BNP Paribas et la justice américaine : pourquoi tant d'hostilité ?

La banque française risque de devoir plaider coupable, dans le dossier des transactions en dollar réalisées avec des pays sous embargo américain. Un traitement différent que celui appliqué dans la plupart des affaires de ce type qui se sont soldées ces vingt dernières années par une négociation avec la justice américaine.
Christine Lejoux
L'amende évoquée par la presse anglo-saxonne de 3,5 milliards de dollars représente environ un semestre de bénéfices pour la banque. REUTERS.

Deux milliards de dollars, 3 milliards, 3,5 milliards… A mesure que les jours passent, le montant de l'amende que BNP Paribas risque de devoir payer - au titre de transactions en dollar réalisées avec des pays soumis à un embargo américain, comme le Soudan, l'Iran, Cuba et la Birmanie - gonfle dans les articles de presse. Le Wall Street Journal du 15 mai évoquait même une pénalité "supérieure de plusieurs milliards de dollars" au montant jusque là évoqué de 3,5 milliards. Celui-ci ne représentant somme toute, aux yeux de la justice américaine, qu'un semestre de bénéfices pour BNP Paribas, qui avait dégagé en 2013 un résultat net de 4,8 milliards d'euros (6,6 milliards de dollars).

Surtout, toujours d'après la presse d'outre-Atlantique, le département américain de la Justice semble bel et bien décidé à obtenir de la banque française un plaider-coupable dans ce dossier. Tout comme il paraît résolu à faire passer aux aveux Credit Suisse, accusée d'avoir favorisé l'évasion fiscale de riches Américains. Or "si une banque plaide coupable, le régulateur peut lui retirer sa licence", prévient Christian Dargham, avocat associé chez Norton Rose Fulbright. Ne plus avoir le droit de travailler aux Etats-Unis, premier marché mondial dans le secteur de la finance, voilà un coup des plus rudes pour une banque. A tel point qu'il faut remonter à 1989 pour retrouver le cas d'une banque - en l'occurrence Drexel Burnham Lambert - contrainte de plaider coupable auprès des autorités américaines.

 La mode de la justice négociée aux Etats-Unis

 Ces vingt dernières années, la plupart des affaires de violations de sanctions américaines contre certains pays se sont réglées via des "deferred prosecution agreements" (DPA), et non par des plaider-coupable", confirme Christian Dargham. Le DPA, c'est cette forme de justice négociée, en plein essor depuis dix ans aux Etats-Unis, que Christian Chavagneux et Thierry Philipponnat décrivent ainsi dans leur récent ouvrage, La Capture :

"La justice américaine a compris que, face à la complexité des multinationales, la tâche consistant à apporter la preuve des comportements délictueux était devenue particulièrement ardue (…). Afin de reprendre la main, les autorités judiciaires américaines ont développé une justice par la transaction. On propose à l'entreprise concernée d'éviter la publicité d'un long procès, des perquisitions médiatisées et le risque de perdre son droit d'exercer sur le marché américain."

En contrepartie, la société en question devra diligenter des enquêtes internes, prendre des engagements vis-à-vis de la justice américaine, et payer de sa poche un "monitor", sorte de surveillant général qui, durant deux à trois ans, aura pour tâche de rapporter au département américain de la Justice ainsi qu'à la Securities and Exchange (SEC, le gendarme de la Bourse) le moindre écart commis par l'entreprise par rapport à ses engagements. Autrement dit, un DPA coûte des milliards de dollars à cette dernière, mais il lui évite une condamnation pénale et ses risques collatéraux en matière de réputation et, partant, d'activité.

