commun des budgets et mieux surveiller ce qui restera entre les mains nationales, cela risque de n'être que peu utile. Ce Trésor doit pouvoir agir vite et fort, là où il est nécessaire d'agir. Ses fonds doivent pouvoir être utilisés pour une vraie politique de relance et il doit, donc, pouvoir emprunter sur les marchés. Il doit aussi pouvoir servir à mettre en commun une partie des dettes publiques et faire disparaître la crainte de l'ajustement à venir.

In fine, un plan A aux saveurs de plan B ?

Mais, remarquons-le, le texte demeure fort flou sur la politique que pourra mener ce Trésor de la zone euro.  Il est aisé de deviner pourquoi : Jens Weidmann ne veut pas entendre parler de politique de relance, ni d'une mise en commun des dettes de la zone euro. Difficile dans ces conditions de comprendre l'intérêt de ce Trésor. Et ici apparaît la faiblesse du pari de François Villeroy de Galhau : les « réformes » déflationnistes sont toujours très précises et imminentes, les autres mesures, pouvant comporter des éléments de relance, sont maintenues dans un flou volontaire. In fine, on applique les premières et on remet les autres à plus tard. Dans ces conditions, on voit mal comment le plan A des deux gouverneurs ne ressemblerait pas au plan B. Reste donc une proposition dans les faits profondément déflationniste, donc nocive, et ne s'attaquant à aucun des défis actuels de la zone euro et de la BCE. C'est dire si ce rapprochement franco-allemand n'est pas une bonne nouvelle pour Mario Draghi.