Assurance vie : la niche fiscale suscite le débat

Par Delphine Cuny  |   |  875  mots
Jean-David Chamboredon, du fonds Isai, Frédéric Lavenir, de la CNP, et Ronan Le Moal de Crédit Mutuel Arkea, militent pour une réforme de l'assurance vie favorisant l'épargne longue et l'investissement dans le non-coté. Quitte à passe par l'incitation fiscale. (Crédits : DR)
Le meneur de l’ex-mouvement des Pigeons, Jean-David Chamboredon, réclame une réforme du régime fiscal du placement préféré des Français. S’il est soutenu par des acteurs de la place comme la CNP et Arkéa, il s’oppose au principe de neutralité fiscale défendu par le gouvernement.

Placement préféré des Français, l'assurance vie, énorme enveloppe de 1.700 milliards d'euros, suscite toutes les convoitises. Le gouvernement souhaite la réformer dans le cadre du projet de loi Pacte (Plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises), afin de mieux l'orienter vers l'économie réelle, en favorisant davantage les placements longs et plus risqués, principalement en rénovant les fonds eurocroissance, créés en 2013, produits intermédiaires entre le fonds euros classique, à capital garanti, investi en obligations d'État (80% du volume d'encours), et les unités de comptes, investies sur les marchés financiers (actions, obligations toutes catégories, trackers d'indices, etc.), avec un risque de perte en capital. Pas assez ambitieux selon certains acteurs de la place.

"Ces fonds eurocroissance sont un énorme flop ! On a bougé 0,1% de l'assurance vie en un quinquennat..." a raillé Jean-David Chamboredon, co-président de l'association France Digitale et président exécutif du fonds d'investissement Isai, lors d'un événement sur la réforme de l'assurance vie organisé mercredi.

Le meneur de l'ex-mouvement des Pigeons a repris son porte-voix pour défendre une réforme plus profonde de l'assurance vie, qu'il a présentée à Bruno Le Maire. Le ministre de l'Économie et des Finances lui aurait montré "une oreille intéressée, mais contrainte" confie-t-il. Assumée comme "catégorielle", la proposition de France Digitale, qui regroupe entrepreneurs, business angels et fonds d'investissement, est de "flécher" une partie de l'assurance vie vers le capital-risque.

"Pour parvenir à l'objectif d'une "startup nation" durable, il est impératif de mettre définitivement l'écosystème French Tech à l'abri d'un retournement de cycle. Le capital-risque français est vulnérable, car les grands corporates risqueraient de replier leurs gaules, comme en 2001, après l'éclatement de la bulle. La fiscalité doit encourager l'orientation de l'épargne vers l'innovation" a-t-il plaidé.

"Aménager la niche"

Le projet de loi Pacte, dévoilé en partie par Bruno Le Maire mercredi, prévoit de "faciliter le paiement des contrats d'assurance vie en titres ou en parts de fonds de capital-risque, ce qui favorise le développement de ces investissements par les assureurs" et "d'élargir la liste des fonds éligibles à l'assurance vie, notamment les fonds professionnels de capital-investissement". Or "cela ne suffira pas à faire basculer l'épargne" selon Jean-David Chamboredon.

La proposition portée par le co-président de France Digitale consisterait à revoir le plafond d'apport dans les contrats d'assurance vie afin d'inciter les épargnants les plus fortunés à prendre plus de risques, sachant qu'environ 60% des détenteurs de ces contrats dépassent le plafond de 150.000 euros à la fiscalité réduite.

"Il ne s'agit pas de créer une nouvelle niche fiscale, mais d'aménager la niche existante sur l'assurance vie en permettant de transférer une partie de l'argent placé en fonds euro vers des placements en non coté, dont le capital-risque", a-t-il expliqué. "Cela pourrait faire bouger 60% de l'assurance vie."

Le plafond de 150.000 euros serait abaissé des montants déplacés vers du risque, et les versements complémentaires bénéficieraient toujours d'une imposition réduite et non du taux de 30% du prélèvement forfaitaire unique (PFU).

"Il faut s'appuyer sur ce stock énorme d'assurance vie", a convenu Ronan Le Moal, directeur général du Crédit Mutuel Arkéa, venu soutenir la démarche de France Digitale. "La carotte fiscale est intéressante", a-t-il approuvé.

Le bancassureur breton plaide pour des aménagements techniques sur la dépréciation comptable et la charge en capital des investisseurs.

"Il faut sortir de cette tradition française de l'épargne hyperliquide au détriment de l'épargne longue", a renchéri de son côté Frédéric Lavenir, le directeur général de CNP Assurances, présent à cet événement. "Il faut favoriser fiscalement, le plus massivement possible, les engagements très longs et mutualisés - le levier le plus puissant étant à cet égard le développement des produits gérés collectivement avec sortie en rente", a-t-il estimé.

Un "dogme" de la neutralité fiscale ?

Cependant, la proposition portée par France Digitale se heurte à l'opposition du gouvernement et de la majorité parlementaire à tout "big bang" de l'assurance vie et à la création de nouvelles niches fiscales.

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"Vos propositions ont pour levier principal la fiscalité. Or, nous sommes dans une évolution de la fiscalité de l'épargne vers plus de neutralité, avec le PFU", a réagi Denis Beau, le sous-gouverneur de la Banque de France, invité à s'exprimer lors du débat de mercredi. "Il peut exister d'autres incitations, non fiscales", a-t-il objecté.

Aux yeux de Jean-David Chamboredon, les pouvoirs publics s'enferment dans une "doxa de la neutralité fiscale".

"On veut un tout petit bout de ce gros gâteau. On peut sans doute le faire sans big bang", a-t-il plaidé. "On a laissé 1.700 milliards d'euros dans une niche fiscale dont on sait qu'elle n'est pas productive !"

Il ne renonce pas pour autant et d'autres acteurs, du capital-investissement, sont favorables à cette démarche, regrettant la disparition de l'ISF-PME. Ce qui laisse présager une belle bataille d'amendements au Parlement...