 Des sanctions internationales plus sévères aux Etats-Unis

Dans ce cas, pourquoi diable BNP Paribas et Credit Suisse risquent-elles, elles, des poursuites pénales ? D'abord parce que "depuis la crise financière de 2008, les États-Unis sont devenus beaucoup plus agressifs en matière de poursuites juridiques à l'encontre des entreprises, notamment non-américaines", explique Christian Dargham. Et d'ajouter : "Cette chasse aux sociétés étrangères est particulièrement bien illustrée par les domaines de la lutte contre la corruption et des sanctions américaines contre certains pays."

 Ensuite, "les États-Unis disposent de plusieurs programmes de sanctions internationales, dont le champ d'application est beaucoup plus large que ceux de l'Union européenne (UE), en termes de produits et de personnes, par exemple", poursuit Christian Dargham. De fait, le programme de sanctions américaines contre Cuba, le plus sévère, est intitulé « Trading with the enemy act », c'est dire… Résultat, le seul fait que les transactions réalisées par BNP Paribas avec des pays soumis à embargo américain aient été effectuées en dollar, une monnaie forcément compensée sur le territoire des États-Unis, place la banque en infraction par rapport à la loi américaine.

 Un chantage au "too big to jail" qui ne porte plus

Enfin, si la justice américaine semble si décidée à arracher un plaider-coupable à BNP Paribas, c'est également parce que la banque aurait été trop lente à coopérer avec les autorités des États-Unis dès le début de l'affaire, en 2009. Ce qui aurait empêché ces dernières de poursuivre certains collaborateurs de BNP Paribas. Mais, "si les procureurs américains insistent pour obtenir des plaider-coupable, c'est également sous la pression du Sénat et de l'opinion publique, qui critiquent la multiplication des deferred prosecution agreements", souligne Christian Dargham. De fait, en février 2013, Charles Grassley, sénateur de l'Iowa, s'était ému auprès du ministre américain de la Justice Eric Holder "du peu de poursuites judiciaires liées à la crise des subprimes (crédits hypothécaires américains risqués)", rappellent Christian Chavagneux et Thierry Philipponnat, dans "La Capture".

Ce que à quoi Eric Holder avait rétorqué, devant la commission judiciaire du Sénat, que "la taille de certaines de ces institutions (bancaires) est devenue si importante qu'il devient difficile pour nous de les poursuivre, lorsque nous recevons des informations indiquant que, si tel était le cas, cela pourrait avoir des conséquences négatives sur l'économie nationale." Mais ce chantage au "too big to jail" (trop gros pour être emprisonné), l'opinion publique ne le supporte plus, au vu des scandales à répétition dans le secteur bancaire. Le même Eric Holder n'a-t-il d'ailleurs pas viré sa cuti, déclarant, le 5 mai, qu'aucune banque, aussi grosse soit-elle, n'était "au-dessus des lois ?" Une allusion à peiné voilée aux dossiers BNP Paribas et Credit Suisse.

Christine Lejoux

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Commentaires 38
à écrit le 30/05/2014 à 11:50
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Eh bien, il faut les récupérer au moins le double Il faut taxer google, macdo,......et leur facturer les opérations anti terroristes dans le monde

à écrit le 30/05/2014 à 0:39
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Cela en est presque risible quand on sait que la crise des subprimes est une ESCROQUERIE américaine avec la complicité de leurs agences notations "bidons" qui a contaminé certaines banques européennes . Mais rassurez les constructions financées par l...

à écrit le 23/05/2014 à 14:52
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Bien les commentaires ! Rien sur le comportement de la BNP qui s'imagine aux USA comme en France... au dessus des lois.

à écrit le 21/05/2014 à 16:20
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Et les ventes d' armes Us à l' Iran lors de son conflit avec l'Irak...via les services spéciaux Israéliens . Tous ça c' est du rackets .

à écrit le 21/05/2014 à 16:06
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La France n'a pas l'air la bienvenue aux EU VIVENDI , DSK , maintenant BNP.........., j'espére qu'on va se venger avec google, macdoet ge

à écrit le 21/05/2014 à 9:42
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Il serait intéressant de comparer les actions US contre les banques étrangères (HSBC, Crédit Suisse BNP Paribas...) avec celles contre les banques américaines... Y-aurait-il un biais ? ... Certainement pas !

