Emprunts toxiques : quand les intérêts de l’Etat et des banques convergent

Par Mathias Thépot  |   |  631  mots
Bercy a décidé la création un fonds de soutien doté de 100 millions d'euros par an pendant 15 ans pour aider les collectivités à se sortir de leurs emprunts toxiques (Crédits : (c) Copyright Thomson Reuters 2012. Check for restrictions at: http://about.reuters.com/fulllegal.asp)
Dans son projet de loi de finances, Bercy annihile une jurisprudence dans l'affaire des crédits toxiques aux collectivités locales qui était défavorable aux banques. Guère surprenant, puisque l’État français est l'actionnaire majoritaire depuis peu de l'une d'entre elles...

Si dans les textes les collectivités locales ne sont pas sollicitées pour régler l'addition de l'affaire des prêts toxiques qu'elles ont souscrits, dans les faits, les élus ne devraient pas avoir leur mot à dire sur les procédures de résolution en cours et à venir.

Très attendu sur ce sujet, le projet de loi de finances (PLF) 2014 a en effet rendu un verdict intéressant : pour aider les collectivités locales qui ont besoin de sortir des emprunts structurés les plus risqués, "il sera créé à partir de 2014 un fonds de soutien doté de 100 millions d'euros par an pendant 15 ans". Le fonds sera financé pour moitié "via un relèvement de la taxe de risque systémique (TRS) acquittée par le secteur bancaire et pour moitié par l'État" qui en sera le gestionnaire, est-il indiqué dans le PLF 2014.

Sans accord avec la banque, pas d'accès au fonds

A première vue, les élus sont donc gagnants. Cependant, le fonds sera ouvert aux collectivités territoriales "dès lors qu'une transaction sera conclue avec l'établissement de crédit concerné pour l'ensemble des produits financiers éligibles contractés auprès de cet établissement", précise Bercy dans le PLF.
Problème, si la banque s'oppose à conclure un accord, la collectivité locale n'aura pas accès au fonds, ce qui suscite la crainte de Maurice Vincent, le président de l'Association des acteurs publics contre les emprunts toxiques (APCET).

Si l'État a accordé ce luxe aux banques, c'est avant tout parce qu'il est propriétaire depuis février 2013 de la Sfil, la société héritière de Dexia, le leader historique des prêts aux collectivités locales, qui détient la majorité des encours de crédits les plus risqués. Il est clairement dans cette affaire juge et partie.

La jurisprudence du TGI de Nanterre n'est plus

De même, le PLF 2014 annihile une décision de justice du TGI de Nanterre favorable aux collectivités locales et qui faisait jurisprudence. Elle obligeait Dexia à recalculer à la baisse les taux consentis au conseil général de Seine-Saint-Denis pour avoir oublié de mentionner un taux d'intérêt déterminant dans un fax, le fameux Taux effectif global (TEG), qui représente le coût réel du crédit.

L'État craignait les répercussions de cette décision : "Cette jurisprudence fait peser un risque majeur sur les finances publiques, dans la mesure où l'État est actionnaire à 75 % de la Société de financement local (SFIL) et à 44 % de Dexia SA qui détiennent à leur bilan une part très significative de crédits conclus conformément au processus sanctionné par cette jurisprudence", est-il écrit dans le PLF.

Il y est ensuite mentionné que "l'absence d'une telle validation législative ferait porter un risque à la fois sur les finances publiques en raison des obligations de l'État actionnaire vis à- vis de ces mêmes établissements (évaluées à 15 milliards d'euros ) ; sur le marché bancaire dans son ensemble (en raison du caractère systémique d'une déstabilisation des établissements Dexia et SFIL) ; enfin sur l'économie en général du fait de l'assèchement de l'accès au crédit pour les collectivités territoriales, principales contributrices à l'investissement national".

Les banques s'en sortent à bon compte

Les autres banques françaises ayant banalisé la vente de ces produits très risqués lors des années 2000 ont donc été soulagées par le gouvernement. Mais comme le dit Maurice Vincent, "l'État protège en premier lieu ses intérêts et les banques en ont bénéficié  indirectement ".
Au total, plus de 300 assignations (les deux tiers pour la Sfil) de banques par plus de 200 collectivités sont en cours.