"Ne jouons pas aux apprentis sorciers avec l'assurance-vie ! "

Par propos recuillis par Séverine Sollier  |   |  992  mots
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Dans un entretien accordé à La Tribune, un des dirigeants de la filiale française de Generali, Stéphane Dedeyan, souligne le rôle que joue l'assurance-vie dans l'économie française. Il met donc en garde le gouvernement : "créer une taxe annuelle sur une plus-value potentielle qui n'est pas encore réalisée me paraît irréaliste et extrêmement dangereux".

Pourquoi êtes vous opposé à la réforme de la fiscalité de l'assurance vie ?

La valse-hésitation sur l'évolution de la fiscalité vient s'ajouter à l'environnement économique et financier difficile et aux rendements des fonds en euros sous pression. Tous ces facteurs ont un effet néfaste : la collecte brute est en baisse de 11% en ce début d'année 2011 et la collecte nette recule de 35% par rapport à 2010 qui n'était pourtant pas une année aussi dynamique que 2009. Or l'assurance vie joue un rôle clef dans le financement de l'économie française. Ne jouons pas aux apprentis sorciers !

Est-il toujours légitime que l'assurance vie bénéficie d'un régime de faveur ?

L'assurance vie ne bénéfice d'une fiscalité réduite qu'après huit ans de détention. Après ce délai les gains sont taxés à 19,6%, compte tenu des prélèvements sociaux et autre CSG. Mais entre 4 et 8 ans, la fiscalité est standard comme sur les autres placements à savoir 27,3%. Et lorsque la durée de détention de l'assurance vie est inférieure à 4 ans, la fiscalité monte à 47,3%. La taxation est donc fonction de la durée de détention. Elle est logique et cohérente pour un placement de long terme. Ce n'est pas ce que j'appelle un régime de faveur.

Le gouvernement envisage surtout d'alourdir la fiscalité sur les gros contrats en taxant les plus-values latentes chaque année. Qu'en pensez vous ?

Créer une taxe annuelle sur une plus-value potentielle qui n'est pas encore réalisée me paraît irréaliste et extrêmement dangereux. Lorsque le contrat serait en moins-value, il faudrait donc accorder un crédit d'impôt...ce qui ne paraît pas très cohérent avec la recherche de stabilité des recettes fiscales. De plus, sur le plan technique, il faudrait mettre en place une usine à gaz informatique pour prévoir cette taxe.

Mais atteindrait-elle son but de taxer les plus gros contrats ?

75% de l'encours de l'assurance vie est détenue par 30% des souscripteurs. Les encours sont effectivement concentrés au sein d'une population qui est par ailleurs la plus grande pourvoyeuse d'impôts. On peut craindre que la taxation supplémentaire provoque le transfert d'une partie de l'épargne de l'assurance vie vers d'autres placements, en particulier le livret A. Car actuellement seulement 10% des livrets A sont déjà au plafond de versements. Or, le Livret A n'a absolument pas les mêmes vertus de financement à long terme. On peut craindre également que cette nouvelle taxation accélère le mouvement de délocalisation des patrimoines vers l'étranger.

Cette menace est souvent agitée mais la délocalisation des patrimoines est-elle un risque réel ?

Generali travaille sur tous les segments de clientèles, aussi bien avec le grand public qu'avec de grandes fortunes. Et nous constatons qu'un nombre croissant de nos clients envisage la délocalisation de leur patrimoine. Certains l'ont déjà réalisée. Je rappelle qu'en 2004-2005 les délocalisations de patrimoines français vers l'étranger ont été multipliés par deux par rapport à la période 1997-2003. Entre 2006 et 2008 ces délocalisations ont encore augmenté de 20%. De plus, il y a aussi une délocalisation plus discrète qui consiste à souscrire un contrat d'assurance vie, non plus français, mais luxembourgeois, en libre prestation de service. La collecte a été multipliée par trois entre 2006 et 2010 sur ce type d'assurances vie luxembourgeoises. En 2011, l'ouverture de ces contrats continue d'être en hausse.

En parallèle du projet de taxation supplémentaire de l'assurance vie traditionnelle, le gouvernement travaille aussi sur un projet de nouveau contrat d'assurance vie moins taxé, à condition d'être davantage investi en actions. Pensez vous qu'il puisse attirer les épargnants ?

Ce contrat existe déjà depuis plus de dix ans ! Il s'appelle le contrat DSK. Il représente seulement 4% des encours totaux de l'assurance vie aujourd'hui. Et son successeur le contrat NSK représente un si petit encours qu'il est jugé non significatif. Bref, ces deux contrats existent et sont des échecs commerciaux.


L'alourdissement de la fiscalité vous semble donc contre-productif ?

Absolument. L'assurance vie produit 5,2 milliards de recettes fiscales et sociales pour un encours stabilisé de 1 300 milliards d'euros d'épargne longue, dont 940 milliards investis dans les entreprises françaises. Les assureurs  financent 50% de la détention domestique des obligations d'entreprises françaises et un tiers de la détention domestique de la dette publique française. Trente millions de Français détiennent un contrat d'assurance vie. Donc, en touchant à la fiscalité de l'assurance vie pour gagner seulement 1 milliard, le gouvernement prend le risque de déstabiliser le poumon de l'économie française.

Est-ce que vous ne dramatisez pas un peu l'enjeu ?

Déjà en 2010, les assureurs ont fortement contribué aux recettes fiscales par le biais de la nouvelle taxe sur les réserves de capitalisation et l'application de la CSG sur les fonds en euros des assurances vie multisupport chaque année : ça a rapporté 4 à 5 milliards à l'Etat en 2010. Le plus important maintenant est d'alimenter les recettes fiscales grâce à un bon financement de la reprise économique, pas de torpiller l'assurance vie qui est le réservoir d'épargne longue de l'économie française.

Alors quelle réforme faudrait-il entreprendre selon vous en matière de placement ?

Il faudrait assouplir le Plan d'épargne retraite populaire (Perp). C'est un contrat de retraite, donc de long terme. Or seulement 8% des salariés ont souscrit un Perp. Alors que le contrat comparable la « Retraite Madelin », destiné aux travailleurs indépendants, a été souscrits par 44% des personnes concernées. Certes, le contrat Madelin est plus ancien, mais il est aussi beaucoup plus souple. Il permet par exemple un versement sous forme d'annuités garanties et des options de prévoyance. Le Perp est trop rigide c'est la raison pour laquelle il ne se vend pas. Pourtant, il pourrait aussi servir de support à une garantie dépendance.