Le bitcoin, une innovation que la France ne doit pas rater ?

Par Christine Lejoux  |   |  1020  mots
Le bitcoin, dont le marché mondial n'excède pas 12 millions d'unités aujourd'hui, soit sept milliards d'euros, présente une très forte volatilité. REUTERS.
Mercredi 15 janvier, la Commission des finances du Sénat a auditionné des représentants de la Banque de France, du Trésor et de Tracfin, ainsi que des professionnels du bitcoin, afin de mieux cerner les enjeux liés à l’essor de cette monnaie virtuelle.

La commission des Finances du Sénat n'a rien d'un rassemblement de "digital natives", mais cela ne l'empêche pas de se passionner pour le sujet du "bitcoin."  Présidée par le sénateur UMP Philippe Marini, elle a ainsi auditionné, mardi 15 janvier, des représentants du ministère de l'Économie et des Finances, de la Banque de France, ainsi que des professionnels et des experts du bitcoin, afin de tenter de mieux cerner les enjeux liés à l'essor fulgurant de cette monnaie virtuelle.

Inventée en 2009 par un groupe d'informaticiens baptisé Satoshi Nakamoto, et émise à partir de codes informatiques complexes, cette e-monnaie peut-être échangée de gré à gré - sur des plates-formes Internet - contre des devises ayant cours légal. Stockée au sein de portefeuilles électroniques, elle peut servir à l'achat de biens et de services sur Internet, ou être utilisée à des seules fins de spéculation, comme n'importe quel autre actif financier. Le tout sans jamais passer par le moindre intermédiaire financier, d'où des coûts de transactions très faibles, qui expliquent l'engouement croissant pour le bitcoin.

 Le cours du bitcoin présente une très forte volatilité

Le hic, c'est que le bitcoin, dont le marché mondial n'excède pas 12 millions d'unités aujourd'hui, soit sept milliards d'euros, présente une très forte volatilité. Son cours avait ainsi chuté de près de 50% le 18 décembre, à cause de nouvelles restrictions imposées par la Chine. Non seulement "le cours du bitcoin est très fortement variable", mais, de plus, "le caractère anonyme des vendeurs et des acheteurs de cette monnaie fait qu'elle peut être utilisée pour le blanchiment d'argent, le financement du terrorisme ou du trafic de drogue", a souligné devant les sénateurs Denis Beau, directeur général des opérations à la Banque de France.

 Et puis, en cas de piratage informatique des plates-formes sur lesquelles les bitcoins sont stockés, leurs détenteurs ne disposent d'aucun recours légal pour récupérer leur mise, si celle-ci vient à être subtilisée. Enfin, "quel est le statut fiscal d'un compte en bitcoins ?", s'interroge Jean-Baptiste Carpentier, directeur du service Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (Tracfin), guère convaincu que le Trésor public soit "inondé de déclarations de plus-values réalisées sur les bitcoins."

 Le marché français du bitcoin, l'un des moins développés d'Europe

Reste que si la commission des Finances du Sénat a entendu ces réserves, elle s'est cependant montrée sensible à l'argument de l'innovation brandi par les promoteurs du bitcoin, en l'occurrence Jean-Michel Cornu, directeur scientifique de la fondation "Internet nouvelle génération" et Gonzague Grandval, président de la start-up Paymium, qui a développé la place de marché Bitcoin Central pour les utilisateurs européens de la monnaie virtuelle. "Pour parler du bitcoin, le biais que je vais prendre est celui de l'innovation", a déclarée d'entrée de jeu Jean-Michel Cornu, qui estime que "nous avons probablement besoin d'innovations monétaires pour faciliter l'innovation (tout court)."

 Or, en matière de bitcoin, la France ne brille pas par son avance, selon Gonzague Grandval :

"La France est en retard par rapport aux États-Unis, à l'Asie, à Israël. Et, au sein de l'Europe, le marché français du bitcoin est le moins développé, ou presque. Je suis à la fois content et affligé d'être la seule start-up française spécialisée dans le bitcoin."

Le précédent douloureux de PayPal

"La France est en retard dans le domaine des circuits de paiement", a confirmé le sénateur PS Richard Yung. Celui qui fut l'an dernier le rapporteur général du projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires pour la Commission des finances du Sénat en veut pour preuve le succès du système de paiement électronique PayPal (groupe eBay), que les banques françaises s'efforcent aujourd'hui de rattraper avec le lancement du portefeuille digital Paylib, entre autres. Mais avec "13 ans de retard", déplore Gonzague Grandval. "Il ne faudrait pas à nouveau rater le coche", poursuit Richard Yung.

François Marc lui-même, rapporteur général de la commission des Finances du Sénat, a "le sentiment" que le bitcoin représente "une innovation positive, notamment parce qu'elle permet de réduire les coûts de transaction." Et d'insister : "Nous sommes au début d'un processus d'innovation qui peut être porteur pour l'avenir."

Des propos qui ne sont pas sans rappeler ceux de Ben Bernanke : en novembre, le président de la Réserve fédérale américaine, dans un courrier adressé à la commission de la Sécurité intérieure du Sénat, avait estimé que des innovations comme le bitcoin "pouvaient être prometteuses à long terme", évoquant "un système de paiement plus rapide, plus sécurisé et plus efficace." Tout en reconnaissant le risque de fraudes.

Le risque que la règlementation ne signe pas l'arrêt de mort du bitcoin

Un risque que les sénateurs n'éludent pas :

"Le bitcoin n'entrant pas dans le champ de la règlementation, il faut bien sûr s'interroger. Ne devrions-nous pas lui donner rapidement un statut légal, afin, justement, de le réguler ?",

s'est interrogé François Marc. Une règlementation que Gonzague Grandval lui-même appelle de ses vœux : "Je prends la régulation comme un soutien à mon activité, que personne ne veut assurer, aujourd'hui."

 "La question de légiférer se posera si on ne peut pas orienter le bitcoin vers des statuts existants, comme celui de prestataire de services de paiement pour les plates-formes d'échange de cette monnaie virtuelle »,

a indiqué Delphine d'Amarzit, chef du service du financement de l'économie à la direction générale du Trésor. Mais la règlementation, en augmentant inévitablement les coûts de fonctionnement du système bitcoin et, partant, les frais de transaction pour ses utilisateurs, ne risque-t-elle pas au contraire de signer l'arrêt de mort de cette monnaie virtuelle ?