Impôts : le capital-investissement français envisage de s'exiler

Par Christine Lejoux  |   |  775  mots
Les fonds de capital-investissement français ont investi près de 10 milliards d'euros, en 2011. Copyright Reuters (Crédits : Photo Reuters)
Face au probable alourdissement de leur fiscalité, de nombreux fonds de capital-investissement français envisagent de s'exiler à Londres, Bruxelles, Luxembourg ou Genève. En jeu : le financement des entreprises françaises, et plus particulièrement des PME.

Les appels du pied à l'exil fiscal se multiplient. Après le Premier ministre britannique David Cameron, c'est un ancien gouverneur du Mississipi, Haley Barbour, qui s'est dit, mercredi, prêt à dérouler le tapis rouge aux "millionnaires français surtaxés" par le gouvernement de François Hollande. Mais il n'y a pas que les très riches contribuables qui songent à quitter la France. Certaines professions particulièrement visées par des hausses d'impôts envisagent, elles aussi, une délocalisation à Londres, Bruxelles, Luxembourg ou Genève. C'est le cas du capital-investissement français, qui compte quelque 3.000 professionnels gérant un total de 80 milliards d'euros, investis dans 5.000 entreprises, dont 80% sont des PME de l'Hexagone.

Le taux d'imposition du "carried interest" en question

Pas moins de trois changements de fiscalité sont susceptibles d'affecter le private equity français. "D'abord, les conditions pour que le "carried interest" ne soit pas fiscalisé comme un salaire mais comme une plus-value mobilière pourraient être renforcées", indique Laurent Borey, avocat chez Mayer Brown. Pour mémoire, le "carried interest" correspond à la rémunération perçue par les gérants de fonds de capital-investissement sur les plus-values réalisées lors des cessions de participations. Cette rémunération représente généralement 15% à 20% de la plus-value si celle-ci a débouché sur un rendement de 7% à 8% au moins. Pour l'heure, le "carried interest" est taxé non pas comme un salaire, mais comme une plus-value mobilière, soit au taux de 30,1 % "seulement."

Réduction de la déductibilité des intérêts de la dette d'acquisition

Toujours dans le cadre de la chasse aux niches fiscales, et afin de décourager les investissements purement financiers, le gouvernement a également en tête un projet de réduction de la déductibilité des intérêts de la dette contractée par les fonds de LBO (Leverage Buy-Out : acquisition par endettement) pour racheter des entreprises. Une mesure qui porterait un rude coup à l'effet de levier fiscal sur lequel jouent les fonds de LBO. Enfin, à tout cela s'ajoute la fameuse hausse à 75% du taux d'imposition des revenus supérieurs à un million d'euros. Un alourdissement fiscal qui ne touchera pas directement les fonds mais leurs investisseurs.

Deux rendez-vous par semaine avec des gérants qui souhaitent s'exiler

Résultat des courses, "aujourd'hui, beaucoup de managers de fonds songent à se délocaliser. En vingt ans de métier, je n'ai jamais vu autant de personnes envisager de partir à l'étranger", témoigne Laurent Borey. Et d'évoquer une anecdote révélatrice : "Le 26 juin, nous avons organisé un colloque qui traitait notamment du transfert de résidence fiscale au Royaume-Uni, en Belgique ou en Suisse : 120 personnes étaient présentes, contre 30 habituellement pour ce genre de manifestation." "L'effet de cet alourdissement de la fiscalité est faible sur les finances publiques mais très fort sur les mentalités des personnes visées", déplore un autre avocat fiscaliste parisien. Qui, lui aussi, "a deux rendez-vous par semaine avec des managers de fonds qui souhaitent quitter la France."

10 milliards d'euros investis par le private equity français en 2011

Un exil massif du capital-investissement français serait tout sauf anodin pour l'économie du pays, surtout à l'heure où le financement bancaire risque de diminuer, en raison de la future réglementation Bâle III, relative au renforcement des fonds propres des banques. L'an dernier, le private equity hexagonal a investi pas loin de 10 milliards d'euros dans quelque 1.700 entreprises, essentiellement des PME françaises. Un montant qui fait de la France le deuxième marché européen du capital-investissement, derrière le Royaume-Uni et devant l'Allemagne.

L'avantage du "passeport européen" pour les fonds

Reste que la délocalisation à l'étranger d'une société de gestion n'est pas forcément synonyme de fermeture des fonds gérés en France. Car "la directive AIFM [Alternative investment fund managers, destinée à mieux réguler les fonds d'investissement ; Ndlr] crée un passeport européen, pour les fonds. Si bien qu'un manager français peut créer sa société de gestion à Londres mais continuer à gérer son fonds basé en France en demandant un passeport AIFM pour Paris", indique Laurent Borey.

Mais, nuance l'avocat, "lorsqu'un fonds est agréé par l'AMF (Autorité des marchés financiers), cette dernière exige qu'au moins deux des dirigeants du fonds travaillent à temps complet au sein de la société de gestion, donc à Paris. Un fonds qui ne respecterait pas cette règle des "quatre yeux" risquerait de se voir retirer son agrément AMF." Les prochains mois ne seront donc pas simples pour le capital-investissement français. Et, partant, pour les entreprises qu'il finance.