à écrit le 19/05/2014 à 10:43
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Et pourquoi l'Europe ne demanderait pas aux banques US des compensation massives pour la crise des subprimes qui ont mis la plupart des économies européennes à genoux...Et même bâton qu'au USA : Si elles ne collaborent pas (= payent) alors on leur en...

le 19/05/2014 à 18:11
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Salut Eric, il y a trop de fric a se faire aux USA, voila pourquoi. Les pertes liees aux subprimes sont oubliees, elles etaient purement comptables, virtuelles, et ont ete effacees par la remontee du marche immobilier (exemple: +40% en 1 an et demi a...

à écrit le 18/05/2014 à 12:01
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Ce qui est drole et dramatique c'est que ce sont les USA qui donnent des lecons aux europeens sur la facon don't il faut se comporter avec ces conglomerats. Nous nous allons continuer a nous interroger sur des grands principes, l'interventionisme, le...

à écrit le 18/05/2014 à 8:46
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Pourquoi tant d'hostilites,parceque les americains sont des rapaces.

le 18/05/2014 à 22:52
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Chut ! somme toute nous sommes leur alliés du coeur voire caniches....

à écrit le 17/05/2014 à 20:36
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Ce genre de problème doit être règlé a l OMC et pas devant un tribunal américain. Le gouvernement de bouffons en place à Bercy ne fout rien

à écrit le 17/05/2014 à 15:11
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Au moins, les etats-unis poursuivent les banques de maniere assidue et recuperent de l'argent. Qu'ils poursuivent au penal des banques etrangeres me parait etre plus un choix politique et dans ce cadre me parait inequitable. Mais bon, si les banques ...

à écrit le 17/05/2014 à 12:51
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Faites comme eux, boycottez tous les produits ricains. Il y a le choix et c'est toujours meilleur ailleurs. Regardez GM et ses Opel et Chevrolet Pourries, regarder Samsung et ses smartphones bien meilleurs que les Apple fabriqués par des esclaves; et...

le 18/05/2014 à 19:17
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ahahah ce serait une bonne idée mais détrompez-vous, mon cher, notre pays devient de plus en plus "America tendance", suffit de voir le Festival de Cannes, presque entièrement porté vers le cinéma américain, le réseau d'espionnage français actuelleme...

à écrit le 17/05/2014 à 11:51
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Nous n'avons rien à gagner avec les américains, surtout pas à signer un traité de libre-échange.

à écrit le 17/05/2014 à 10:43
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Il s'agit peut-etre de montrer aux europeens qu'ils auraient "intérêt" a signer le traite transatlantique pr eviter ce genre de desagrement a l'avenir? A la niche l'Europe! Doivent-ils penser

à écrit le 17/05/2014 à 10:00
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Ridicule. Encore une fois les maîtres du Monde montrent leurs dents et tout le monde fait le dos rond. Cela suffit qu'on les jettes sous dix mètres de fond avec une paire de Charentaises en béton.

à écrit le 17/05/2014 à 9:10
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Le dollar domine cette guerre économique larvée. Vous imaginez un retour au franc aujourd'hui comme le préconise l'extrême droite ,on ne pourrait même pas mettre un pied commercial hors de la France.

à écrit le 17/05/2014 à 8:26
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La BNP est rattrapée par sa malignité . Nous dira t on le nom du coupable ?

à écrit le 17/05/2014 à 8:16
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Condamner BNP, pour des entorses à la seule législation américaine, c'est une agression contre les intérêts français. C'est priver l'état français de ressources, un tiers de la somme au titre de l'IS. C'est accepter que la législation américaine ait ...

le 17/05/2014 à 8:42
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Il suffit de respecter les lois des USA A votre avis la bnp ne savait pas pour Cuba mdr !!

