Pourquoi le Medef s'inquiète tant de la taxe sur les produits dérivés

Par Mathias Thépot  |   |  835  mots
75% environ du marché des dérivés de gré à gré disparaitraient du seul fait de la mise en œuvre de la taxe sur les transactions financières dans les Etats concernés.
Jeudi, le Medef et Paris Europlace se sont inquiétés de la taxe sur les transactions de produits dérivés. Pourtant leurs intérêts ne seront que peu affectés et cette taxe est un outil de poids pour endiguer le risque systémique qui repose sur l’économie réelle.

Le Medef, Paris Europlace et la fédération de l'industrie allemande (BDI) ont récemment marqué leur opposition dans un communiqué au projet de taxe sur les transactions financières (TTF), en ce moment discuté par onze Etats membres de l'Union Européenne -dont la France- dans le cadre de la procédure de coopération renforcée. Le projet initial prévoyait une taxe de 0.1% sur les actions et les obligations et de 0.01% sur les produits dérivés.

 

Les trois organisations ciblent "en particulier" un risque spécifique si "les contrats sur produits dérivés utiles à l'économie (i.e. sur actions, taux de change, taux d'intérêt, matières premières ou dérivés de crédits) étaient inclus dans la taxe", est-il indiqué dans leur communiqué. "Ces contrats sont en effet largement utilisés par les entreprises non financières pour couvrir leurs risques. Accroître leur coût porterait un préjudice grave à la compétitivité de ces entreprises", ajoutent-elles.

 

Une préjudice grave ?

 

Reste que le terme "préjudice grave" semble quelque peu excessif. Ainsi, si l'on prend par exemple le cas d'une entreprise endettée à taux variable sur Euribor 12 mois, et craignant une remontée des taux d'intérêt. Elle conclut alors un swap de taux par lequel elle échange l'Euribor 12 mois contre un taux fixe par exemple de 4,5 %. Cette opération ne modifie pas la nature de son emprunt initial : elle continue de payer à l'organisme prêteur les intérêts normalement dus. Mais à échéance, si l'Euribor s'établit à 5 %, elle se verrait rétrocéder 0.49% au lieu de 0,50%, du fait de l'application de la taxe... Pas de quoi donc provoquer un "préjudice grave".
De surcroît, la TTF sur les produits dérivés ne concernera pas les petites et moyennes entreprises qui ne sollicitent quasiment pas ce marché. L'instauration de la TTF ne devrait donc pas affecter profondément l'économie française, ni même l'économie européenne.

 

Un grain de sable qui limiterait significativement les transactions entre banques

 

En revanche, et c'est son but, la TTF pourrait avoir un impact réel sur les transactions de produits dérivés entre institutions financières. Introduire ce grain de sable de 0,01% pourrait réduire d'environ 75% les transactions sur produits dérivés de gré à gré, selon les conclusions de plusieurs experts que la Commission européenne semble avoir repris à son compte.

 

Faut-il se satisfaire d'une telle baisse d'activité ? Oui, si l'on estime ce sont ces échanges qui alimentent les interconnexions entre banques et les rendent interdépendantes. "Selon la Banque des règlements internationaux et la Banque centrale européenne, 93 % de l'activité de tenue de marché sur les marchés de dérivés de gré à gré - soit l'immense majorité des produits dérivés, qui représentent douze fois le PIB mondial - est réalisée par des banques à l'attention de contreparties financières, et seulement 7 % avec l'économie dite « réelle »", indiquait Thierry Philipponnat, secrétaire général de l'ONG Finance Watch, lors d'une audition à l'Assemblée nationale.

 

Autre preuve de la déconnexion de ce marché de l'économie réelle : les transactions sur les produits dérivés de change -qui ont été créés pour permettre aux entreprises qui commercent à l'international de se couvrir contre les risques de taux de change- se sont élevées lors d'une seule journée d'avril 2013 à 5.300 milliards de dollars. Ce, alors que les exportations mondiales de marchandises annuelles s'élèvent à 18.300 milliards de dollars et à 4.300 milliards pour les services. Autrement dit, à ce rythme le commerce mondial annuel est couvert en 4 jours!

 

Un sujet brûlant en France

 

L'instauration de la TTF sur produits dérivés concernera tout particulièrement les établissements financiers français : "les engagements hors bilan en dérivés des 4 banques françaises (montants notionnels agrégés) pèsent 46 fois le PIB français !", indiquait ainsi Christophe Nijdam, analyste spécialisé dans le secteur bancaire chez AlphaValue, dans une chronique parue dans le Nouvel économiste titrée "le talon d'Achille des banques françaises".

 

Deux universitaires, Alexandre Guillemonat et Olivier Ramond, ont pour leur part récemment alerté sur le caractère brûlant de la situation dans une chronique parue dans les Echos et intitulée "au secours, les produits dérivés reviennent !". Ils s'interrogent sur ces opérations de couverture "dont on ne sait plus vraiment si elles ne sont pas porteuses d'un risque additionnel". Ainsi que sur ces "engagements non identifiés ou non évalués à défaut de modèle fiable d'évaluation... ".

En effet, en plus d'engager des volumes gigantesques, les produits dérivés sont encore mal compris par les régulateurs. Seules certaines banques d'affaires et sociétés spécialisés semblent en maîtriser parfaitement les modèles d'évaluation. Dans ce contexte, l'instauration de garde-fous, comme la TTF, pour limiter les impacts d'une éventuelle crise future, semble s'imposer.