BNP Paribas sauve ses finances. Quant à sa réputation...

Par Christine Lejoux  |   |  1042  mots
L'agence de notation Moody's a abaissé sa perspective sur la note de solvabilité de BNP Paribas, risque de réputation oblige. REUTERS.
La banque affirme être suffisamment solide pour encaisser le choc d’une amende record de 8,9 milliards de dollars. Mais son plaider-coupable aux Etats-Unis lui fait courir un risque de réputation.

Opération déminage chez BNP Paribas. Ce mardi 1er juillet, à 8 heures, soit pile une heure avant l'ouverture de la Bourse de Paris, Jean-Laurent Bonnafé - directeur général de la première banque française - a tenu une conférence téléphonique, afin d'expliquer aux analystes financiers que les sanctions prononcées la veille au soir par la justice américaine à l'encontre de BNP Paribas ne mettaient nullement en péril les finances du groupe.

Pourtant, le ministère américain de la Justice n'y est pas allé avec le dos de la cuillère, en infligeant à BNP Paribas une amende de 8,9 milliards de dollars (6,6 milliards d'euros), au titre de transactions en dollar réalisées avec des pays soumis à un embargo économique des Etats-Unis, à savoir l'Iran, Cuba et le Soudan.

Un ratio de solvabilité qui demeure supérieur aux exigences de Bâle III

 Non seulement ce montant de 8,9 milliards de dollars représente 16 mois de bénéfices pour BNP Paribas, sur la base des résultats de l'exercice 2013, mais il s'agit également de l'amende la plus lourde jamais infligée par les Etats-Unis à une banque étrangère. Reste que, compte tenu de la solidité financière de BNP Paribas, qui a engrangé près de 42 milliards d'euros de bénéfices au cours des sept dernières années, l'amende aura peu d'impact sur le ratio de solvabilité de la banque.

Très regardé par les analystes, ce ratio, qui rapporte les fonds propres dits "durs" aux crédits consentis, sera ramené à 10% au 30 juin 2014, contre 10,6% au 31 mars. Un seuil qui demeure en outre supérieur au minimum de 9% exigé par la nouvelle réglementation de Bâle III. Résultat, le directeur financier, Lars Machenil, exclut toute augmentation de capital dans l'immédiat.

 Les activités interdites un an représentent 1% des revenus de BNP Paribas

 Aussi, contrairement aux craintes des investisseurs, la banque pourra verser un dividende à ses actionnaires cette année, non pas de 2 euros par action comme attendu, mais de 1,5 euro tout de même, comme l'an dernier. Quant aux collaborateurs de BNP Paribas, ils n'ont pas à redouter de conséquences de l'amende sur leurs emplois ni même sur leurs rémunérations, a assuré Jean-Laurent Bonnafé. Qui a également a affirmé que les clients, de leur côté, ne subiraient pas de hausses des tarifs.

La banque a également indiqué que l'interdiction qui lui sera faite durant toute l'année 2015 de réaliser certaines opérations en dollar - portant principalement sur le financement du négoce de gaz et de pétrole - aura une portée limitée sur son activité. D'une part parce qu'elle ne représente que 1% du total de ses revenus, d'autre part parce que BNP Paribas fera appel à une banque tierce pour la suppléer auprès de ses clients, dans le cadre de ces opérations.

Le cours de Bourse a grimpé de plus de 4%, en séance

 Dès lundi soir, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution - le gendarme du secteur bancaire français - avait publié un communiqué affirmant que BNP Paribas avait les reins suffisamment solides pour encaisser le choc des sanctions américaines. Une opinion partagée par les agences de notation financière Moody's et Fitch, qui ont toutes deux maintenu la note de solvabilité de BNP Paribas, à A1 pour la première et à A+ pour la seconde.

Rassurés, les investisseurs ont gratifié la banque d'une hausse de plus de 4% de son cours de Bourse, en séance. Il faut dire que l'action revient de loin : le titre avait perdu 19% depuis la mi-février, date à laquelle BNP Paribas avait rendu publics ses démêlés avec la justice des Etats-Unis.

 Un plaider-coupable "s'apparente à un casier judiciaire"

 Même pas mal ? Circulez, il n'y a rien à voir ? Pas si vite. Que les sanctions américaines ne mettent pas en danger la situation financière de BNP Paribas, c'est une chose. Que la banque sorte totalement indemne du cauchemar américain qui la hantait depuis des mois, c'est autre chose. En effet, pour éviter un procès à l'issue incertaine, BNP Paribas a plaidé coupable. De falsification de documents commerciaux et de collusion de long terme. Or, exception faite de Credit Suisse le mois dernier, BNP Paribas est la première banque à plaider coupable aux Etats-Unis depuis Drexel Burnham Lambert en...1989.

 Et pour cause : un plaider-coupable peut conduire le régulateur américain à retirer sa licence à une banque, signant du même coup son arrêt de mort, les Etats-Unis n'étant autres que le premier marché financier au monde. Certes, BNP Paribas gardera sa licence outre-Atlantique, mais la banque est désormais comme marquée au fer rouge : "cela s'apparente à un casier judiciaire, il peut donc y avoir un risque de réputation, notamment pour les clients qui ne connaîtraient pas bien la banque", souligne Eric Delannoy, vice-président du cabinet Weave, cité par l'AFP.

 Moody's abaisse sa perspective, risque de réputation oblige

 Ce risque de réputation est tout sauf anodin. La preuve avec Moody's qui, tout en maintenant la note de BNP Paribas pour le moment, a abaissé sa perspective sur la solidité financière du groupe, de stable à négative, jugeant que le plaider-coupable pouvait avoir un impact négatif sur la réputation de la banque et, partant, lui faire perdre des clients. De fait, certains fonds de pension et autres investisseurs institutionnels ne pourront plus traiter avec BNP Paribas, tout simplement parce que leurs chartes internes leur interdisent d'entretenir des relations commerciales avec des entreprises reconnues coupables de faits graves.

 Ce qui, selon le ministre américain de la justice Eric Holder, est le cas de BNP Paribas : la banque "s'est donné beaucoup de mal pour dissimuler des transactions prohibées, en effacer les traces et tromper les autorités américaines", des actes qui "représentent une violation grave de la loi américaine." Et puis, au-delà du risque de réputation, un plaider-coupable est la porte ouverte à de possibles demandes de dédommagements de la part de tiers. BNP Paribas n'a peut-être pas fini de tourner la page de ses déboires américains.