à écrit le 17/05/2014 à 1:52
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La réponse st simple: la France semble vouloir continuer à vendre des armements à la Russie. En 2009, AIG a "sauvé" les banques françaises et une semaine après Sarkozy réintégrait la France dans l'OTAN. Liberté il n'y a plus, égalité et fraternité? ...

à écrit le 17/05/2014 à 1:52
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La réponse st simple: la France semble vouloir continuer à vendre des armements à la Russie. En 2009, AIG a "sauvé" les banques françaises et une semaine après Sarkozy réintégrait la France dans l'OTAN. Liberté il n'y a plus, égalité et fraternité? ...

à écrit le 16/05/2014 à 23:48
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Pourquoi ne pas avoir utilisé des euros ? Presque le monde entier commerce avec Cuba et dénonce l'embargo absurde des état-unis face à ce petit pays. BNP n'a qu'à promettre aux américains de ne plus jamais utiliser de dollars dans ses transactions ...

à écrit le 16/05/2014 à 23:31
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Raison de plus pour ne pas accepter de laisser partir Alstom dans le giron de General electric.. Ce procédé qui consiste à faire payer les autres en profitant de leur hégémonie est fréquent chez les Americains,autre exemple quand bush a fait annuler ...

le 17/05/2014 à 7:01
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Sur Le dossier BNP les yankees m'exasperent .Mais desole, GE est un des plus gros exportateurs francais de produits industriel, cela rien avoir.

à écrit le 16/05/2014 à 22:50
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Obama avait lui-même déclaré à François Hollande tout récemment son fol amour pour notre pays, que la "saga" France-Amérique se pérpoetuera à tout jamais, nous sommes des "amis pour toujours".... eh oui !

à écrit le 16/05/2014 à 22:10
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Pourquoi la France, pays qui a produit la Déclaration des Droits de l'Homme, ne décrète-t-elle pas un embargo contre l'Arabie Saoudite (Lapidation, emprisonnements sommaires, ...). Nous perdrions quelques centaines de millions d'exports mais pourrion...

le 17/05/2014 à 14:35
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Hollande n'aurait jamais eu un tel culot. Flanby, le mou ? Hollande est un ancien Young Leader de la “French American Foundation”, jusqu'à maintenant on ne sait pas de quel côté il s'aligne, effectivement. Du courage... Flanby ? tu parles, Charles !....

à écrit le 16/05/2014 à 20:53
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Quid des condamnations des banques américaine qui ont provoqué la crise des subprimes. Quid de la condamnation de Goldman Sachs pour avoir participer a la manipulation des comptes grecs. Les entreprises américaines virent leur concurrent afin de re...

à écrit le 16/05/2014 à 19:14
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Un bon exemple de la puissance des USA. Juste pour avoir utilisé des dollars, BNP aura une amende de 4 milliards de dollars . Imaginé dans le cas ou il mette la main sur Alstom sans leur accord pas de vente de centrale.....et autre machine équiper ...

le 16/05/2014 à 20:11
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@Ed: et c'est la raison pour laquelle nous devons créer une Europe forte et indépendante des US (et des autres). Quasiment tout est libellée en dollars à l'heure atcuelle et c'est un véritable problème :-)

le 17/05/2014 à 4:32
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Le dollar est la monnaie dominante car elle est adossée à la puissance militaire dominante ! On n est pas certain qu on puisse avoir l euro comme monnaie dominante sans domination militaire !

le 18/05/2014 à 22:54
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Vous avez un raisonnement plutôt de néo-con(servateur) n'est ce pas ?

à écrit le 16/05/2014 à 18:58
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c'est pas moi je qui va attaquer les banques qui ont vendu des subprimes.

le 17/05/2014 à 1:55
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Bah non, c'est pas la France qui va attaquer ses propres banques qui, avec les banques allemandes, sont à l'origine de la bulle immobilière espagnole!

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