Brexit : Bruxelles envisage des délocalisations forcées de la City

Par Delphine Cuny  |   |  688  mots
La Commission européenne veut renforcer la supervision des chambres de compensation, rouage essentiel des marchés financiers. La localisation au sein de l’Union pourrait être imposée à la filiale du London Stock Exchange, LCH Clearnet.

Près de dix ans après l'éclatement de la crise financière mondiale, l'Europe continue de blinder ses défenses contre un nouveau choc. La Commission européenne a ainsi présenté ce mardi lors d'une visite au Parlement européen de Strasbourg « des réformes ciblées visant à consolider la stabilité financière de l'Union européenne », avec une proposition explosive. Bruxelles souhaite en effet « renforcer la surveillance des contreparties centrales », c'est-à-dire les chambres de compensation, ce rouage essentiel des marchés financiers, là où s'échangent sur le plan technique les actions, les obligations et autres produits dérivés, après avoir été négociés en Bourse.

Or un acteur domine ce marché, c'est le britannique LCH.Clearnet, contrôlé par le London Stock Exchange Group. Pour la Commission, il serait dangereux que des milliards d'euros d'échanges échappent à la supervision directe des régulateurs de l'UE, après le Brexit. Une relocalisation pourrait s'imposer.

« Le maintien de la sécurité et de la stabilité de notre système financier reste une priorité essentielle. Alors que nous sommes confrontés au départ du plus grand centre financier de l'UE [Londres, NDLR], nous devons apporter certains ajustements à nos règles afin que les efforts se poursuivent » a justifié Valdis Dombrovskis, le vice-président de la Commission chargé de la stabilité financière, des services financiers et de l'Union des marchés des capitaux.

L'énorme marché des dérivés en euro

L'inquiétude de la Commission porte surtout sur la compensation des instruments dérivés, un marché devenu énorme, car les trois quarts des dérivés libellés en euro sont traités à Londres, à travers le service SwapClear de LCH.Clearnet : de l'ordre de 475 milliards d'euros par jour, pour l'essentiel des dérivés de taux d'intérêt.  « L'exposition de l'UE aux chambres de compensation de pays tiers sera exacerbée avec la sortie programmée du Royaume-Uni de l'UE en 2019, cela conduira à un basculement du risque hors de l'UE » s'alarme la Commission dans son étude d'impact.

Dans le cadre d'une nouvelle « approche plus paneuropéenne de la supervision », qui créerait un nouveau mécanisme de surveillance, les chambres de compensation de pays tiers qui seront jugées d'importance systémique (sans nommer LCH.Clearnet, tout le monde aura compris) « seront désormais soumises à des exigences plus strictes », pouvant aller loin :

« la Commission pourra, à la demande de l'Autorité européenne des marchés financiers [AEMF ou ESMA en anglais, NDLR] et en accord avec la banque centrale concernée [la BCE], décider qu'une contrepartie centrale ne peut fournir des services dans l'UE que si elle s'y établit » précise la Commission dans son communiqué

Comprendre, une délocalisation forcée pour LCH.Clearnet. Ce serait « en dernier ressort » a insisté le commissaire letton lors d'une conférence de presse mardi, « si la supervision améliorée de l'ESMA n'est pas suffisante pour garantir la stabilité financière. »

"Un chaos total" pour Londres

Plusieurs options sont possibles, dont une moins lourde qui reviendrait à passer par une filiale de la chambre de compensation dans l'Union (typiquement LCH. Clearnet SA à Paris). Mais qui n'est pas privilégiée par la Commission.

Cette nouvelle supervision pourrait nécessiter le recrutement d'une quarantaine de personnes à l'Autorité européenne des marchés financiers, « sans impact sur le budget de l'UE » car les coûts seraient absorbés par le secteur, en prélevant des frais sur les chambres de compensation supervisées.

Certains professionnels, comme l'organisation des intervenants sur les dérivés (International Swaps and Derivatives Association), s'inquiètent d'ailleurs du renchérissement de la compensation que créeraient ces nouvelles dispositions.

« Cela va être un chaos total » a lancé Xavier, Rolet, le directeur général du London Stock Exchange, dans le Sunday Telegraph ce week-end. Il avait estimé il y a quelques mois à environ 100.000 le nombre d'emplois, directs et indirects, menacés dans la compensation à la City à cause du Brexit.

Les propositions de la Commission devront être approuvées par les Etats membres et le Parlement européen.